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reau eft empêtré & gêné par les fièges & les bancs de bois, il ne peut caufer que bien peu de malheurs avant qu'on ait achevé de le tuer. Quoi qu'on puiffe dire contre ce fpectacle un peu féroce, il paroît que la politique le doit permettre, pour retirer le peuple Espagnol d'une forte d'engourdiffement & d'indolence, qui acheveroit de le plonger dans la ftupidité. C'eft un remède violent contre une maladie de l'ame la plus funefte à une Nation.

.Dans la defcription que l'Auteur fait du Falais du Roi à Madrid, les Tableaux tiennent une bonne place. Jamais auffi Palais de Monarque ne fut plus riche en ce genre. Parmi les ouvrages du Titien, un de plus remarquables eft une Bacchante, couchée fur le dos & endormie. Le vin qu'elle eft fuppofée avoir bu, répand fur fon charmant visage, une teinte animée. Son corps eft d'une beauté parfaite L'un des grands Peintres de ce fiécle, a avoué qu'il n'avoit jamais paffé devant ce Tableau, fans être frappé d'admiration.

N°. 41. 9 Octobre 1787. E

Il eft temps de venir au petit nombre d'observations que notre Voyageura faites fur les mœurs Efpagnoles. L'indolence infouciante, qui eft également chère à l'homme fauvage & à celui qui eft devenu l'efclave du defpotifme, n'eft nulle part autant chérie qu'en Efpagne. Dans toutes les parties du Royaume, on voit des centaines d'hommes paffer toute la journée, enveloppés dans leurs manteaux, & appuyés l'un à côté de l'autre, contre un mur, ou dormant fous un arbre. N'étant excités au travail par aucun motif, leurs facultés intellectuelles perdent leur reffort; leurs penfées fe bornent à celle de leur existence, & ils n'ont pas l'air d'efpérer ni de fonger à autre chofe qu'à leur manière de végéter. Ils n'éprouvent que peu ou point d'intérêt pour le bonheur ou la gloire de leur pays, dont la plus grande partie eft devenue le partage de plufieurs familles confidérables qui s'occupent rarement de l'état de leurs vaffaux. Le peuple Efpagnol n'eft jamais tenté de travailler, à moins qu'il n'y foit porté par un befoin irré

fiftible, parce qu'il n'apperçoit aucun avantage résultant de l'industrie. Comme fa nourriture & fes vêtemens ne lui caufent qu'une très légère dépenfe, il n'employe au travail que le temps néceffaire pour le procurer la petite provifion que fa fobriété demande. Un paysan refufera de faire une commiffion, parce qu'ayant affez gagné dans la matinée pour fournir à la fubfiftance de la journée, il ne voudra plus fe donner de peine. On convient cependant que cette pareffe n'eft point effentiellement inhérente au caractère des Efpagnols: on a laiffé éteindre en eux le feu de l'émulation. Quand ils font animés de quelque paffion, toute leur vivacité naturelle toute leur ardeur fe reveille, & l'on retrouve en eux une vigueur dont ils ont donné, même dans des évènemens publics, des exemples étonnans. Leurs Soldats font braves, & fupportent avec patience toutes les calami. tés de la guerre. Si les Officiers les conduifent ils les fuivent fans la moindre oppofition, quand même ils les meneroient à la bouche du canon;

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mais fi leur Commandant ne leur en donne pas l'exemple, rien au monde ne peut les faire marcher.

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« Si nous avons quelquefois trouvé, dit l'Auteur, que le peuple manquoit de politeffe & de prévenance moins nous ne l'avons jamais vu méchant. Comme nous n'avons pas eu l'occafion d'être témoin de fes excès, nous ne pouvons parler de la violence de fa jaloufie ni de fa vengeance fur lefquelles beaucoup d'Ecrivains fe font étendus avec plai fir.

L'éducation eft extrêmement négligée en Espagne, même dans la claffe des Grands. On ne fçait comment, de la manière dont ils font élevés, ils ont appris à lire & à écrire, ou comment ils font pour ne pas l'oublier. Il eft difficile de dire à quoi ils paffent leur temps, ou par quels moyens, fi ce n'est par leur inattention à leurs affaires, ils viennent à bout de diffiper leurs immenfes for tunes. Dans les grandes maifons, il y a un ufage fort couteux, qui peut y contribuer quand une fois un do

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meftique y eft entré, on ne le renvoye jamais, à moins qu'il n'ait commis quelque grande offenfe; lui & fa famille y font penfionnaires auffi long-temps qu'ils font au monde. Les Grands font devenus, par une fuite d'ayeux dégénérés, une race de pygmées, qui s'éteint faute d'héritiers; ce qui amenera fûrement, par dégrés, la réunion de tous les titres & de tous les biens, fur une ou deux têtes de ces grandes maifons. Le Comte d'Altamear n'a pas moins de dixneuf Grandeffes réunies en fa perfonne. Quoiqu'ils s'appellent tous Grands de la première claffe, comme pour marquer la prééminence fur ceux d'un dégré plus bas, néanmoins il n'existe pas de feconde ou de troifième claffe; & ce feroit faire une très grar.de injure, que de fuppofer que quelqu'un d'eux fût d'un rang inférieur au refte du corps. Peut-être y a-t-il quelque différence entre les marques extérieures de respect que le peuple rend aux defcendans des Héros qui ont illuftré les Annales de l'Espagne, & celfes qu'il rend aux Grands d'une Fiij

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