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pages si diverses, écrites sous tant d'impressions et à tant d'années de distance, une unité constante, l'unité d'une belle âme et d'un très-ferme esprit.

Pourquoi faut-il se borner à indiquer tous ces points de vue? Suivre Béranger sous ces divers aspects serait un travail aussi long qu'agréable, mais qui ne convient qu'à une monographie. Je ne résisterai pas pourtant au plaisir de citer quelque chose. Je prends d'abord au hasard un passage détaché où l'on verra quel était le sentiment religieux de Béranger et la frayeur que la critique métaphysique lui inspirait. Cela expliquera peut-être comment quelques métaphysiciens se sont réunis aux théologiens pour jeter la pierre à l'apôtre très-sincère du Dieu des bonnes gens :

« Je me suis toujours élevé vers Dieu autant que mes ailes fangeuses me l'ont permis, mais toujours les yeux fermés, me contentant de dire: «Oh! oh! » comme la bonne femme de Fénelon. Croiriez-vous que je frémis presque lorsque je vois qu'on analyse la substance créatrice? Je tremble quand je vois disséquer Dieu, si respectueux que soit l'opérateur. C'est que, moi, je crois comme les petits enfants, ce qui semble ne m'aller guère. J'en ai connu un qui avait un Jésus en cire; sa bonne, en touchant à la statuette, la brisa. L'enfant se mit à pleurer en disant : « Je n'ai plus de bon Dieu, je vais mourir. » Bien que je sache que mon Dieu ne finira pas en poussière, sous les yeux d'un puissant génie, toujours est-il que je suis tenté de crier au génie « Croyez et fermez les yeux 1. »

α

Voici maintenant une lettre entière que M. P. Boiteau annonce en ces termes : « Un jour, impatienté par une gloire si populaire et voulant par avance faire sentir au poëte l'apreté des coups que l'on devait porter plus tard à sa mémoire, un jeune homme osa l'injurier jusqu'auprès de son foyer. La réponse de Béranger est si belle, que tous ceux qui en tout temps voudraient faire prendre sa défense n'ont qu'à la faire lire aux esprits frivoles et aux envieux.

1 18 décembre 1840.

«Vous avez cent fois raison, monsieur; mais c'est contre ceux qui me donnent de ridicules éloges et non contre moi que vous devez tourner votre colère. Si vous avez lu mes ponts-neufs et mes préfaces, vous devez voir que je n'ai jamais eu de prétentions bien ambitieuses en quoi que ce soit ; et si vous me connaissiez, et il est nécessaire de connaître un homme pour le juger, vous sauriez que depuis dix ans j'ai rompu avec le monde, qui fait et soutient les réputations. Vous sauriez que je n'ai jamais prononcé la plupart des grands noms que vous me citez, sans mettre chapeau bas; vous sauriez enfin que je suis même en garde contre l'engouement fort excusable de mes meilleurs amis, et que je leur ai souvent répété une partie des vérités que vous prenez la peine de m'adresser.

Au reste, monsieur, ce dont vous vous plaignez est le mal du temps. Aux époques où il y a pénurie de grands hommes, le public en invente. Ceux qu'en termes de coulisses on choisit pour bouche-trous, sont souvent dupes de ces courtes bonnes fortunes et prennent leur rôle au sérieux. Un peu de sens commun m'a préservé de cette folie. Vous voyez, monsieur, que je ne suis pas loin de penser comme vous. Aussi je n'accepte pas le rapprochement que vous faites entre vous et le paysan d'Aristide, parce qu'il vous est trop défavorable, et qu'il m'honore au delà de votre intention.

Mais, monsieur, c'est au public et par la voie des journaux que vous deviez adresser le contenu de votre lettre, et non à un vieux comme moi, ainsi que vous le dites. En répandant votre opinion sur mon compte, je suis sûr que vos critiques eussent trouvé bien des échos. Leur accord eût pu calmer votre irritation, que je suis loin de blâmer, sans approuver toutefois les formes que vous lui donnez dans votre épître. Et ici, monsieur, permettez-moi de vous faire une observation sur les convenances les plus vulgaires.

Quand on parle à un homme de mon âge, qui, au risque des persécutions, a consacré d'une manière désintéressée son peu de talent à servir une cause qu'il a crue et croit toujours la meilleure, il me semble, quelle que soit l'opinion qu'on professe, qu'il est au moins de bon goût de donner à la raison les formes d'une politesse qui ne peut qu'ajouter du poids à la vérité, en inspirant de la considération pour celui qui veut bien s'en faire l'organe.

Mon âge, dont vous paraissez me faire un reproche, m'autorise à vous soumettre cette réflexion en retour du service que

vous voulez sans doute me rendre en dissipant les illusions dont vous supposez que je berçais ma vieillesse1.

Cette lettre si précieuse a été imprimée d'après un brouillon de Béranger qui s'est trouvé dans ses papiers Il avait barré d'un gros trait de plume le nom de la personne à qui elle était adressée, et l'on dit qu'il n'est pas difficile de le lire sous la rature. Peu nous importe ce nom. J'aime mieux même que la réponse soit sans destination connue. On peut se représenter que Béranger l'adresse du fond de la tombe à tous les insulteurs de sa mémoire.

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La littérature politique. Brochures et livres d'actualité. Aperçu général : beaucoup de noms et quelques œuvres.

Une branche de littérature surchargée de fruits, mais de fruits éphémères, est celle de la littérature politique. Nous osons à peine en cueillir quelques-uns pour les offrir à nos lecteurs. La plupart sont déjà tombés. Au milieu de ce déluge d'écrits politiques sur toutes les questions du jour, une brochure ne vit guère plus qu'un article de journal. Il est vrai que quelquefois la brochure passe pour un manifeste du gouvernement, et alors la politique lui donne une importance qu'elle aurait demandée en vain à la littérature. D'autres fois, le pamphlet se fait livre et la critique littéraire est mise en demeure de compter avec lui. A ces deux titres, nous avons dû, l'année dernière, nous arrêter assez longuement à la fameuse brochure le Pape et le Congrès, d'un auteur anonyme que tout le monde nommait, et à la Question romaine de M. About, double centre de tout le mouvement de cette littérature politique.

1. 13 juin 1843. Consulter sur la Correspondance de Béranger trois articles remarquables de M. Ernest Bersot, dans le Journal des Débats, 4 septembre et suivants.

Dans l'année 1860, nous n'avons point de brochures officielles ou tenues pour telles, anonymes ou signées. Mais nous retrouvons en litige les mêmes questions, plus brûlantes que jamais, plus que jamais fécondes en solutions sur le papier. La politique extérieure domine tout. On fait et défait la carte de l'Europe; on donne et on ôte à la France des alliés; on cite un homme ou un peuple à la barre d'un congrès pour répondre de ses projets ou de ses tentatives d'empiétement; on dévoile la vérité sur le présent; on prédit l'avenir. Celui-ci pousse le cri de guerre; celui-là réclame le désarmement; l'un dénonce une coalition; l'autre prêche une croisade. Un abbé donne Un coup de sabre au nœud gordien de la situation, et un homme du meilleur monde, sans doute, écrit la Brochure du paysan du Danube'. Ce mouvement tumultueux des esprits se traduit au Journal général de la librairie par une multitude d'indications bibliographiques dont notre Appendice reproduit plus loin les principales et, dans les magasins agrandis du libraire Dentu, par une accumulation de papier noirci faite pour effrayer le lecteur le plus curieux des choses contemporaines.

Dans la foule, nous donnerons à quelques-uns de ces écrits politiques à peine un souvenir. M. About a délaissé le roman pour jeter trois fois sa note dans ce concert. Il a proposé la Nouvelle carte d'Europe; il a présenté sous un jour assez flatteur La Prusse en 18603; enfin il a fait reparaître, après des modifications plus ou moins importantes, sous le titre de Rome contemporaine', son livre de l'année précédente dont nous avons analysé amplement le sujet et raconté les destinées".

1. Voy. Appendice, l'abbé Victorien Bertrand, Victor Chauvin, etc. 2. Dentu, in-8, 31 p.

3. Même librairie, in-8.

4. Michel Lévy frères, collection Hetzel, 1 vol. in-8, 5. Voy. t. II de l'Année littéraire.

375 p.

Des noms connus de plus longue date sont aussi jetés dans la mêlée. M. Dupanloup, qui avait parlé le plus haut en faveur des intérêts temporels du pape, prononce et publie l'Oraison funèbre des volontaires catholiques de l'armée pontificale morts pour la défense du saint-siège1. M. Alfred Nettement fait un Appel au bon sens, au droit et à l'histoire en réponse à la fameuse brochure tant de fois combattue. Le R. P. H.-D. Lacordaire, des frères prêcheurs, prélude par une brochure, De la liberté de l'Italie et de l'Eglise3, aux pompes oratoires de sa réception à l'Académie française. M. Poujoulat soutient aussi les Droits du pape*, toujours en réponse à la Brochure. M. P. Sauzet, ancien président de la Chambre des députés, a cru que ce n'était pas trop d'un gros livre pour défendre Rome devant l'Europe'. C'est aussi un livre plutôt qu'une brochure que M. Arm. Fresneau a mis au service des mêmes intérêts: De la constitution politique des États de l'Église. M. Laurentie publie Les Rois et le Pape". M. Ferdinand de Lasteyrie étudie sous le titre d'Italie centrale l'annexion au point de vue italien et français. M, Hippolyte Castille exécute une double charge avec le Pape et l'Encyclique et l'Excommunication.

Une des brochures qui causent le plus d'émoi est celle intitulée Pape et Empereur de M. Cayla 10; c'est le développement de la seconde conclusion de Rome contemporaine, de M. About, tendant à la réunion des deux pouvoirs dans la main du souverain. Ceux qui la combattent insinuent qu'elle répond à une pensée secrète du gouverne

1. Lecoffre, in-18; 36 p.

2. Même libr., in-8; 64 p. et in-12, 72 p.

3. Veuve Poussielgue-Rusand, in-8; 47 p.

4. Douniol, in-8; 45 p.

5. Lecoffre, in-8; 500 p. 6. Vaton, in-8; 236 p.

7. Dentu, in-8; 32 p.

8. Même libr., in-8; 31 p.

9. Même libr., in-8; 32 p. et 31 p.

10. Même libr., in-8; 32 p.

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