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315. De l'application à l'industrie ou du caractère industriel. Pour être brevetable, il ne suffit pas que l'objet soit de création nouvelle, il faut encore qu'il s'applique à l'industrie, c'est-à-dire qu'il se produise sous une forme telle qu'il puisse être la matière d'une exploitation industrielle. « Une invention, dit M. Renouard, a le caractère industriel, lorsqu'elle donne des produits que la main de l'homme ou les travaux qu'il dirige peuvent fabriquer, faire naître ou mettre en valeur, ou de nature à entrer dans le commerce pour être achetés ou vendus (1). C'est ce que la loi indique par la qualification d'industriel qu'elle donne à tout objet de brevet. Tel est le motif pour lequel elle déclare non brevetables les conceptions scientifiques ou les découvertes théoriques, même susceptibles d'applications industrielles, si on n'a pas indiqué ces applications (art. 30, no 3). Ainsi, le galvanisme, admirable découverte de la chimie, n'était pas brevetable tant qu'il est resté un fait scientifique; il l'est devenu quand MM. de Ruolz et Elkington ont réussi à se servir de la pile de Volta pour la dorure et l'argenture.

Il n'y a pas du reste à distinguer entre les diverses industries, la loi ayant assuré un droit à l'inventeur sur ses découvertes dans tous les genres d'industrie. Aussi pensons-nous avec MM. Blanc et Dalloz, contrairement à un arrêt de la Cour de Paris, qu'un procédé d'embaumement du corps humain a pu faire l'objet d'un brevet, bien que le corps humain ne soit pas dans le commerce, parce que le procédé en lui-même est un objet de spéculation industrielle (2).

316. Objets auxquels s'applique spécialement et limitativement le brevet d'invention. Mais tout objet nouveau appliqué à l'industrie n'est pas susceptible d'être valablement breveté. La marque imaginée par le fabricant pour désigner ses produits, le dessin inventé pour une étoffe, la forme nouvelle trouvée pour un appareil connu, tout cela est création industrielle, objet de droit privatif (3), mais non susceptible d'être breveté. La loi a réservé le brevet pour les créations industrielles qui constituent, soit de nouveaux produits, soit de nouveaux procédés de fabrication. Ce sont là les créations auxquelles elle donne plus spécialement le nom d'invention, et qu'elle définit de la manière la plus précise en les classant en trois catégories :

(1) Renouard, Traité des brevets, n. 57.

(2) Paris, 14 mars 1844.-Voir Blanc, 446.-- Dalloz, n. 83.

(3) Voir les chapitres ci-après sur les marques, les dessins de fabrique, la sculpture industrielle.

1° Invention de nouveaux produits industriels;

2. Invention de nouveaux moyens pour l'obtention d'un résultat ou d'un produit industriel;

3. Application nouvelle de moyens connus pour l'obtention d'un résultat ou d'un produit industriel.

Il n'y a d'invention brevetable, quelle qu'en soit la nouveauté, même dans le domaine de l'industrie, que celle qui rentre dans l'une ou l'autre de ces trois classes, produits, moyens, applications. Il importe donc de les définir avec le plus grand soin. 317. Des produits industriels, brevetables en euxmêmes. 1° On entend par produit industriel un objet matériel, un corps certain, soit fabriqué de toutes pièces, soit obtenu de la nature même par le travail de l'homme. Ainsi un appareil, une étoffe, un produit chimique, sont dans le sens de la loi des produits brevetables, s'ils sont nouveaux.

Les produits industriels, à la différence des moyens, sont brevetables en eux-mêmes et indépendamment de l'emploi qui peut en être fait. Ainsi, la Cour de cassation a jugé récemment que si un mode de traitement médical ne peut être breveté, parce qu'il n'est point objet d'industrie, l'agent matériel, l'appareil mécanique (tel qu'une ceinture orthopédique), au moyen duquel ce traitement a lieu, est un véritable produit industriel, et a pu devenir à ce titre la matière d'un brevet (1).

En conséquence des mêmes principes, ce serait surtout, selon nous, comme produit nouveau que devrait être breveté en luimême un instrument de musique construit dans de nouvelles proportions, donnant une nouvelle qualité de sons, et méritant à ces divers titres la qualification de nouvel instrument (2).

318. Des moyens brevetables : agents, organes, procédés. — 2o Les moyens brevetables sont en général tout ce qui sert à obtenir un produit ou un résultat industriel. On peut distinguer trois espèces de moyens industriels, à savoir : les agents, les organes et les procédés. Les agents sont les forces empruntées à la nature, mais qui peuvent être l'objet de découvertes nouvelles, telles que l'électricité, le galvanisme, la force élastique de l'air, de la vapeur, la force centrifuge (3). Les organes sont les éléments mécaniques, les ressorts de toute nature à l'aide desquels s'effectue une opération; et non pas seulement

(1) C. cass., 30 mars 1853 (Guérin.-Sirey, 53.1.264).

(2) C. cass., 9 février 1853, arrêt relatif aux instruments de Sax (Sirey,53.1.193). (3) Voir dans la discussion de l'art. le discours de M. Delespaul.-Vergé et Loiseau, Loi sur les brevets d'invention, p. 46 et 47.

les combinaisons compliquées de la mécanique, mais les instruments les plus simples: ainsi la toile métallique qui empêche la combustion de se communiquer (lampe de Davy); ainsi la vis d'Archimède qui permet de faire descendre les gaz sous une couche d'eau, etc. En ce sens tous les appareils, tous les mécanismes employés par une fabrication sont des moyens, tout en étant en même temps des produits, et sont brevetables à un double point de vue.

Les procédés sont les indications, les méthodes, à l'aide desquelles un résultat industriel peut être réalisé; par exemple, la détermination des proportions dans lesquelles divers éléments doivent être combinés pour obtenir un produit marchand. La chimie industrielle présente une foule d'exemples de procédés de ce genre:

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Il peut donc y avoir lieu à brevet, soit pour l'emploi d'un instrument matériel et mécanique dans une opération, soit pour l'invention d'un élément ou d'un système particulier, servant à l'effectuer sans aucun instrument nouveau : procédé en un cas, gane ou agent dans l'autre, et dans tous moyens brevetables. 319. D'où résulte la nouveauté des moyens. nouveauté d'un moyen peut résulter, soit de la création d'un procédé ou appareil absolument nouveau, soit et tout aussi bien d'une combinaison nouvelle de divers éléments isolément connus. Aussi la Cour de cassation a-t-elle dû censurer les arrêts qui, au lieu de considérer un procédé dans son ensemble, appréciaient séparément les différents organes dont la combinaison constituait le procédé breveté, et les scindaient pour en calculer l'importance et la nouveauté (1).

320. Dans quel cas un système ou une méthodë est brevetable. Signalons une conséquence importante des principes qui viennent d'être exposés.

Pour savoir si un système est ou non brevetable, ce qu'il importe de rechercher, ce n'est pas s'il s'applique à l'aide de tel ou tel instrument matériel nouveau, ou s'il ne consiste, au contraire, que dans l'indication d'une méthode à suivre; mais il faut vérifier uniquement s'il a reçu de son auteur une application à l'industrie.

Un système, en quoi qu'il consiste, est brevetable par cela seul qu'il a une application industrielle. En effet, le motif pour

(1) C. cass., 1or mai 1851 (Sirey, 52.1.65).— 5 février 1853 (Dalloz, 1855.5.54 et 55, aff. Briet).

lequel une pure méthode, un principe théorique, n'est point brevetable, ce n'est pas l'absence d'organes corporels, mais le défaut d'emploi dans l'industrie. Du moment où l'usage industriel apparaît, la méthode devient brevetable. Ainsi une méthode de lecture, comme on le verra ci-après (no 458), n'est pas brevetable, parce que l'enseignement auquel elle est appliquée n'est pas un objet d'industrie. Au contraire une méthode nouvelle de cuisson du verre sera valablement brevetée, quelle que soit sa nature, parce qu'elle s'applique à un objet industriel. Une telle méthode, un tel système, est un moyen ou procédé industriel, dans le sens de la loi.

On ne saurait trop se pénétrer de ces principes qui n'ont pas toujours été observés par la jurisprudence, mais auxquels la Cour suprême tend de plus en plus à ramener les tribunaux.

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321. Des combinaisons industrielles dépourvues de tout organe extérieur. La portée extrême du mot moyen, entendu dans le sens de simple méthode appliquée à l'industrie, a été indiquée par un arrêt remarquable de la Cour de cassation, du 19 février 1853, qui décide qu'une combinaison purement chimique, lors même qu'elle ne se manifeste par aucun organe extérieur, est brevetable s'il est constaté qu'elle produit un résultat industriel. Spécialement dans l'industrie du sucre, la détermination d'un degré particulier de calorique qui, sans changement des appareils et des agents employés, modifie les réactions chimiques effectuées dans l'opération de la raffinerie, et permet d'obtenir, en moins de temps et à moins de frais, un sucre plus blanc, de meilleure saveur et dans des conditions préférables, constitue une invention susceptible d'être brevetée (1).

Nous croyons que, d'après cette jurisprudence, un procédé pour la coupe économique des vêtements, consistant dans un système calculé pour faire le meilleur emploi possible d'une pièce d'étoffe, présente, en vertu de son application à l'industrie, le caractère d'une invention brevetable, et que la Cour de cassation ne maintiendrait pas aujourd'hui la jurisprudence contraire qu'elle semble avoir admise par arrêt du 21 avril 1840 (2).

C'est ce qui résulte d'un arrêt fort récent (21 avril 1854), d'après lequel, « si l'indication d'une proportion géométrique ne peut être en elle-même l'objet d'un brevet, et s'il en est de même de l'emploi d'une planche présentant un triangle, un ovale, une

(1) C. cass., 19 février 1853, aff. Rousseau (Sirey.53.1.662).
(2) Aff. Heintz (Dalloz, v° Brevets, no 82).—Voir Vergé et Loiseau, p. 57.

équerre, ou toute autre forme ou figure, leur combinaison, pour obtenir des produits industriels nouveaux, peut cependant être considérée comme constituant une invention susceptible d'être brevetée (1). »

322. A quelles conditions peuvent être brevetées les formes. De l'arrêt du 21 avril 1854 ressort encore cette conséquence, que si les formes des objets ne sont pas brevetables en elles-mêmes, elles le deviennent cependant à titre de moyens, quand la conformation nouvelle d'un objet sert à obtenir un résultat nouveau. Il est ainsi spécialement d'une modification dans les formes et les proportions d'un instrument de musique, telle que la suppression des angles et l'agrandissement du rayon des courbes, alors que l'adoption de la nouvelle forme a pour effet d'amoindrir les obstacles à la progression de l'air dans l'instrument (2).

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323. Les résultats non brevetables en eux-mêmes. – Distinction entre les résultats et les produits. Le moyen n'est brevetable que dans ses applications à l'industrie; et c'est pourquoi la loi dit : « moyen pour l'obtention d'un produit ou d'un résultat industriel. » Or, produit et résultat sont deux choses essentiellement distinctes au point de vue de la brevetabilité, et dont la différence doit être expliquée avec soin.

Le produit, comme on vient de le dire, est brevetable en luimême s'il est nouveau, quels que soient les moyens employés pour le créer; d'où il suit que s'ils sont nouveaux eux-mêmes, il peut y avoir matière à brevet tout à la fois pour les moyens et pour le but (voir no 317). Au contraire, le résultat n'est pas brevetable en lui-même et indépendamment des moyens employés pour l'effectuer; de sorte qu'il n'y a que le moyen, et jamais le résultat, quelque nouveau qu'il soit, qui puisse être breveté. Ce principe fondamental dont les applications sont continuelles, et qui ressort évidemment du texte même de la loi comme d'une jurisprudence constante (3), était impérieusement réclamé par les exigences du progrès de l'industrie. Résultat industriel, en effet, signifie tout avantage, toute amélioration obtenue dans une opération industrielle, sans constituer un corps

(1) Aff. Revel c. Mathieu (Sirey, 54.1.490).

(2) C. cass., 9 fév. 1853 (Sax).

(3) C. cass., 18 mai 1848 (Dalloz, 48.5.55); 4 fév. 1848 (id.), où on lit : « L'obtention d'un résultat industriel ne peut étre brevetée indépendamment des moyens employés pour l'obtenir, » 26 mars 1846 (Dalloz, 46.4.46).-Paris, 23 août 1845 (Duchesne.-Dalloz, vo Brevet, n. 196).-Vergé et Loiseau, p. 47.

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