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avec énergie, la triste décadence dont nous fommes témoins, que d'en rechercher curieufement & fechement les causes. Il eft vrai qu'il n'est point Philofophe, mais il eft Orateur, & s'il n'inftruit pas beaucoup, il touche, il entraîne; il fait éclater par-tout le courage & l'indignation d'un hỏnnête homme : cela vaut mieux que les réfultats fouvent trop hazardés d'un aride penfeur. C'eft fur-tout pour les jeunes gens, qu'il paroît avoir écrit ; & il a dû leur infpirer une horreur utile pour les abus & les vices que la mode ard femble avoir confacrés.

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Mais, ajoutent les critiques, il ne dit rien de neuf, les Auteurs qu'il fait paffer en revue, ont été jugés cent fois, avec plus de fineffe & de profondeur: cet étalage d'une érudition facile & commune, n'en impofe qu'aux ignorans ; ce n'eft qu'une compilation de ce qu'on dit tous les jours dans certains journaux, un amas de déclamations outrées & rebattues. Afsûrément on doit paroître aujourd'hui très-neuf, quand on fronde les ridicules du jour & tous les tra

vers à la mode; quand on ofe oppofer la raifon & le bon fens aux extravagances philofophiques de toute espèce, dont le public eft tous les jours la dupe; quand on heurte toutes les opinions de fonfiécle, tous les préjugés de ce qu'on appelle la bonne compagnie, fouvent plus abfurdes que ceux du peuple. Ce courage dans tous les temps, fut toujours très rare & trèsnouveau. Il eft vrai que les Auteurs anciens, cités par M. de Juvigny ont fouvent été jugés & même avec plus de précision & d'exactitude: auffi cette partie de fon Ouvrage qui comprend la littérature ancienne, m'a-t-elle paru la plus foible & la moins utile: notre fiécle ne lui fourniffoit il pas affez de matière ? fes jugemens de Fontenelle, de Voltaire, de J. J. Rouffeau, de d'Alembert, &c. font moins communs & plus faillans: je conviens qu'il n'eft ni le premier ni le feul qui ait apprécié à leur jufte valeur, ces hommes trop vantés, & dont la célébrité nous a couté fi cher; #ais la manière dont il a exprimé fes idées lui appartient, & cette ma

nière eft très-piquante: c'eft un grand mérite de l'Auteur d'avoir fçu ra jeûnir par un nouvel intérêt, d'anciennes obfervations qu'il eft trèsimportant de rappeller fans ceffe au public.

Enfin, & c'eft le plus grand de fes griefs aux yeux de certains fanatiques; on l'accufe d'irrévérence, & même d'une espèce de facrilége envers les Dieux de notre littérature moderne. On ne lui pardonne pas d'avoir renverfé les ftatues de Voltaire & de J. J.. Rouffeau. Ce font des efprits légers, des enthoufiaftes, & non pas des Philofophes, des hommes inftruits, qui lui font un pareil reproche. Le fage 'met les vertus & les mœurs fort audeffus du génie & des talens; il préfére les bonnes actions aux belles phrafes; il ne fait aucun cas de Téloquence & de la Poëfie, quand elles ne fervent qu'à flatter le vice, & à parer le menfonge. Les ouvrages de Voltaire & de J. J. Rousseau n'ont été d'aucune utilité pour la littérature, qui n'en étoit pas moins floriffante avant qu'ils euffent paru; mais ils

ont perdu l'éducation en France; ils ont empoisonné la jeuneffe, détruit la Religion, corrompu les mœurs; & l'on veut qu'un honnête homme, qu'un bon citoyen rende hommage à des talens funestes & meurtriers. Les jeunes gens ne font-ils pas déjà affez difpofés à adorer ces perfides enchanteurs qui flattent fi agréablement toutes leurs paffions, & remuent fi puiffamment leur imagination foible & tendre; faut il qu'un homme fait pour les éclairer, contribue lui-même à les: féduire par des éloges indifcrets? ne doit il pas plutôt leur arracher des mains ces écrits dangereux, & leur en inspirer de l'horreur. Eh! quoi, le vulgaire imbécille n'a-t-il pas affez encenfé Voltaire & Rouffeau; ne leur a-t-il pas dreffé des autels, élevé des ftatues, rendu les honneurs divins? ne fait-il pas des pélerinages à leur tombeau faut-il que les vrais Philofophes fe rendent auffi complices de cette honteufe idolâtrie? eft - on un grand homme, eft-on un Dieu pour avoir fait de beaux vers, & de belle profe, pour avoir dit des fottifes

harmonieuses? & qu'importe à la patrie, à l'humanité, au bonheur public, des Poëmes, des Romans, & tout l'artis fice de l'éloquence? Combien de Nations heureufes ont fçu se paffer de ces brillantes bagatelles? Aux yeux d'un vrai Philofophe, l'honnête homme, le citoyen vertueux eft bien au-dessus du Poëte & de l'Orateur ,qui font métier de tromper & de féduire. Le génie eft fans doute le plus noble préfent du Ciel, quand on en fait ufage pour éclairer fes femblables pour les rendre meilleurs; mais c'est le plus terrible fléau de la fociété quand on s'en fert pour égarer & pour corrompre. Il n'y a que le ftupide vulgaire qui proftitue fon admiration à ces brigands illuftres, décorés du nom de conquérans; le fage déplore tant de vertus employées à ravager la terre. Les adorateurs aveugles d'un talent frivole & dangereux, ne prétendent pas fans doute au titre de Philofophes: les Prêtres de Voltaire & de J. J., font ou des fanatiques ou des fourbes : l'homme de bien ne fléchit point le genou

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