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noble, mais il conviendroit mieux à une Ode morale & philofophique, qu'à une Ode héroïque :

J'infultois à la foible argile

Dont l'Eternel en nous créant
Forma cet enfemble fragile

Que l'homme difpute au néant;
Er ma raifon guide infidelle

Jufques dans aotre ame immortelle
Calomoioit l'humanité.

Brunswick m'apprend à la connoître
Je fens qu'il aggrandit mon être,
Et je crois à ma dignité.

Mufe, & toi, qui des morts célèbres
Eternifes le fouvenir,

Si tu veux que mes airs funèbres
Retentiffent dans l'avenir,

Donne moi la fublime audace
Qui foutenant le chant d'Horace,
L'éleva jufqu'à Regulus,

Et qu'il en coûte pour m'entendre
Tous les pleurs que tu fis répandre
Sur le tombeau de Marcellus.

On a traité un peu trop févèrement,

nous

la première ftrophe, où je ne vois à blâmer que l'hémiftiche en créant, qui eft foible & profaïque, & l'expreffion enfemble qui eft peu poëtique.

L'Auteur n'aime pas les lieux communs: fa defcription du débordement de l'Oder eft un peu croquée; cette ftrophe a cependant le mérite du naturel & de la correction :

Arrêtez, voyez-vous ce père
Avec fon fils abandonné

Sous ce toît foible & folitaire
Que les flors ont enviroané.

Chaque inftant préfente aux victimes
Leurs tombeaux au fond des abîmes
Qu'entrouvrent les vents en courroux
Leurs cris ne fe font plus entendre ;
Mais je les vois lever, étendre
Leurs mains vers le Ciel & vers vous.

L'héroïque dévouement de Brunfwick, & fa mort déplorable n'ont pu échauffer la verve du Poëte: ces tableaux dont le fujet est si intéressant, font du pinceau le plus foible, &

manquent abfolument de coloris mais voici une excellente ftrophe fur la pompe funèbre qui convient à Leopold:

Loin de nous cette pompe vainé,
Tribut de foibleffe & d'orgueil

Qui pourfuit la grandeur humaine
Jufques dans la nuit du cercueil.
Nous n'irons point, flatteurs profanes
Tourmenter fes paifibles manes
Par un fafte, indigne de lui.
Suivez fa dépouille morrelle,
Soldats dont il fut le modèle,
Malheureux dont il fut l'appui.

La dernière ftrophe me paroît auffi digne d'être citée, pour la jufteffe des idées & l'élégance de la verfification:

Enfin fous un tombeau modefte

Le Miniftre des Saints- Autels
Vient de renfermer ce qui refte
Du plus généreux des mortels, }
Sur fon urne patriotique
Qu'embraffe le rameau civique
En traits de feu je veux graver:
Digne des beaux fiècles de Rome

Ci-git un Prince qui fut homme' » Et s'immola pour le prouver :

Cette pièce a fur-tout le mérite de la brièveté: peut-être la prédilection que l'Académie lui a témoignée, eft-elle fondée fur la froideur géométrique, & fur le tour philofophique qu'on y remarque: c'eft le ton de la Motte-Houdard, avec une verfification plus coulante & moins dure.

Il y a plus d'effor lyrique, plus de force & de poëfie dans l'Ode de M, Noël, qui a obtenu la première mention; mais auffi beaucoup moins de netteté, de correction & d'aifance. Sès premières ftrophes fur-tout font pénibles & martelées, l'idée même n'en eft pas jufte; car les Mufes ne dédaignent point de célèbrer les grands hommes de notre fiècle : la flatterie même n'eft que trop empreffée à faire des géans de quelques nains, & à ériger en exploits héroïques, des actions médiocres & communes : quelques réfléxions usées & que le style ne rajeûnit pas, fur l'efprit pacifique qui commence à s'introduire en Europe, fur

l'inhuma nité des fouverains qui ven dent le fang de leurs fujets; fur la gloire des bons Rois & des vrais citoyens ; un éloge de notre augufte Monarque & une allufion délicate à l'Affemblée des Notables; tout cela forme un préambule un peu découfu & dont le défordre ne paroît pas toujouts un effet de l'art, parce qu'il n'existe pas même entre les pensées une liaison imperceptible: d'ailleurs, la vigueur & l'énergie du style ne fauvent point cetécart pindarique; & le Poëte même, en fe perdant dans les mues, paroît trop conferver fa tranquillité & fon. fang froid.

L'emploi peu exact des pronoms répand fur la verfification de l'Auteur une forte de gêne & d'embarras, qui fe font fentir affez fouvent en voici un exemple dans une ftrophe dont l'idée cependant eft affez belle :

Ombres guerrières, vous qui plaignez vos

années

Pour d'illuftres ingrats fous le fer moiffonnées

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