Images de page
PDF
ePub

1

de fa fille ; & après cette belle & fainte expédition, il fort. Moliere réparoît; Chapelle vient le tourmenter, comme à fon ordinaire; il lui reproche fon amour pour la Charge, il le raille fur fes amours, puis il va rire ailleurs : mais la Thorilliere arrive de Flandres: grande nouvelle. L'interdiction e révoquée, permiffion de jouer l'Im pofteur: quelle joie! que Moliere m'a fait de plaifir en ce moment ! Je vous tiens, fourbes, impofleurs, dit-il : ce beau mouvement m'a tranfporté : M. Fleury l'a bien faifi. Mais fa joie eft de courte durée. La Berard vient lui déclarer qu'elle ne jouera point dans l'Impofteur, que fa fille n'y jouera point non plus. Quel défefpoir! priè res, reproches, it met tout en ufage, mais en vain. Il lui rappelle fes engagemens envers le public: eh! bien je ferai malade, dit-elle. Et en effet, voilà les vapeurs qui la prennent, & elle fort en jettant les hauts cris: pauvre Moliere! ai-je dit tout bas; & plus bas encore, j'ai dit : pauvres Auteurs! car il y a encore des Berard. Ce n'eft pas tout: Laforet vient lui demander fon congé; je le

répète, je ne puis me faire à cette idée, & j'ai été révolté d'entendre Laforêt dire à fon bon maître, qu'elle le quitte pour aller dans une maison où elle aura fix écus de profit de plus, fans compter les étrennes.... Je me hâte au furplus, de vous annoncer qu'elle ne fortira point; que ce n'eft chez elle qu'une erreur du moment. Moliere fort défefpéré. La Thorilliere reçoit la visite de deux courtifans, qui demandent à être placés. La fcène eft digne de Goldoni, digne de Moliere. C'eft quelque chofe de fort plaifant, que. de les voir juger Moliere avec une aifance, un ton tranchant, d'entendre l'un d'eux, demander fi Maliere ira jusqu'à vingt-cinq ans ; l'autre répond qu'il ira un peu plus loin ; & Chapelle fe joignant à eux, croit dire beaucoup, en foutenant que Moliere vaut mieux que Scaron. Et cependant l'homme étoit Moliere. Les larmes m'en viennent aux yeux. La Thorilliere a calmé l'efprit de la Berard; elle jouera, ainfi que fa fille: Moliere eft content. Il l'eft tout-à-fait Laforêt demande grace, & prie Moliere de la garder: elle rend un compte naïf de tout ce

que Pyrlon lui à dit. Moliere médite une vengeance fanglante. I dicte à Laforêt, fon rôle. Elle le joue fort bien. Pyrlon revient; fous prétexte qu'il fait chaud, elle le débarraffe de fon manteau & de fon chapeau : on entend du bruit; c'eft Moliere: Laforêt le fait entrer dans un petit réduit, où l'on mettoit le charbon. Moliere le faifit du manteau & du chapeau; quel tréfor: quelle phyfionomie a ce chapeau, dit-il, il eft déjà tout habillé pour jouer Tartuffe. La Berard & fa fille paroiffent auffi tout habillées; on part pour aller à la Comédie, & le troisième acte finit.

Or, Monfieur, fçavez-vous ce qui eft arrivé alors... je vous le donne à deviner en dix; mais vous ne le devineriez jamais. Il faut vous le dire : on a joué Tartuffe... Quoi, Tartuffe? Oui, Tartuffe, la Comédie toute en tière, en cinq Actes. Vous jugez file public a été furpris! fa furprise cependant n'eft venue que par dégrés ; car une grande partie des fpectateurs a cru d'abord que ce n'étoit qu'une répétition de quelques fcènes du Tartuffe, mais quand on a vu le fecond

Acte fuccéder au premier, & le troifième au fecond, on a reconnu que c'étoit Tartuffe qu'on jouoit tout de bon. Alors.... il faut le dire, on a trouvé Tartuffe même un peu long, on a tiré les montres : à 9 heures Tartuffe n'étoit pas encore fini. Et je ne fçais fi c'étoit prévention, ou laffi tude, ou dépit d'être ainfi trompé ; mais Tartuffe a paru moins bien joué qu'à l'ordinaire. M, Fleury méme qui représentoit pour la première fois, le rôle de Tartuffe, n'a pas tout-à-fait répondu à l'attente du public; & tout en applaudiffant à fon coftume, à fon maintien, & fur-tout à fon zèle, on a trouvé fon débit, fon ton, trop monotone au furplus, cela n'a rien diminué du plaifir qu'il avoit fait dans le rôle de Moliere; & on le lui a bien prouvé à la fin du fpectacle. Enfin, Tartuffe a fini; & ici une partie du public a encore cru que tout étoit dit, & fe difpofoit à partir point du tout, graces à la célérité des Acteurs à fe deshabiller, un coup de fiflet nous a fait reparoître l'intérieur de la Maison de Moliere; de manière qu'après un petit entr'acte de 5 A&tes, le quatriéme

acte a commencé. Lesbin veut annoncer à Laforet le grand fuccès de l'Impofteur, récit qui auroit été plus piquant dans toute autre circonftance; car je le répète, Tartuffe n'a point réuffis ce jour là Pyrlon fort de fon réduit; & en vérité fi j'en juge par moi, qui étois affis, & qui cependant ai trouvé le temps bien long, il l'a dû trouver bien autrement lui, qui étoit courbé dans un coin plein de charbon: ce qu'il apprend ne le guérit pas : il apprend que l'Impofteur a été joué, qu'il a été aux nues, & que fon manteau &fon chapeau ont contribué au succès; il devient furieux, il veut fe jetter fur Laforêt elle le repouffe avec un manche à ballai; Pyrlon s'enfuit : le public rit en cet endroit. Je ne trouve pas cela fort plaifant. Depuis ce moment la pièce décline visiblement; Moline reparoît pourtant, & on rend à M. Fleury les applaudiffemens qu'on avoit refufés à Tartuffe ; j'aurois voulu qu'en ce moment Pyrlon eût été là, que Moliere l'eût accablé de fes mépris, cût déployé devant lui fa joie, &c. &c. point du tout à peine s'occupe-t-il un moment de

« PrécédentContinuer »