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infiniment plus d'élégance & de goût dans l'expreflion & dans le ftyle; mais la langue n'étoit pas encore épurée, & celui qui tira du cahos la Scène Françoife, ne pouvoit pas tout faire à la fois. Quand le langage fut perfectionné, Corneille étoit trop vieux pour le corriger. M. Daunou parle un peu trop légèrement de cet homme de génie. Il dit dans un autre endroit; la postérité ne pourra croire que le Cid & Athalie foient du même, fiècle. Eft-ce ainfi que Boileau a parlé du Cid? Et M. Daunou eft-il en droitd'être plus difficile que Boileau? La poftérité admirera toujours la Tragédie du Cid, malgré fes défauts, parce qu'elle eft remplie de beautés immortelles; la poftérité fçaura que le Cid a ouvert le plus beau fiècle de la Poëfie Françoife, & qu'Athalie l'a fermé. Nous fçavons que Corneille' s'eft élevé fi haut par la feule force de fon génie; mais nous ne fçavons point ce qu'eût fait Racine, fi Corneille n'eut pas exifté. Enfin, il paroît que M. Daunou a beaucoup trop confulté le commentaire de Voltaire;

pour juger Corneille, & il ne pou voit prendre un meilleur confeil pour le juger auffi mal..

M. Daunou offre de fingulières contradictions, ou distractions, dans fes jugemens. En parlant des Romans, il commence par observer que ce genre eft méprilable, dangereux; qu'il détruit le goût de la faine littérature & ne réuffit qu'aux dépens des bonnes meurs; & tout de fuite il ajoute que ce genre n'exige pas moins de phliloSophie que d'éloquence & de fenfibilité. Il eft clair que des qualités auffi contraires ne peuvent fe réunir dans le même genre. Il devoit donc rejetter le blâme & le mépris fur ceux. qui en ont abufé; car le Roman de Télémaque & ceux de Richadfon font dans le bon genre, qui n'eft ni méprifable, ni dangereux..

Souvent, dit M. Daunou, l'Auteur du Mifanthrope ceffoit d'être philofophe pour devenir bouffon, & fe rendoit méconnoiffable pour plaire à des spectateurs fans goût. Boileau avoit fait à-peuprès le même reproche à Moliere; mais il ne lui reprocha point d'avoir

ceffé d'étre philofophe; car, dans les Fourberies même de Scapin, il y a des fcènes très - philofophiques. Boileau

difoit au contraire :

Chacun profite à ton école ;
Tout en eft beau, tout en est bon ;
Et ta plus burlesque parole

Et fouvent un docte fermon.

Defpréaux n'auroit pas voulu que Moliere eût rabaiffé fon génie à flatter le goût du peuple; mais il y avoit peut-être bien de la philofophie de fe mettre à la portée d'un peuple qui aimoit beaucoup à rire, pour l'inftruire avec des bouffonneries. Quintilien & Vida donnèrent des leçons plus folides qu'utiles. Ce jugement de M. Daunou n'est pas exact. Les leçons de Quintilien pour former un Orateur font quelquefois aufli éloquentes que folides, & certainement feront toujours très-utiles à qui cherche le bon goût de l'éloquence, Quant à Vida, fon art poëtique en vers latins, est au moins aufli agréable que folide, & ne

peut être que très-utile pour connoître les qualités principales qui font le Poëte.

Une chofe qui m'a beaucoup étonné, c'eft que M. Daunou, pour juftifier Boileau d'avoir été fatyrique, s'appuye de l'autorité de Le Pays, dont il cite un paffage affez trivial, où ce mauvais plaifant fe glorifie d'avoir corrigé le monde par fes railleries. L'accolade eft fingulière. Qu'en auroit dit Boileau, lui qui a fait dire, dans fa Satyre du Repas, à un fot campagnard:

Le Païs, fans mentir, eft un bouffon plaifant.

O Despréaux, c'eft pourtant l'autorité de ce bouffon, qui vous juftifie devant un tribunal académique, d'avoir fait des Satyres !

Pour prouver que les écrits & le goût de Despréaux ont eu de l'inAuence même fur notre fiécle, M. Daunou cite en exemple Crébillon & Voltaire.

«Heureux l'un & l'autre, dit-il,

d'avoir appris de Defpréaux, la » néceffité de la vraisemblance & du → travail ! Dans des temps antérieurs; » le premier n'eût connu d'autre guide » qu'une ardente & fombre imagina» tion: Electre feroit moins tou20 chanté ; il eût introduit en France » les défordres de la Scène Angloife. Le fecond eût abufé d'une facilité » peu commune; il eût moins médité »fes fujets, amené avec moins d'art >> tant de fituations théâtrales; il eût » fait plus d'un Olympie.»

Ce paffage décèle des connoiffances bien fauffes fur la littérature. Ni Crébillon, ni Voltaire n'ont appris de Defpréaux, la néceffité de la vraifemblance & du travail. Tous deux, & fur-tout le dernier, fe font fort peu fouciés de la vraifemblance, & par-là, ils ont altéré la Tragédie ; tous deux ont fort peu travaillé leurs ouvrages; d'où vient que Crébillon eft fouvent incorrect dans fon ftyle, & Voltaire très-négligé : on fçait que plufieurs de fes pièces ont été faites en moins d'un mois: perfonne n'a plus abufé de fon talent & de fa faci

Εν

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