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Augufta eft une Veftale. Voilà d'abord une grande hardieffe: ce n'eft pas la feule. Cette Veftale a un fils nommé Agathocle. Gardez-vous bien, Monfieur, de l'en eftimer moins: elle a eu ce fils avant d'entrer au Temple de Vefta. Mais, direz-vous, on n'y étoit admis ni avant ni après l'âge de dix ans. Cela eft vrai: mais l'Auteur n'y a pas fongé ; & après tout, fi la Tragédie eft bonne d'ailleurs, je me fens difpofé à lui paffer cette méprife, fuivant le précepte d'Ariftote, qu'un Auteur tragique ne répond pas des faits antérieurs à fa Tragédie. Augufta a donc un fils, fruit d'un hymen clantdeftin; c'eft après la mort de fon époux, qu'elle s'eft confacrée à l'entretien du feu immortel. Le cloître eft ouvert au repentir auffi bien qu'à l'innocence. Son fils a été élevé à Athènes ; il a été difciple de Socrate; après la mort de ce grand homme, il a par dégoût quitté la Grèce & eft venuse fixer à Rome au lieu de s'y tenir caché, d'y jouir en fecret de la douceur d'embraffer sa mère, jeune im prudent, il fronde la Religion des

Romains, la pluralité des Dieux, & parle à qui veut l'entendre, d'un feul Dieu, oubliant que fa mère eft Prêtreffe de Vefta. Cette indifcrétion va fervir de prétexte à Domitius, Conful, amant d'Augufta. Il a vu ce jeune homme dans le Temple de Vefta, il a furpris les tendres follicitudes de la Prêtreffe: l'Amour rend aveugle ; il prend Agathocle pour un rival: dèsfors il cherche à le perdre ; il tire parti du fanatifme du Grand-Prêtre, & lui dénonce un jeune impie : l'autre prend feu, & avec toute la bonne foi du monde, fert, fans s'en douter, la vengeance & la jaloufie du Confuk Cela en vient au point qu'il confent à laiffer Domitius feul juge de cette affaire. chofe très peu vraifemblable. Le peuple s'affemble; & dans une matière de Religion, le GrandPrêtre n'eft que, fubalterne, & eft affis au deffous du Con'ul, monté fur le trône. Agathocle debout, fe défend avec une fimplicité affez noble (il faut être jufte) &, qui auroit mieux été fentie, fans les trivialités dont le rôle du Grand-Prêtre abonde ; c'étoit

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une lutte affez bizarre entre le GrandPrêtre & le jeune accufé, à qui met. troit le public de fon côté : on applau diffoit aux réponses d'Agathocle, on huoit les interrogations du GrandPrêtre pour moi, toujours impartial, j'ofe le dire, & attentif, j'ai trouvé une forte de hardieffe intéreffante, à amener ainfi un bel éloge de Socrate; & à tout prendre, j'aurois goûté cette scène, fi elle n'avoit à la fin dégénéré en longueurs un peu triviales. C'eft en général le défaut de cette Tragédie l'Auteur ne fçait point s'arréter Refté feul avec Agathocle, le Conful, de juge implacable, redevient rival furieux, & veut arracher au jeune homme, fon fecret: Augufta puiffammentcombattue, fait au Conful l'aveu de fes premières amours, & déclare qu'Agathocle eft fon fils. Cette confidence tranquillife un peu Domitius, & il confent à fauver Agathocle fi fa mère lui donne fa main. Grand combat entre la nature & l'honneur. Il y a une fcène éternelle où la mère balance long-temps, puis paroît décidée à facrifier fes répugnances à

fon amour pour fon fils; où celui-ci reproche à la mère fa complaifance & fa foiblefle, & où le Conful joue le rôle le plus lâche & le plus pitoyable du monde & va julq'à menacer Augufta de révéler fon fecret, fecret confié à fa foi & à fon honneur & enfin, Augufta rejette fa main. Domitius eft inflexible, & veut, à quelque prix que ce foit, époufer une Veftale veuve & mère: Agathocle marche à la mort fans crainte, trop heureux de fauver en mourant, la vie & l'honneur à fa mère. Longue fcène encore, où il harangue le peuple, & invoque les mânes de Socrate; c'eft véritablement la scène de Polieudte mourant ; car dans toute cette Tragédie, c'est tantôt Polieude & tantôt Mérope. Il alloit périr enfin fi une Veftale, confidente d'Augufta, ne fe fût rencontrée là très - à propos, & n'eût réclamé le privilége qu'avoient les Veftales, de fauver le criminel qui fe trouvoit fur leurs pas. Il lui en coute un menfonge, il eft vrai; car elle jure que c'eft par hafard qu'elle fe trouve là; & en confcience, le

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public ne fçauroit le croire. Quoi qu'il en foit, Agathocle eft fauvé : Augufta parcit alors, pâle, tremblante, échevelée. Elle vient raconter les violences de Domitius, le péril qu'elle a couru, la jufte fureur du peuple qui a déchiré ce brutal Conful Ce récit eft affreux, mais il a de l'énergie: quoi qu'il en foit, le crime eft puni, & la vertu récompensée.

Il y a trois chofes à obferver ea ceci, Monfieur: le mérite de l'ouvrage, l'effet qu'il a produit, & le talent de l'Auteur. On ne peut pas dire que ce foit là une bonne Tragédie le fujet en eft bizarre, fondé fur une erreur de fait! Augufta & fon fils infpirent une forte d'intérêt': il y a quelque chofe de touchant dans l'hommage qu' Agathocle rend à fon maître, dans sa juftification, dans fes dernières paroles; & tout cela auroit fait effet, fi tout cela n'avoit pas été trop long & déparé par des trivialités choquantes. Mais Domitius eft un forcéné, un lâche, un monftre. Maxime, le Grand - Prêtre, est un fanatique, qui encenfe baffement le

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