Images de page
PDF
ePub

faire connoître les mœurs des fiècles où ils ont vécu ; ils mettent à découvert la corruption des Gouvernemens, la prodigalité des Princes, le défordre des finances : quelle idée ne fe forme t on pas de l'avidité des courtifans, fous le règne de Henri II, quand on fe rappelle que la Ducheffe de Valentinois, le Connétable de Montmorency, & le Maréchal de SaintAndré, payoient des Médecins à Paris & dans les Provinces, pour être inf truits d'avance, de la mort prochaine de ceux qui poffédoient des charges, des emplois, des bénéfices? On foupçonna même quelquefois les Favoris de récompenfer les Médecins pour leur rendre des fervices plus marqués que celui de les inftruire.

La fortune du Connétable Cliffon, fous Charles VI, peut être évaluée environ à vingt-fept millions de notre monnoie, ce qui eft prodigieux pour le temps où il a vécu; ce Connétable, comme le Romain Craffus, auroit été en état d'entretenir une armée.

Jacques Caur, Argentier de Charles VII, étoit Seigneur de quarante Pa

roiffes. On peut juger de l'immenfité de fa fortune, par une amende de quatre millions de notre monnoie, à laquelle il fut condamné une partie de ces grands biens avoit été acquife dans le Commerce du Levant.

Un paffage des Mémoires du Maréchal de Vieilleville, donne une idée de la richefle des habitans de Paris au feizième fiécle: « il y a, dit-il, » dans Paris, plus de cent maifons de » trente mille livres de rente chacune; » environ deux cens de dix mille livres; » trois ou quatre de cinq à fix mille livres ; & une vingtaine pour le » moins, de cinquante à foixante mille » livres de rente, tant en fonds de »rentes qu'en rentes conftituées ». Ces fortunes, en comparant le prix du marc & des denrées, peuvent être évaluées aux quatre cinquièmes en fus de plus. Ainfi, celui qui avoit trente mille livres de rente, en auroit aujourd'hui cent cinquante ; & celui qui jouiffoit de foixante mille livres de rente, trois cens. Il faut auffi remarquer qu'à l'époque dont il eft queftion, qui eft la feconde année après

la mort de François premier, Paris ne contenoit pas trois cens mille habitans, au lieu qu'il en contient aujourd'hui à-peu près fept cens mille.

сс

On peut juger de l'opulence du Maréchal d'Ancre, & des moyens auxquels il en étoit redevable, par ce qu'en dit Louis XIII, en faifant part de fa mort au Parlement. « Il a volé » mes finances, & a baillé mes fermes » à qui bon lui a femblé, pour tel » prix qu'il a voulu ; s'eft fait engager » les tailles de la Normandie depuis » la mort du feu Roi mon père, a tiré de mon épargne, douze ou quinze millions de livres, & depuis » fa mort on a trouvé dans fes po» chettes pour dix-neuf cens foixante» trois mille livres de promeffes, de » Feydeau, Camus, & autres fes confi» dens ».

Fouquet, fi célèbre par fon luxe fa magnificence, fa générofité envers les gens de lettres, jouiffoit d'un revenu de quatre à cinq millions; quoiqu'on eût beaucoup de reproches à lui faire, il fut trop rigoureufement puni fa difgrace ne fait honneur ni

à Colbert, qui fe montra dans cette affaire, ingrat & perfide, ni à Louis XIV, qui mit dans la punition d'un homme de ce mérite, de la petitesse & de la cruauté. Mazarin étoit plus coupable que Fouquet, comme celuici le prouva dans fes Mémoires. La fortune de ce Cardinal eft la plus confidérable des temps modernes, & furpaffe celle des plus opulens citoyens de la Grèce & de Rome, Ses revenus en Abbayes, charges, charges, poffeffions montoient à feize millions. Pour les dots de cinq nièces & la part du Duc de Nevers, on compte dix-huit millions, qui en font trente-fix de notre monnoie: il laiffa à la célèbre & malheureuse Hortenfe, un héritage de quinze millions, qui'en vaudroit aujourd'hui trente. Un an environ avant fa mort, i fit tirer chez lui une loterie compofée de pierreries bijoux, meubles, étoffes, chandeliers de criftal, miroirs, tables, vaiffelle d'argent, &c. Tout fut diftribué en lots au Roi, à la Reine, aux Princeffes, aux courtifans. Cette loterie fut eftimée dans le temps, cinq cens

mille livres. Il n'y a point d'exemple d'une pareille magnificence dans un fujet, & même dans le plus grand Monarque; mais Mazarin étoit plus que Roi. Quelqu'un de fon temps a dit, en parlant de la manière dont il traitoit le Roi & la Reine, jamais on ne fit une telle litière de la royauté.

A la mort du Cardinal Mazarin, les revenus du Roi fe trouvoient réduits à vingt millions, à caufe des aliénations. En moins de trois ans le défordre des finances fut réparé; révolution qu'il faut attribuer moins encore au talent de Colbert qu'à l'extrême abondance de numéraire qui fe trouvoit alors dans le Royaume: pour avoir une idée du luxe & de la magni ficence de ce temps là, il fuffit de jetter les yeux fur cet article des remontrances du Parlement en 1617. » Sera fait défenses aux particuliers » d'avoir vaiffelle d'or, enfemble cu» vettes, baignoires, corbeilles & » autres vaiffeaux d'argent, jufqu'aux » uftenfiles de cuifine, &c. »?

Louis XIV dépenfa beaucoup pour fes maîtreffes & fes bâtimens: Colber

« PrécédentContinuer »