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affociés avec des Comédiens, pour mener une vie ambulante; avec cette différence que Goldoni n'a fuivi les troupes de Comédiens, qu'en qualité d'Auteur.

Né à Venise en 1707, d'une famille diftinguée, élevé avec le plus grand foin, destiné d'abord à la Médecine, enfuite à la Jurifprudence, reçu Avocat à Venife, où il exerça quelque temps la profeffion, il quitta cette Ville pour éviter un mariage qui l'auroit ruiné; dès-lors il renonça à Cujas & à Bartole , pour fuivre Plaute & Térence: fon talent pour la Comédie fe fait connoître ; bientôt les troupes de Comédiens fe l'arrachent; de nombreux fuccès fur prefque tous les Théâtres d'Italie lui établiffent une réputation brillante. Sa Comédie du Fils d'Arlequin perdu & retrouvé, apportée à Paris, par M. Zanuzzi, premier Amoureux de la troupe Italienne, fous le nom de Celio, fait naître aux Italiens de cette Capitale, le défir d'attirer auprès d'eux M. Goldoni, pour leur compofer des pièces capables de ramener le

public à leur Théâtre abandonné : on lui écrit en conféquence; il accepte & fe rend à Paris, avide de voir le feul pays du monde où la bonne Comédie fût connue & goûtée.

Les deux premiers volumes de ces Mémoires, qui contiennent l'Hiftoire de M. Goldoni, jufqu'à fon paffage en France, font les moins agréables & les moins intéreffans pour le commun des lecteurs François, Cependant ils font femés de traits piquans, d'anecdotes curieufes & plaifantes, & racontées avec beaucoup de grace & de vivacité. Ce qui frappe d'abord, c'eft le ton naïf, la gaieté franche, l'air de vérité & de bonhomie qui règnent dans toute la narra tion: le fonds des aventures n'elt pas affûrément fort important; ce font les étourderies de fa jeuneffe, fes querelles avec la famille, fes imprudences & les difgraces qu'elles lui ont attirées; ce font fes amours avec les Comédiennes, & les infidélités qu'elles lui ont faites; fes tracaffèries avec les Comédiens; les détails de fes courles & de fes voyages dans les différen

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tes Villes d'Italie; quelques mots, mais très rarement fur les mœurs & ufages de ces Villes; les extraits de fes pièces, l'occafion qui lui en a fait naître l'idée ; leurs bons ou mauvais fuccès. Ces bagatelles font extrêmement relevées par une manière de raconter très-faillante, très - ingénieufe, quoique toujours naturelle. Par tout on reconnoît le Poëte dramatique qui dialogue fupérieurement, & d'un rien fçait faire une fcène charmante: ce qui fait peutêtre plus d'honneur encore à M. Goldoni, c'eft que toute la fuite de fa -vie annonce un bon cœur, une ame droite & honnête, un caractère doux, fans amertume & fans fiel, peu fuf. ceptible des paffions violentes, une aimable philofophie, qui fçait s'ac commoder des hommes tels qu'ils font, qui fupporte dans les autres la méchanceté, l'envie, l'ingratitude, la trahifon, comme on fupporte les infirmités & les maladies attachées à la nature humaine: fouvent contrarié dans fes vues, fouvent perfécuté par les hommes & trompé par les

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femmes, il ne fe plaint jamais; en parlant de fes malheurs, il n'en devient pas plus éloquent ni plus, énergique bien différent de quelques Ecrivains célèbres de notre temps, qui auroient perdu la moitié de leur éloquence, s'ils n'avoient pas eu des injuftices à déplorer, des ennemis à repouffer, des calomnies à confondre; M. Goldoni raconte prefque du même ton de gaieté, le bien & le mal qui lui eft arrivé; il n'exhale point en invectives fanglantes, en tirades mifanthropiques, cette fenfibilité ombrageufe & farouche fruit d'une tête exaltée & romanefque, & furtout d'un orgueil & d'un amour-propre indomptables. S'il n'a pas l'extrême perfection du style de J.J. Rouffeau, & les rares beautés qu'il a répandues dans fes Confeffions, il n'a point auffi fon infupportable vanité, fon impu dence cynique, fa folie & fa bile.

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Le troisième volume des Mémoires de M. Goldoni doit être le plus agréable pour les lecteurs François; il contient le détail de fon féjour à Paris. On eft charmé de fçavoir ce

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que pense un homme de ce mérite, de nos promenades, de nos fpecta-' cles, de notre littérature, de nos plaifirs en tout genre. On y auroit peut être défiré un peu plus de critique, un peu plus de cette philofophie qui obferve & qui juge : notre Vénitien loue tout, eft enchanté de tout, gliffe fur la fuperficie de tous les objets. Les éloges qu'il donne aux Acteurs qui compofoient alors le Théâtre François & Italien, quelque bien fondés qu'ils foient d'ailleurs font des éloges, & non pas des jugemens; & l'on auroit été très curieux des jugemens d'un auffi fin connoiffeur. Ce qui m'a frappé, c'eft le boulevérlement qui s'eft fait fur ces deux Théâtres depuis 1762. Des Acteurs & Actrices qui brilloient alors, if ne reste aux Italiens que Clerval, aux François que Molé, tout le refte a difparu, & aucun de ces fujets n'eft remplacé. La feule Mme. Dugazon ne fait regretter perfonne à la Comédie Italienne. Pour ne parler ici que du Théâtre François, je crois qu'il n'offrit jamais, depuis fon, origine, un en

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