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d'existence, ni s'exposer à voir un particulier entreprendre ce travail et payer ainsi à la bibliographie les dettes de la corporation1.

Déjà une publication privée nous offre depuis trois ans une partie des services que le journal officiel négligeait de rendre le Catalogue annuel de la librairie française, par M. Ch. Reinwald, est, pour les indications bibliographiques, une réduction, un abrégé du Journal de la librairie; mais il ne se borne pas à enregistrer dans l'ordre alphabétique des auteurs une liste encore très-considérable de livres nouveaux, avec les indications les plus importantes, il contient aussi, dans les limites qu'il s'est imposées, cette fameuse Table systématique dont l'absence nous paraissait tout à l'heure si regrettable. Ici nous voyons d'un coup d'œil la part que peuvent revendiquer, dans les nouveautés de l'année, toutes les branches de la littérature et du savoir : la théologie, la philosophie, le droit, l'économie politique, le commerce et les finances, l'histoire, la politique, la biographie, la géographie et les voyages, les diverses œuvres littéraires, la médecine, les sciences naturelles et mathématiques, la technologie, les beaux-arts et l'archéologie, la philologie, l'éducation; enfin, sous le titre de Divers, les ouvrages qui échappent à toute classification. On ne peut qu'applaudir à la pensée qui a inspiré M. Reinwald; son Catalogue annuel, sans avoir la pré

1. Au moment de mettre sous presse, nous apprenons que le Cercle de la librairie a décidé de reprendre la publication de la fameuse Table systématique. Nous avions donc raison d'espérer dans le dévouement éclairé des membres qui le composent, et nous applaudissons à leur résolution. Les considérations qui précèdent ne seront pas inutiles si elles peuvent contribuer à en faire prendre une seconde, celle de combler par une table générale des trois dernières années une regrettable lacune.

2. Ch. Reinwald, in-8, années 1858, 1859 et 1860; 3 vol. de 288, 328 et 280 pages.

tention de rivaliser avec le Journal de la librairie, dont il a l'honneur pourtant de combler une lacune, répond, dans une mesure très-convenable, aux besoins de l'amateur de livres et du libraire, et ne peut que contribuer à répandre parmi nous les connaissances bibliographiques '.

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Les dictionnaires : les mots, les choses, les idées. MM. Dupiney, de Vorepierre et Boissière.

Qu'on me permette de parler ici de simples dictionnaires, malgré le reproche qui m'a été déjà fait par quelques critiques de ne pas partager leur dédain systématique pour ces sortes de travaux. Je pourrais les renvoyer aux belles pages que Fénelon consacre à ce chapitre dans sa magnifique Lettre à l'Académie française. Il en est des dictionnaires comme des autres ouvrages de seconde main. Si l'on ne doit voir dans le plus grand nombre que des reproductions insignifiantes de travaux antérieurs, quelquesuns peuvent être dignes d'attention et d'éloges. Ils peuvent se recommander, à part leur incontestable utilité, par des mérites qui révèlent chez l'auteur une valeur personnelle. D'ailleurs je ne vois pas qu'un dictionnaire de la langue française soit indifférent à la littérature, ni qu'une encyclopédie universelle où tous les genres de poésie et d'éloquence ont leur place, soit étrangère à notre histoire littéraire.

C'est à ces divers titres que nous n'hésitons pas à signaler ici l'immense travail publié sous le titre de Dictionnaire français illustré, et Encyclopédie universelle, par M. Ber

1. C'est aussi le résultat obtenu par une autre publication que nous avons déjà eu occasion de signaler, le Bulletin international du libraire et de l'amateur de livres (Hachette et Cie, mensuel). Voy. t. II de l'Année littéraire, p. 340.

thet-Dupiney de Vorepierre'. Destiné, dans la pensée de l'auteur, à tenir lieu de tous les vocabulaires et de toutes les encyclopédies, » cet ouvrage contient deux parties très-distinctes, la partie lexicographique et la partie encyclopédique. La première ressemble aux dictionnaires ordinaires de la langue; elle comprend tous les mots usités, poétiques ou familiers, littéraires ou scientifiques, leur prononciation, leur étymologie, toutes les acceptions de leur sens propre ou figuré, les idiotismes et locutions proverbiales, la synonymie même et la solution raisonnée des difficultés grammaticales. L'examen de quelques mots d'un emploi très-compliqué, comme air, amour, corps, esprit, gráce, haut, intérêt, jeu, laisser, ligne, mettre, nature, etc., suffirait pour montrer avec quel soin l'étude de la langue est traitée. Il est difficile qu'un dictionnaire spécial de lexicologie soit à la fois mieux ordonné et plus complet. La seule chose de plus qu'on pourrait désirer peut-être dans un ouvrage uniquement consacré à la langue, serait de trouver, à propos de chaque acception d'un mot, des citations de nos bons auteurs, comme exemples et pour sanction. L'usage paraît être la principale autorité sur laquelle M. Dupiney de Vorepierre appuie ses définitions, et la détermination des acceptions diverses; il a pris au pied de la lettre l'observation d'Horace :

Si volet usus

Quem penes arbitrium est et jus et norma loquendi.

Je ne puis considérer ici la partie encyclopédique du nouveau Dictionnaire français illustré sous la plupart de ses aspects. Je me bornerai à dire qu'elle est rigoureusement universelle. Elle comprend toutes les connaissances humaines, la science l'art, l'industrie. C'est la réunion la

1. Michel Lévy, in-4, environ 20 000 gravures; t. I, A-F, 1328 p.; t. II, G-N, 528 p.

plus complète que je connaisse de traités ou de notions sur tous les objets les plus divers; l'agriculture comme la philosophie, l'algèbre comme la théologie, la botanique comme la stratégie, la marine comme la peinture ou la musique. Sur tous les points, les exposés de M. Dupiney de Vorepierre sont au niveau des derniers résultats de la science; sur quelques-uns ce sont des traités complets. Grâce à un texte presque microscopique réservé à la partie encyclopédique, la matière d'un volume est enfermée dans quelques pages: l'article crédit, par exemple, avec ses vingt-deux colonnes, est un ouvrage entier. Il atteste les prédilections de l'auteur pour l'économie politique, comme certains grands articles scientifiques témoignent de son désir de répondre aux principales préoccupations de l'époque.

Pour rentrer dans le cadre de nos études littéraires, nous dirons qu'on trouvera dans la nouvelle encyclopédie toute la série des articles relatifs à la littérature, à la rhétorique, à la poésie, à l'éloquence, à l'histoire, à la philosophie, à la grammaire, etc. L'auteur y a résumé, sous les divers mots de la langue littéraire, les théories et les règles qu'on trouve réunies dans les traités spécialement consacrés à ces matières. Sans être l'objet d'expositions aussi complaisantes que les articles d'histoire naturelle, de physique, de mécanique ou de géographie, les articles de belles-lettres et de grammaire contiennent toutes les explications désirables, éclaircies par un assez grand nombre d'exemples. Il en est ainsi de la plupart des encyclopédies: la littérature, avec ses notions si peu variables, a toujours l'air d'être comme perdue au milieu des immenses développements que prennent les sciences dans ces grands répertoires des connaissances du moment présent, où les plus nouvelles semblent les plus intéressantes.

Cette réunion dans un même ouvrage du dictionnaire de la langue et d'une encyclopédie peut donner lieu à

quelques objections; elle est, du moins, contraire à nos habitudes. Elle a pourtant ses avantages. La partie lexicologique y gagnera d'être plus complète : les termes scientifiques d'un usage nouveau, que les dictionnaires n'osent pas encore enregistrer, figureront ici, pour donner lieu aux explications de la partie encyclopédique. En outre, les définitions des mots, acceptées par un homme préoccupé d'en donner immédiatement après l'explication scientifique, seront nécessairement plus sévères que celles que se transmettent les dictionnaires purement lexicographiques, et dont l'Académie française a donné de singuliers exemples. Ce n'est pas M. Dupiney de Vorepierre qui aurait eu besoin, pour ne pas définir l'écrevisse « un petit poisson rouge qui marche à reculons, » que le grand Cuvier vînt lui dire que l'écrevisse n'est pas rouge, qu'elle ne marche pas essentiellement à reculons, et qu'elle n'est pas un poisson. Il n'en constatera pas moins, dans sa définition, l'opinion vulgaire sur la marche du crustacé, parce qu'elle explique un certain nombre de locutions éminemment. françaises. Espérons que l'auteur du Dictionnaire français illustré, qui a déjà accompli plus des deux tiers de son immense tâche, conciliera jusqu'au bout les exigences opposées des diverses parties.

Les dictionnaires ordinaires, simples lexiques ou encyclopédies, ont tous ceci de commun qu'ils vous conduisent du mot à l'idée, du nom à la chose. Mais n'y a-t-il pas des cas où l'idée, la chose se présentant à l'esprit, c'est le mot, le nom qui échappe? Ne nous arrive-t-il pas de chercher avec effort, avec impatience, le terme qui rendrait bien notre pensée? Nous l'avons, disons-nous, sur le bord des lèvres, mais il n'en peut sortir; si l'on écrit, il ne vient pas sous la plume. Ne serait-on pas heureux, dans ces luttes contre les trahisons de la mémoire, de trouver pour auxiliaire un répertoire qui nous livrerait le mot rebelle

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