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d'auditeurs pour aller à leur chaire; on les écoutoit avec une admiration mêlée d'enthoufiafme; on fe difputoit les places dans l'Eglife comme au fpectacle; à peine font ils imprimés, qu'on ne les lit plus, & alors le vérific cet oracle de Boileau:

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Tel écrit récité fe foutient à l'oreille, Qui, dans l'impreffion au grand jour fe

montrant,

Ne foutient pas des yeux le regard péné

trant.

Ce qui paroît étonnant, c'eft que parmi ces Prédicateurs qui ont dé bité leurs Sermons avec un fuccès fi prodigieux, plufieurs étoient dépourvus des graces de l'action qui fupplée quelquefois à la fo bleffe du difcours, & en couvre les défauts; ils n'avoient ni la figure, ni le gefte, ni les intonations, nile feu qui féduifent fouvent la multitude; ils n'avoient pour atti rer les fuffrages que les beautés réelles deleurs compofitions: pourquoi donc ces beautés, en paffant de leur bouthe fur le papier, ont-elles perdu

une grande partie de leur mérite? Pourquoi, dans la foule des Orateurs Chrétiens qui ont exercé leur éloquence fur les fublimes myftères & les grandes vérités de la Religion, Bourdaloue & Maffillon font-ilsreftés feuls conftamment en poffeffion des fuffrages pourquoi font ils prefque les feuls qu'on life, qu'on étudie, qui foient entre les mains de tout le monde; tandis que leurs fucceffeurs," avec des talens très diftingués & très-brillans, font relégués dans quelques bibliothèques obicures, & prefque ignorés du public? C'est qu'il n'en eft pas de l'éloquence comme des fciences exactes, qui fe perfec-" tionnent avec le temps, par les obfervations réitérées de ceux qui les cultivent; c'eft qu'en littérature, lorfque les efprits font arrivés à un certain dégré, bien loin de faire des progrès, ils déclinent infenfiblement. Lorique deux hommes de génie se font faifis des grands traits, des principales idées & des beautés frappan tes dont un genre eft fufceptible lorfqu'ils fe font emparés de T'admi

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ration publique, il ne fuffiroit pas à .. leurs fucceffeurs de les égaler pour fe placer à côté d'eux, il faudroit qu'ils fiffent mieux: fi Bourdalone & Maffillon font encore aujourd'hui les Prédicateurs les plus fameux, c'est qu'ils font en effet les meilleurs; aucun des Orateurs qui font venus après eux, n'a été auffi fort, auffi convaincant, auffi majeftueux que Bourdaloue; aucun n'a été auth élégant, auffi naturel, auffi touchant que Maffillon: ils ont fubftitué aux beautés vraies, folides & durables de leurs modèles des qualités plus brillantes, peut être, & plus agréables, mais fugitives, paffagères, & qui ne foutiennent pas l'examen.

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Il faut convenir cependant que parmi les Prédicateurs imprimés dans ces derniers temps, il en eft plusieurs d'un rare mérite, qu'on peut lire avec plaifir & avec fruit, même après les grands maîtres: tels font entr'autres, L'Abbé Poulle, qui femble avoir ajouté à la manière de Maffillon, plus de magnificence & de grandeur; l'Abbé Cambaceres, imitateur de la logique

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&

& des raifonnemens vigoureux de -Bourdaloue, en évitant la fymmétrie de :fes divifions, fes répétitions de paffages trop prolongées, & lanégligence de fon ftyle tel eft fur-tout le Père Neuville, qui, très riche de fon propre fonds, n'a imité personne, auquel on ne peut reprocher que le luxe & l'exceflive abondance. It faut auffi placer dans cette claffe d'élite, M. de Marolle, dont la manière a quelque reffemblance avec celle du P. Neuville; c'eft à-peuprès la même marche, le même efprit & la même fineffe dans les plans; c'eft le même goût d'énumérations & d'antithefes, avec moins d'éclat & de richeffes à la vérité, mais auffi avec plus de fageffe & de précision. On s'apperçoit ailément qu'il a été formé à cette excellente Ecole qui a fourni à toutes les chaires de l'Europe tant de Prédicateurs diftingués à la Religion, tant d'illuftres Apôtres. Vous en pourrez aisément juger Monfieur, par les détails dans lefquels je vais entrer.

&

On remarque dans le Sermon fur

la Fête de tous les Saints, un på. rallèle brillant entre la gloire des Héros profanes & celle des Héros chrétiens après avoir fait (entir le vuide & la fragilité des honneurs qu'on rend aux Grands de la terre pendant leur vie & après leur mort, l'Orateur s'écrie:

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» Ce n'eft pas ainfi que périt fa gloire de vos favoris, ô mon Dieu! » elle renaît en quelque forte de leurs cendres; elle femble prendre une » nouvelle vie dans leur tombeau, & prefque toujours au moment où le bras de la mort vient de les y ren» verfer eux-mêmes. Oui, c'est alors que leur vertu, peu auparavant >>> offufquée par les nuages qu'un monde injufte & jaloux avoit raffem» blés autour d'elle, perce ce voile »ténébreux, & n'en brille qu'avec "plus d'éclat. C'eft alors que leur

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grand rémunérateur illuftre leur * mémoire par des prodiges, & fait » couler la fanté & la vie de l'urne » même qui renferme leurs dépouillés » froides & infenfibles; que bientôt leurs

reftes facrés font arrachés à la terre,

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