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concerne J. J. Rouffeau: M. Goldoni avoit formé d'abord le deffein de lire fon Bourra bienfaisant au Citoyen de Geneve; il lui fit demander un rendez-vous; & l'ayant obtenu, il fe rend rue Plâtrière, à l'hôtel de la Plâtrière, monte au quatrième étage, & frappe. Une femme qui n'eft ni jeune, ni jolie, ni piquante, vient ouvrir: il fe nomme; on l'introduit. Il voit l'Auteur d'Emile,occupé à copier de la mufique, qui fe lève auffi-tôt pour le recevoir, &. lui dit, tenant ur cahier à la main : voyez fi perfonne copie de la mufique comme moi; je défie qu'une partition forte de la preffe auffi belle & auffi exacte qu'elle fort de chez moi; allons nous chauffer. Il demande une bûche, & c'eft Madame Rouffeau qui l'apporte. M. Goldoni fe range, & offre fa chaife à Madame : ne vous gênez pas, dit le m ari, ma femme a fes occupations. Dans le cours de l'entretien P'Auteur du Bourru bienfaifant amène Rouffeau au point de lui demander la lecture de fa Pièce; c'étoit ce qu'il vouloit: mais il en fut détourné par l'aventure fuivante, N°. 43. 23 Odobre 1787. L

«J, J. Rouffeau avoit des amis, & » beaucoup d'admirateurs à Paris. M***, étoit du nombre des uns & » des autres; il l'aimoit, il l'eftimoit, » & le plaignoit en même temps, con» noiffant auffi bien fa détreffe que fes >> talens.

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» M***, proposa au Littérateur Géne »vois un appartement tout meublé très-joli, très-commode, près du » Jardin des Tuileries, & pour ne pas » bleffer la délicateffe de fon ami, il lui offrit ce logement pour le même » prix qu'il payoit à fon hôtel garni. M. Rouffeau s'apperçut de l'intention » de cet homme généreux; il le re» fufa brufquement, & cria tout haut, » qu'il ne vouloit pas être trompé.

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»M***, qui étoit Philofophe auffi, » mais qui étant François, fçavoit » allier la politeffe à la philofophie »ne fe fâcha pas du refus ; il connoif» foit l'homme, & lui pardonnoit fes foibleffes; il ne ceffa pas de le voir » & montoit paisiblement à un qua>> trième étage pour s'entretenir avec » lui.

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» Il avoit entendu parler des Confef

"fions de J. J., ou en partie, & » ayant lui - même dans fon porte» feuille, des caractères du fiècle qu'il » avoit compofés à la manière de Theophrafte & de la Bruyere, il.pro» pofa à fon ami la lecture réciproque » de ces deux ouvrages.

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» M. Rouffeau accepta la propofi» tion, mais à condition que M*** » accepteroit un fouper frugal à l'hô»tel Plâtriere; celui-ci fit voir qu'ils feroient plus commodément chez lui; c'eft égal, dit l'autre, il faut » que ce foit chez moi, ou nous ne » lirons pas; tout au plus, ajoute-t-il, »je vous permets d'apporter une » bouteille de votre vin, car on m'en » donne de très-mauvais où je fuis » logé.

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» Le François docile s'accommode à tout; mais malheureusement il » étoit trop honnête, trop poli, il envoie une corbeille avec fix bou» teilles d'excellent vin, & fix bou> teilles de Malaga. Cette furprise rend » le Genevois de mauvaise humeur, » Le François arrive, il s'en apperçoit, il en demande l'explication.

Nous ne boirons pas, dit l'homme » fâché, douze bouteilles de vin à » nous deux, j'en ai tiré une de votre » corbeille, & c'eft bien affez pour un » petit fouper; renvoyez le reste sur » le champ, ou vous ne fouperez pas

>> chez moi,

La menace n'étoit pas effrayante, » mais c'étoit la lecture qui intéres» foit le convive; fon domestique » étoit là, il lui fait remporter la » corbeille; Rouffeau eft content, & c'eft lui qui lit le premier.

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» Le renvoi du vin leur avoit fait perdre du temps; la lecture eft in» terrompue par Mme. Rouffeau, qui » avoit befoin de la table pour mettre » le couvert; on auroit pu lire fans » table, mais le fouper fut fervi dans » le même inftant; une poularde, une falade, & voilà tout.

Le fouper fini, c'est à M*** à » faire la lecture: il lit un chapitre, c'eft fort bien, il eft applaudi; il > en lit un fecond, M. Rouffeau le » lève, il fe promène d'un air trèspiqué, très-fâché. Interrogé fur le motif de fa colère; on ne vient pas

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» répond-il, chez les honnêtes gens » pour les infulter. Comment! dit » l'autre, de quoi vous plaignez-vous? Vous n'avez pas à faire à un fot, reprend le Philofophe, c'eft mon portrait que vous avez tracé avec un » coloris chargé, avec des traits faty» riques, c'eft affreux, c'eft indigne!. >> Tout doucement, dit le François, je vous aime, je vous eftime, vous » me connoiffez; c'eft un homme dur, » fâcheux, acariâtre que j'ai voulu peindre. on en rencontre fi » fouvent dans la fociété. Oui, oui, reprend M. Rouffeau, je fçais que je "paffe pour tel dans l'efprit des ignorans ; je les plains, & je les méprife; mais je ne fouffrirai pas » qu'un homme comme vous, qu'un >> ami.... vrai ou faux, vienne fe "moquer de moi.

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M*** eut beau faire, eut beau » dire, il ne put rien gagner; la téte » de l'autre étoit mal montée, ils » finirent par fe brouiller férieufe»ment; & il y eut par la fuite, des » lettres piquantes de part & d'autre ». Ce trait & plufieurs autres de cette

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