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lie, ne vibrent pas seulement dans ses vers pour l'oreille; on sent qu'ils partent du cœur. Le patriotisme n'est point ici une inspiration factice, l'admiration pour le génie un culte de fantaisie, la douleur une muse de circonstance. Sous cette triple inspiration, le poëte a de la grâce, de la mélancolie, quelquefois de la verve et de l'éclat. Il a un sentiment naturel de l'harmonie, comme dans cette dédicace à Venise:

A VENISE.

A toi, l'immortelle exilée,

A toi ces chants de mes douleurs,
A toi cette lyre effeuillée

Par l'hiver sans donner de fleurs!

A toi l'enfant à tête blonde
Dont chacun des pas est tremblant,
Et qui sent s'affaisser le monde
Comme la neige du mont Blanc!

Donne-lui, fille de l'Aurore,

Un doux coin de ton lit vermeil.
Il meurt. Il voudrait vivre encore!
Qu'il meure enivré de soleil;

Enivré de ton ambroisie,

De ton amour, de ta langueur....
O reine de la poésie,
Ensevelis-le dans ton cœur!

A toi, l'immortelle exilée,

A toi ces chants de mes douleurs,

A toi cette lyre effeuillée

Par l'hiver sans donner de fleurs!

Rien de plus heureux que le mouvement, que le bercement, pour ainsi dire, de ces petites strophes; la première surtout est, pour l'oreille, d'une harmonie que son retour rend encore plus sensible. Mais pourquoi enfermet-elle, pour les yeux, cette image impossible d'une lyre que l'hiver effeuille sans la laisser fleurir!

Voltaire a donné, pour le style figuré, une règle que les jeunes poëtes ne doivent pas plus oublier que les prosateurs: il faut toujours qu'une métaphore puisse se traduire par le pinceau sur la toile. Quel singulier tableau on ferait en appliquant cette règle à tant de fausses images du style poétique! Une plus grande surveillance sur lui-même épargnera à l'auteur d'Italia mia ces effets bizarres auxquels il revient assez souvent, ainsi que quelques autres petites fautes. Il n'a pas un soin assez sévère de la forme; la rime amène quelquefois l'idée, et elle n'est pas ellemême d'une richesse suffisante. En un mot, on sent que le travail a manqué à l'inspiration; l'accord de l'un et de l'autre conduira M. Lebailly à tenir toutes les promesses de son début.

C'est aussi de la poésie toute d'actualité, mais avec un ton bien différent que nous trouvons dans les vers de M. Barillot. M. Barillot est un des héritiers des Barthélemy et des Barbier : il s'est armé, contre les vices de son temps, du fouet de la satire, et il le fait résonner avec beaucoup de vigueur. A plusieurs reprises déjà, M. Barillot s'est efforcé de secouer la torpeur de la jeunesse et la lâche sécurité d'une génération corrompue, par la véhémence de ses philippiques. Aujourd'hui, dans Polichinelle1, il revient à la charge, selon son tempérament de poëte, avec plus de force que de mesure. Il flétrit, une fois de plus,

Ces jeunes gens blasés, flétris par la débauche,

Qui n'ont qu'un balancier de chair sous le sein gauche.

Ce qui lui a causé un nouvel et trop légitime accès de colère, c'est cette invasion de petites publications de diffamation ou de scandale, écloses, comme les insectes nuisibles, dans la dernière saison d'été, et mortes avant l'hi

1. Marpon, éditeur.

ver, tuées par le dégoût public, plus sûrement encore que par les poursuites judiciaires. Voici de quel mépris M. Barillot en écrase les auteurs:

Je plains de tout mon cœur un auteur famélique
Dont l'oreille se tend vers la voix métallique;
Je méprise et je plains l'homme qui vend sa foi;
Mais je fouette les nains qui n'ont ni feu ni loi,
Ces mirmidons lettrés qui s'arment d'une plume
Pour bâcler en trois jours un immonde volume
Que la hotte réclame.... O bâtards de Jacquot,
A nos temps dépravés vous payez votre écot.

On passe à l'auteur de Polichinelle toute la virulence des mouvements; mais on lui a reproché avec raison la trivialité parfois affectée du langage, et une grossièreté de préméditation qui emprunte à l'argot des lieux suspects où ces immondes volumes » se débitent, les termes dont il veut les flétrir. Que M. Barillot le sache bien : la langue des honnêtes gens et de la bonne compagnie suffit à la satire, quand elle est jetée dans le moule d'une versification aussi vive et aussi forte.

C'est avec plus de modération dans la forme, mais avec tout autant de justice, au fond, .qu'un satirique d'un autre âge, dont la verte vieillesse a conservé la verve jusqu'au milieu du nôtre, le célèbre M. Viennet, maniait jadis et manie encore la satire politique, morale et littéraire. Nous avons à signaler une cinquième édition de ses Epitres et Satires1, livre à la fois ancien et nouveau, que chaque réimpression a grossi. L'auteur nous prévient luimême que la première édition, qui était de 1813, ne contenait que douze pièces, et que celle d'aujourd'hui en comprend cinquante. Les divisions mêmes du recueil sont un curieux témoignage de longévité littéraire : quel laps

1. Hachette, in-18, 395 p.

de temps elles embrassent et que de révolutions elles résument! Sous l'Empire; Sous la Restauration; Après la Révolution de 1830; Sous la République; Sous le second Empire. Chacune des épîtres ou satires de ces cinq périodes a ensuite sa date particulière; la première, adressée à Vivant Denon, sur son voyage d'Égypte, est de 1803, et l'une des dernières, lue à l'Institut, dans une séance publique de 1858, a pour sujet les quatre-vingts ans de l'auteur.

Ce n'est pas seulement une longue vie d'homme qu'on retrouve dans le recueil de M. Viennet; c'est, à plus d'un point de vue, la physionomie historique des deux tiers de siècle se reflétant dans sa littérature. Rien de plus mobile et de plus animé que cette physionomie. A côté des étonnantes révolutions de la politique, dont le poëte répudie les unes et n'accepte les autres que sous bénéfice d'inventaire, s'accomplissent des révolutions littéraires et morales qui le trouvent constamment dans l'opposition. M. Viennet a commencé par louer l'Empereur et l'Empire; il parle à Napoléon dans les mêmes termes que Boileau à Louis XIV. Il dit au vainqueur d'Austerlitz :

Te suive qui pourra, César, je perds haleine,
Et ma muse vaincue est au bout de sa veine;
J'espérais que vers Ulm cent mille combattants
T'allaient sur le Danube arrêter quelque temps
Et que du Nord enfin, etc.

Ce n'est que l'écho affaibli du fameux

Grand roi, cesse de vaincre, ou je cesse d'écrire.

Si la gloire militaire éblouissait assez M. Viennet pour faire de lui un des courtisans du premier Empire, il gardait plus d'indépendance en philosophie qu'en politique, et adressait une de ses premières épîtres à Morellet, pour raffermir son courage au milieu de toutes les violentes at

taques des « modernes Frérons » contre « ce complice de Voltaire. »

Ils voudraient t'arracher par leurs agressions
Le désaveu honteux de tes opinions.
Ne va point de La Harpe imiter la faiblesse,
A d'injustes remords condamner ta vieillesse
Et devant les autels, que tu n'as point trahis,
Le rosaire à la main, abjurer tes écrits.
C'est en vain qu'à ta secte on impute des crimes;
Elle peut au grand jour exposer ses maximes,
Et de son zèle ardent recueillant les effets,

Le monde à haute voix proclame ses bienfaits.

Sous la Restauration, M. Viennet, serviteur dévoué de la monarchie légitime, ne s'associe pas aux extravagances réactionnaires qui devaient la per dre. Son épître Aux Capucins, en 1819, a été considérée comme un des manifestes de l'esprit libéral. Au moment où les ordres religieux renaissaient en foule, le poëte rappelle le passé des moines et montre, pour quelques services rendus à l'agriculture et aux lettres, une longue suite d'usurpations, d'exactions, de fraudes prétendues pieuses, d'exemples funestes de corruption et d'ignorance.

Dirai-je quels larcins, quels absurdes miracles

Quels ressorts criminels et quels trompeurs oracles
Nous acquirent les biens des mortels aveuglés?

Et l'on dit que par vous nous fùmes éclairés!

Je sais que Charlemagne, en ses vastes projets,
Vous chargea d'éclairer, d'instruire ses sujets.
L'avez-vous accompli ce noble ministère ?
Qu'ont-ils appris de vous ? Le pillage et la guerre,
Dans quel horrible amas de superstitions
Vois-je encor sous nos yeux croupir les nations....
Il est venu ce jour, et par un art nouveau
Gutenberg de vos coups a sauvé ce flambeau.
Il est venu ce jour, et de vos monastères

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