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fe plaignoit à lui-même de ce qu'il prodiguoit fans fruit & fans gloire, des fommes immenfes pour embellir Verfailles, tandis qu'il négligeoit le Louvre. Votre Majefté, lui dit-il entr'autres chofes, fçait qu'au défaut des actions éclatantes de la guerre, rien ne marque davantage la grandeur & l'efprit des Princes, que les bâtimens, & toute la pofterité les mesure à l'aune de ces fuperbes machines qu'ils ont élevées pen dant leur vie. O quelle pitié, que le plus grand Roi & le plus vertueux, fût mesuré à l'aune de Versailles ! & toutefois il y a lieu de craindre ce malheur.

Madame de Fontanges recevoit de Louis XIV, cent mille écus par mois, ce qui fait par an, fept millions de notre monnoie; il dépenfa fix cens mille francs pour un voyage que fit cette Dame à Villers Coterets. Ce Prince enrichit auffi fes Miniftres. Colbert a laiffé plus de trente millions de notre monnoie, après avoir bâti Sceaux, & vécu avec fplendeur pendant vingtrois ans qu'a duré fon ministère. Louvos difoit, en bâtissant Meudon: je fuis fur mon quatorzième

million

C'eft vingt-huit millions de notre temps d'après les immenfes poffef fions qu'il avoit en terres, on peut croire que fon bien montoit à une fomme pareille, ce qui forme une recette de cinquante fix millions pendant fon minifère.

Un des morceaux les plus profonds & les plus brillans de cet ouvrage, cst la comparaifon entre Sully & Colbert. Il donne avec raison, la préférence à Sully, qui s'eft uniquement occupé de l'agriculture & des arts utiles, fur Colbert, qui a tout donné aux manufactures & aux arts d'agrément. « L'ad» miniftration de Sully, dit-il,

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préfente l'idée d'une lumière douce, qui éclaire toutes les parties; celle » de Colbert, l'image du fracas brillant » d'un feu d'artifice, qui laiffe dans » une profonde obscurité ».

On crie beaucoup aujourd'hui contre les richesses des Religieux, par une fuite de cet efprit faux, inquiet & turbulent qu'on appelle efprit de réforme autrement efprit philofophique on eft en quelque forte fcandalifé que des hommes qu'on prétend

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No. 45. 6 Novembre 1787. P

inutiles à l'Etat, possèdent de fi beaar & de fi vaftes domaines : il faudroit d'abord demander à ces frondeurs, fi cette foule de riches, qui, du produit de leurs terres, entretiennent vingt ferrails dans la Capitale, & ne font fervir leurs richeffes qu'à la plus honteule débauche, font beaucoup plus utiles à l'Etat. Si les hommes ne font eftimés que par ce qu'ils confomment; les Religieux confomment autant & d'une manière plus honnête & plus utile; ils confomment fur le lieu, & rendent à la terre les fruits qu'ils en tirent; ils animent la culture, répandent par-tout l'abondance, font travailler les pauvres, foulagent les malheureux; leurs fer miers, plus à leur aife, mieux nourris, mieux logés, ont les plus riches atte liers d'exploitation, & font en état de faire les plus grandes avances pour fertilifer des terres ingrates. Les Religieux n'ont point de jouiffances de Luxe; toutes leurs dépenfes en confommations & en bâtimens, tournent au profit de la terre & des peuples, & ce feroit une calamité publique, fi leurs pofletions devenoient la proie

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de quelques courtifans avides & infa tiables, qui diffiperoient à Paris, en des fantaifies extravagantes, la fubftance de toute une Province.

Les propriétaires féculiers ont ils un droit plus facré, plus inviolable fur leurs domaines, que les propriétaires réguliers. Les uns & les autres n'ont-ils pas reçu ces terres de leurs ancêtres ? Et s'il falloit remonter au droit primitif, on verroit que fouvent les féculiers ont eu par force & par ufurpation ce que les réguliers ont obtenu d'une libéralité volontaire. Les moines d'ailleurs, ont le titre de propriété le plus faint & le plus refpectable, celui du travail; ces terres qu'ils pofsèdent aujourd'hui, ont été arrofées des fueurs de Jeurs ancêtres; elles ont été défrichées & en quelque forte créées par ces pieux folitaires, dont les mains infatigables ont changé en campagnes fécondes, des marais & des landes ftériles. Ce feroit donc attenter au droit de propriété, qui eft le fondement de toute fociété, & que les Monarques les plus abfolus doivent toujours refpecter; ce feroit violer toutes les loix de l'hu

manité & de la justice, que de fonger à dépouiller d'auffi légitimes & d'auffi utiles poffeffeurs.

Le dialogue entre Semblancay furintendant des finances, pendu trèsinjuftement fous François Ì, & l'Abbé Terray, contrôleur général fous Louis XV, eft amufant & inftru&tif, Semblancay y prouve très bien que François I, qui n'avoit que feize millions de revenu, étoit réellement plus riche que Louis XV, qui avoit trois cens foixante fix millions.

Les idées de l'Auteur fur la répartition de l'impôt, font très juftes & très frappantes. Un dixième, une capitation la plus juftement établie, enlèvent à-peu-près à l'homme jouiffant de cinq cens livres de revenu, foixante livres. C'eft dixmer fur fa fubfiftance. Que celui qui jouit de cinquante mille livres de rentes, paye dans une auffi jufte proportion, ce qui n'eft point à beaucoup près; quelle extrême différence entre le facrifice de quelques jouiffances d'agrément & celui du néceffaire! Il faut fans doute que le Peuple paye en raifon de fes facultés,

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