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des fortunes s'est augmentée si prodigieufement, qu'il faut, pour qu'une Nation entière ait du pain, qu'un petit nombre de ftupides Crefus s'abandonne à toutes les extravagances que peut fuggérer l'ivreffe de la prof périté; mais cet état violent & monf trueux, qui avilit l'humanité, qui détruit toute les vertus & dégrade toutes les ames, ne doit pas être pré fenté comme un état floriffant, comme le triomphe des arts, de l'induftrie & du commerce, comme la perfection de la fociété ; & il ne faut pas ériger en chef-d'œuvre de la politique l'affreux palliatif d'un mal peut-être incurable.

Je vous ai déjà rendu compte Monfieur, d'un très bon ouvrage de l'Abbé Pluquet fur le luxe; l'Auteur en a parlé en moralifte plutôt qu'en politique; il l'a confidéré tel qu'il eft dans le cœur de l'homme, plutôt que tel qu'il exifte dans la fociété; il en a décrit les causes, il en a expofé les effets, beaucoup mieux qu'il n'a fait connoître en quoi il confifte; fon livre d'ailleurs, excellent pour le fonds, n'a

pas une forme agréable; le ftyle en eft lourd, diffus, & il faut acheter par un peu de fatigue, l'inftruction qu'on y trouve. Celui que je vous annonce, eft plus piquant, plus léger, & cependant plus profond fur ce qui concerne l'adminiftration publique. Il envifage le luxe en lui-même plutôt que fon influence fur les mœurs; il eft plein de recherches curieufes & inftructives fur l'hiftorique du luxe en France; & quoiqu'il écrive toujours en homme du monde, en politique, & non point en déclamateur; quoiqu'il ne s'érige point en cenfeur de la corruption générale, par-tout il repréfente le luxe comme plus capable d'appauvrir que d'enrichir un Etat, Les inventions ingénieufes des arts, l'élégance & la commodité des maifons, la richeffe & le goût des ameublemens; cette multitude de tableaux, de statues; cette quantité prodigieufe de bijoux, plus précieux encore par le travail que par la matière ; cette foule de chars leftes & brillans, d'équipages magnifiques, les étoffes autrefois les plus rares & les plus chères, devenues le

partage de prefque toutes les claffes; cet éclat trompeur, cette vaine apparence de richeffes qui fafcine les yeux, annonce une véritable misère: elle prouve les jouiffances d'un petit nombre & les privations d'un plus grand; elle attefte que l'or eft de plus en plus concentré dans un petit cercle, & que ceux qui le possèdent, en abusent pour acheter les fueurs du peuple à bas prix. La plupart des objets que nous regardons comme des richesses, ne font que le produit de la conju ration des riches contre le peuple. L'éclat que répand au loin la quantité de métaux concentrés dans la capitale, attire fans ceffe les agriculteurs; les campagnes fe dépeuplent, & leurs habitans viennent périr dans cet at mofphère de vices, de misère & d'opulence.

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«Je fuppofe, dit l'Auteur, que la » fervitude exifte encore de nos jours. Que feroit le propriétaire de mille »efclaves? il exigeroit d'eux un travail tel qu'il voudroit, & leur donneroit en échange le plus étroit » néceffaire; il pourroit faire bâtir,

il pourroit appliquer les efclaves à » tous les métiers, acquérir dans peu » des meubles de tout genre & d'un » travail précieux. Suppofons enfuite » un propriétaire qui emploie des » hommes libres; chaque journée lui »coutera quatre fois plus : il obtien» dra donc quatre fois moins d'ou» vrage.

Le numéraire étant concentré » dans un petit nombre d'hommes » par l'extrême inégalité des fortunes, » & toutes les causes qui la favorisent, sil en résulte un inconvénient fem» blable à celui de l'efclavage,

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>> La conjuration des riches produit une fervitude réelle pour les pau>>vres; mais l'efclave eft moins à plaindre qu'un payfan, qu'un artifan, en ce qu'il a de moins l'inquié»tude du lendemain, la crainte d'une » maladie qui le prive de pain fui & "fa famille. L'intérêt de fon maître

eft de lui donner une fubfiftance » convenable dans l'état de fanté, & » de le faire foigner dans fes maladies».

On remarque dans les dépenfes & le luxe des anciens, un caractère d'élé

vation & de grandeur inconnu aux modernes. Ils bâtiffoient des Temples, des portiques, ils élevoient des arcs. de triomphe; & nous ornons des boudoirs. Autrefois les feigneurs François fe diftinguoient par un fafte utile, par une magnificence noble; ils entretenoient une foule de gentilshommes, leur maifon étoit remplie d'une foule d'écuyers & de pages.

« Lorfque le nombre des riches s'eft » multiplié, lorfque l'opulence de plu» fieurs a furpaffé toutes les propor »tions connues, ils ont été humiliés » des diftinctions qui mettoient un in »tervalle entre leur état & celui des

grands. Il femble que, ne pouvant » s'élever jufqu'à eux, ils aient fait » leurs efforts pour les rabaiffer à leur niveau en leur infpirant le goût du »luxe, sûrs de les furpaffer dans ce » genre. Par ce moyen, ils les ont »habilement fait renoncer au faste qui caractérifoit leur fupériorité réelle. Les grands, féduits par l'at» trait du luxe, ont abandonné tout ce qui tient à la repréfentation ex»térieure; ils n'ont donc plus paru

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