Images de page
PDF
ePub

leur rôle et dans leur caractère, qu'on voit toujours le personnage et non l'auteur qui lui prête tant d'esprit.

La reprise d'Horace et Lydie (24 août)1 de M. Ponsard a-t-elle eu pour objet de venger le poëte, par le souvenir d'un succès, de l'échec qu'il subissait alors au Vaudeville'. Ce petit acte, qui fournissait autrefois à Mlle Rachel un rôle de boudoir romain où le public aimait à la voir se reposer de ses fureurs de tragédienne, est resté comme un modèle de grâce antique puisée aux meilleures sources; les amis d'Horace, ceux qui aiment, comme dit Voltaire,

A lire ses écrits pleins de grâce et de sens,

Comme on boit d'un vin vieux qui rajeunit les sens,

voient avec plaisir la poésie de leur temps puiser dans le commerce d'un si aimable auteur de fraîches inspirations.

L'heureux auteur du Duc Job, M. Léon Laya, a vu rapprocher ce grand succès de sa meilleure pièce par la reprise des Jeunes gens (25 septembre), comédie en trois actes, imitation si brillante des Adelphes. Voilà comment il faut ⚫rajeunir les œuvres antiques pour les produire sur notre scène. Les Jeunes gens traitent, dans le cadre même de Térence, la même question de pédagogie et mettent en un pareil contraste les effets de la sévérité et ceux de l'indulgence dans l'éducation. Si la thèse est ancienne, l'action où elle est engagée est toute moderne: pères et enfants sont de notre époque. La traduction rend aux morts une vie factice; mais par la transformation que M. Laya lui a fait subir, Térence revit d'une vie véritable, de notre propre vie.

1. Acteurs principaux : Horace, Guichard; Lydie, Mlle Favart. 2. Voy. ci-dessous, même chapitre, sect. 3.

3. Principaux acteurs : Delorme, Provost; Francisque, Got; Max. Delaunay; Rigaud, Mirecour; Antoinette, Mlle Dubois.

Ces nombreuses reprises du répertoire tout à fait moderne et quelques-unes d'une date un peu plus reculée, comme l'École des vieillards (août) de Casimir Delavigne, n'ont pas fait négliger entièrement le répertoire classique. Le Théâtre-Français a fêté l'anniversaire de la naissance de Corneille (6 juin) par la mise à la scène de la Mort de Pompée1, qui, malgré ses grandes beautés, n'avait pas été jouée depuis longtemps. Mieux que la lecture la représentation fait voir que le reproche d'incohérence, d'absence totale d'unité, adressé si souvent à cette pièce, est au moins exagéré. Pompée, sans paraître, la remplit tout entière; il en est le héros; il maintient la véritable unité, l'unité d'intérêt, au milieu de cette suite de scènes si tragiques. Le Menteur, qui marque l'ère même de la comédie française, faisait, comme toujours, partie de la représentation commémorative en l'honneur du génie cornélien.

Le Théâtre-Français, qui célèbre par des à-propos ou par des représentations extraordinaires l'anniversaire de la naissance de Molière et de Corneille, a trouvé cette année une occasion précieuse d'honorer la mémoire de Racine : 'il s'agissait d'apporter son offrande à la souscription ouverte en faveur d'une petite-fille de l'auteur de Phèdre et d'Athalie. Ce dernier chef-d'œuvre et les Plaideurs ont composé le spectacle donné au bénéfice de l'obscure héritière d'un si grand nom. Un hommage en vers, composé par M. Am. Rolland, a été lu par Mme Guyon devant le buste de Racine. Mais un hommage plus extraordinaire a

1. Principaux acteurs: César, Beauvallet; Cornélie, Mme Guyon; Cléopâtre, Mlle Favart.

2. Principaux acteurs, dans Athalie: Joad, Beauvallet; Abner, Mauban; Athalie, Mme Guyon ; Josabeth, Mlle Devoyod; Zacharie, Mlle FaDans les Plaideurs: Dandin, Provost; l'intimé, Samson; PetitJean, Régnier; Léandre, Delaunay: le souffleur, Got; Isabelle, Mlle Em. Dubois; la comtesse, Lambquin.

vart.

été rendu à la mémoire du poëte français dans deux langues, par une voix étrangère: Mme Ristori, après avoir joué le quatrième acte de la traduction italienne de Phèdre, s'est hasardée à déclamer en français les vers qui suivent, composés par M. Legouvé pour cette solennité.

Pardonne à ma présence, ô Racine! Pardonne,
Si j'osai peindre ici de la fille d'OEnone
Les sublimes douleurs!

C'étaient d'autres accents que tu devais entendre;
C'était une autre voix plus aimée et plus tendre
Qui te devait ses pleurs!

Une voix disparue, hélas! mais immortelle,
Dont le cher souvenir résonne, écho fidèle,
Même au delà des mers;

Une voix qu'aujourd'hui, croyez-le bien, grand poëte,
J'ai fait moins regretter que je ne la regrette,
J'en atteste tes vers!

Oui, tes vers tout pleins d'elle! A chaque beau passage,
Je voyais devant moi flotter sa jeune image,
Et dans le fond du cœur,

De ta Phèdre en peignant les tragiques alarmes,
Pardonne!... je donnai la moitié de mes larmes,
A cette jeune sœur!

Qui donc à l'étrangère inspira le courage
D'oser mêler ici son inconnu langage

Aux vœux que tu reçois?

Qui?... C'est ma conscience et sa vivante flamme;
Qui?... C'est de tout mon cœur et de toute mon âme
L'irrésistible voix.

Quand l'Italie entière au cri de l'honneur vibre,
Lorsque la France au rang d'une nation libre
Fait monter mon pays,

Le devoir, non! le droit de ma reconnaissance
Est d'honorer en toi de cette noble France

Un des plus nobles fils!

Je viens donc en ces lieux, calme et l'âme légère;
Non! non! ma voix n'est plus une voix étrangère,
Et je puis dire ici,

Lorsqu'on te rend hommage en ta petite fille :
Laissez-moi m'approcher je suis de la famille,
Je suis Française aussi 1!

La tragédie, faute de tragédiens peut-être, tient moins de place que la comédie dans les études rétrospectives du

1. A propos de Mme Ristori, nous ne pouvons passer sous silence les beaux vers français qu'elle a récités sur un théâtre de la Hollande, où elle avait été accueillie avec beaucoup de sympathie. C'est encore M. Legouvé qui les écrivit pour elle; mais jamais peut-être il n'a rencontré une aussi heureuse inspiration et une éloquence si vraie. En Voici quelques-uns:

Oui, c'est à mon pays que ces fleurs sont offertes!
Grand peuple, tu revois en lui tes jours passés,
Car tu sais nos douleurs pour les avoir souffertes,
Et tu connais nos fers pour les avoir brisés!
Comme nous, tu sentis ce désespoir immense
De voir dans sa cité les canons étrangers;
Comme nous, tu te dis qu'un jour de délivrance
N'est pas payé trop cher par vingt ans de dangers;
Comme nous, il fallut que ta sainte furie
Reconquit pied à pied le sol de la patrie!...
Mais non, ton œuvre seule est œuvre de géant!
Car ce sol vénéré, cette terre promise,

Elle est deux fois à toi, tu l'as deux fois conquise,
Et contre l'étranger et contre l'océan !

Aussi, comme il me plaît, ton libre territoire !
J'y respire à plein cœur ton héroïque histoire!
Elle m'assure en tout, me console de tout!
Quand mon âme se brise au récit des batailles
Qui de mon cher pays déchirent les entrailles,
C'est elle qui me dit : La victoire est au bout !
Il n'est pas jusqu'au vent qui de la mer t'arrive,
Dont le souffle orageux, sur ta lagune errant,
N'entretienne mon cœur de la grande captive,
Ne me montre Venise aussi ressuscitant!...
Oui! Oui! je le sens là, ton destin est l'image
Du sort de l'Italie, ô vaillante cité!
Et si tu fus hier sa sœur en esclavage,
Elle sera demain ta sœur en liberté.

Théâtre-Français. Andromaque (septembre) a fourni pour deux débuts à la fois des rôles périlleux1. Tartuffe, l'Ecole des maris, le Médecin malgré lui, tout le répertoire de Molière exerce pendant l'année entière les talents consommés de MM. les comédiens de Sa Majesté, plus fidèles aux traditions du rire que rappelle leur titre, qu'à celles de la terreur et des larmes.

3

Odéon: Un Parvenu, Daniel Lambert, le Parasite, les Mariages d'amour, la Vengeance du mari, l'Oncle million. La tragédie classique.

L'Odéon n'a pas manqué, en 1860, à la mission d'initiative qu'il remplit si vaillamment depuis plusieurs années. Peut-être le nombre des pièces nouvelles est-il moins considérable que par le passé, mais plusieurs ont une valeur sérieuse, et le vers, cette belle forme du genre dramatique, s'est épanoui librement dans des œuvres importantes sur ce théâtre toujours prêt à lui faire accueil.

Dans les deux premiers mois un seul acte, la Fête de Molière, à-propos en vers pour le 15 janvier, par M. A. Martin, est venu se jeter au milieu des succès continus du Testament de César Girodot, heureux héritage de l'année précédente. Mais enfin il fallait bien ouvrir la série des ouvrages nouveaux, et une comédie en cinq actes et en vers de M. Am. Rolland, un Parvenu, a pris place sur l'affiche (1er mars). OEuvre distinguée d'un talent encore jeune; le Parvenu est une comédie assez faiblement conçue, qui ne met en

1. Principaux acteurs: Oreste, Guichard; Andromaque, Mlle Favart; Hermine, Mlle Devoyod.

2. Principaux acteurs Mercier, Tisserant; de Mosca, Pierron; Jacques, Thiron; Carmen, Mlle Arsène; Laurence, Mlle Debay.

« PrécédentContinuer »