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Roman d'un jeune homme pauvre, le bonbon à la mode de cette année, on s'éveille, le matin, l'âme un peu pâteuse. Il ne faut pas sucrer le puits de la Vérité, sous peine de la voir apparaître une petite cuiller à la main, demandant un peu de fleur d'oranger. »

L'allégorie que M. X. Aubryet soutient quelquefois avec ce raffinement, pendant toute une page, est son procédé de style favori. La métaphore ne lui suffit pas; du rapprochement des mots et des idées il ne fait pas jaillir un éclair, mais un feu d'artifice. Il faut du talent, moins pourtant qu'on ne croit, pour allumer devant le lecteur ébloui ces fusées, ces soleils, ces gerbes d'étincelles, ces pièces montées avec bouquet final. Puis tout ce faux éclat, à part les nuages de fumée et le bruit fatigant qui l'accompagnent, ne laisse après lui que la plus profonde obscurité. Mais je crois que la maladie de l'allégorie « soleillante » me gagne; sachons « l'éteindre à temps » dans le plus modeste clair de lune, » et disons à M. Aubryet, en vile prose, qu'avec le sens critique dont il est doué, il doit comprendre que le plus bel ornement de la vérité est la clarté, et la simplicité celui de la force.

C'est aussi plus de simplicité que nous souhaiterons à M. Pierre Bernard, l'auteur de l'A B C de l'esprit et du cœur1. Ce n'est pas dans la forme que l'auteur, philosophe humoriste, est recherché; c'est plutôt pour le fond même des idées. va chercher les choses plus loin que les mots, et quelques-unes de ses pensées n'ont pas besoin d'être voilées par des images pour être incompréhensibles. Telle est, par exemple, cette puérilité : « X.... Les jeux, les amoureux, finissent par un X, c'est-à-dire par une croix. » Telle est aussi la remarque sur l'y, qui a remplacé l'i dans plusieurs mots: «L'y ressemble à ces portraits que l'on

1. Librairie nouvelle, in-18; 282 p.

accroche dans certaines maisons: il donne comme une généalogie aux mots. » Le z n'est pas traité d'une manière plus claire. On dirait que ces lettres, signes de l'inconnu en algèbre, ne pouvaient inspirer à l'auteur que des énigmes. Il y a dans tout l'ouvrage des choses moins ingénieuses et plus vraies, des remarques justes, des observations fines, des idées qui ne manquent pas de grâce ni de portée. L'A B C de l'esprit et du cœur est d'un écrivain qui, en passant au milieu des hommes et des choses de la vie, a su regarder et voir, et recueillir des impressions de voyage toutes personnelles là où tant d'autres ne voient que par les yeux d'un cicerone banal et ne répètent que des formules de convention.

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Les livres inédits d'auteurs anciens. Voltaire et Buffon.

La littérature a, pour ainsi dire, ses revenants, et les plus curieuses nouveautés littéraires ont quelquefois cent ans de date. Parmi les anciennes choses inédites qui arrivent ainsi tardivement à la publicité, on remarque surtout les correspondances, dont le recueil, dans les œuvres les plus complètes, est rarement complet. Une des plus riches était à coup sûr, depuis longtemps, celle de Voltaire. Eh bien! c'est une de celles qui, dans ces dernières années, se sont encore le plus enrichies. Après le recueil des Lettres nouvelles, publiées, en 1857, par MM. de Cayrol et Alph. François, voici que ce dernier vient de donner, avec M. E. Bavoux, un nouveau volume de choses inédites, intitulé Voltaire à Ferney, sa correspondance avec la duchesse de Saxe, etc..

Il ne faut pas s'attendre à voir sortir, tout d'une pièce, 1. Didier, in-8.

de cette publication un Voltaire nouveau et très-différent du Voltaire connu. Il suffit, pour rendre ce volume intéressant, qu'il apporte, sur le caractère de l'homme et la vie de l'écrivain, quelques lumières de plus. C'est, en effet, ce qui arrive. La plupart des lettres datées de Ferney qui sont en tête du volume nous montrent dans Voltaire ce seigneur de village que nous savons, humain, libéral, à la fois tolérant et passionné pour la philosophie. La correspondance avec la duchesse de Saxe-Gotha offre un intérêt plus animé. Elle embrasse, de 1752 à 1767, une période de quinze ans et touche à toutes les questions auxquelles Voltaire a été mêlé, en politique, religion ou littérature. On y trouve, sous une forme contenue par un sentiment de respect et par la galanterie mondaine, bien des hardiesses de pensée et de langage. Le grand Frédéric, avec lequel Voltaire paraissait réconcilié, y est traité avec une vivacité pleine de rancune. La duchesse ayant été chargée par le roi de Prusse de faire tous ses efforts pour rappeler le philosophe à Berlin, voici quelle fut la réponse de celui-ci (30 juillet 1754):

Ce que Votre Altesse Sérénissime me dit d'une certaine personne qui se sert du mot de rappeler ne me convient guère; ce n'est qu'auprès de vous, madame, que je puis être appelé par mon cœur. Il est vrai que c'est là ce qui m'avait conduit auprès de la personne en question. Je lui ai sacrifié mon temps et ma fortune; je lui ai servi de maître pendant trois ans ; je lui ai donné des leçons, de bouche et par écrit, tous les jours, dans les choses de mon métier. Un Tartare, un Arabe ne m'aurait pas donné une si cruelle récompense. Ma pauvre nièce (Mme Denis), qui est encore malade des atrocités qu'elle a essuyées, est un témoignage bien funeste contre lui.... Si le roi de Prusse connaissait la véritable gloire, il aurait réparé l'action infâme qu'on a faite en son nom.

Les jésuites sont encore moins ménagés que Frédéric. Voltaire a toujours contre les persécuteurs la même verve.

Voici ce qu'on lit, au sujet de deux d'entre eux, dans une lettre du 27 février de la même année:

Figurez-vous, madame, qu'un gros jésuite qui gouverne despotiquement le Palatinat, me reproche les vérités que la loi de l'histoire me force de dire sur les papes. Un autre jésuite, qui gouverne le diocèse de Porentruy, où je suis, me poursuit pour la même cause. Ah! madame, que Frédéric de Saxe, votre ancêtre, avait raison de combattre pour exterminer cette engeance! Les moines sont nés persécuteurs, comme les tigres sont nés avec des griffes. Le clergé était institué pour prier Dieu, et non pour être tyran. Il est vrai que le fanatisme a fait plus de mal à votre maison qu'à moi, et que j'aurais tort de me plaindre. Je ne me plains que de ma destinée,qui m'empêche de venir moi-même mettre à vos pieds le second tome de ces Annales.

Le volume se termine par une suite de Remarques trèscurieuses sur l'ouvrage anonyme du P. Daniel contre l'historien Mézeray. C'est un jésuite encore que Voltaire tient sous sa main; mais cette fois, comme il n'y a en jeu que des écrivains, il n'y met pas de passion et laisse éclater dans une foule de railleries fines et de réflexions judicieuses son inaltérable bon sens. Ce ne sont que des notes, et sur un livre inconnu, mais elles sont toutes au niveau de l'esprit du commentateur.

Buffon avait plus à gagner que Voltaire à la publication de sa correspondance. On ne connaissait guère de lui que l'écrivain, et derrière ses périodes élégantes, compassées, pompeusement harmonieuses, l'homme avait à peu près disparu. On lui avait appliqué sa propre formule : « Le style, c'est l'homme même; » et il était resté, pour ses détracteurs ou ses panégyristes, un grand seigneur aux belles manières, à la noble prestance, toujours majestueux et répondant, suivant le mot de Hume, par son extérieur, à l'idée d'un maréchal de France. La publication de la Correspondance inédite de Buffon', par M. H. Nadault 1. Hachette et Cie, 2 forts vol. in-8; xxxvII-1144 p.

de Buffon, son arrière-petit-neveu, vient modifier cette idée et nous montrer pour la première fois un Buffon sans jabot ni manchettes, vivant dans le monde sans solennité, dans la famille avec une amabilité pleine de charme. Il est descendu du théâtre, il est simple et vrai dans ses affections et dans son langage, il aime et se fait aimer. Trois cent quatre-vingts lettres, écrites durant une période de soixante ans (1729-1788), forment sur son caractère et sa vie privée une révélation complète. La plupart sont trèsfamilières tout y est mêlé, plaisirs, affaires, nouvelles de la littérature et de la science, événements domestiques et relations avec le monde. Cette correspondance n'était pas destinée pour la postérité, et c'est pour la postérité un charme de plus.

Étude sur les littératures étrangères. MM. Lannau-Rolland, Blanchet, Forgues, Mondot, Martin, de Frontpertuis, Enault.

Les écrivains étrangers n'exercent pas seulement nos traducteurs, ils sont encore popularisés parmi nous par des études analytiques, et la comparaison des littératures étrangères avec la nôtre agrandit chaque jour la sphère de la critique littéraire. Il est peu de pays dont les auteurs anciens ou vivants ne soient, chaque année, l'objet de travaux intéressants. Nous en citerons plusieurs, sans pouvoir nous y arrêter autant qu'ils le méritent.

Le Michel-Ange poëte, de M. Lannau-Rolland 2, contient à la fois une traduction et une appréciation littéraire d'essais signés d'un grand nom, mais jusqu'ici à peu près inconnus.

1. Voy. pour la traduction en vers, p. 73 et suiv.; pour celle des romans, p. 163 et suiv.; pour la traduction en général, le chapitre intitulé: Philologie, érudition, traduction, etc.

2. Didier, in-12.

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