Images de page
PDF
ePub

cation eft dure & embarrassée, & pa• roît annoncer un Auteur peu exercé dans ce genre de travail; il y a quel ques vers défectueux & mal cadencés, tels que celui-ci :

Non, non, vos vertus font d'un ufage plus doux.

Le mètre eft bien choifi & plus convenable à la circonftance que celui de M. Terraffe; c'eft le même dont Malherbe a fait ufage dans fes magnifiques flances, fur le néant des grandeurs humaines. Sa marche a quelque chofe de lugubre.

On vous a déjà mis fous les yeux, Monfieur, la pièce de M. Morvan, qui a obtenu la feconde mention & qui renferme de grandes beautés.

Il n'a point été fait mention de M. Ginguené à l'Académie; puifqu'il n'a point concouru, mais il a les fuffrages du public. Il s'eft égaré fans doute dans fon plan; il n'a pas fçu fe renfermer dans les bornes du fujet, & il a violé le précepte fi connu d'Horace:

Nec gemino bellum trojanum orditur ab ovo,

Il ne s'agiffoit point de faire le panégyrique de Léopold, d'expofer un tableau de toute fa vie, il fuffifoit de chanter fon dévouement & fa mort héroïque. Il y a donc dans le Poëme de M. Guinguené, des longueurs, des inutilités, des chofes foibles, traînantes, & même de mauvais goût : mais par combien de beautés ces défauts ne font-ils pas couverts? comptet-on les fautes en Poëfie; un trait de génie ou de fentiment, n'eft-il pas préférable à un ouvrage triftement régulier, où l'on n'apperçoit pas une étincelle de talent? Si de tous les Poëmes compofés à l'honneur de Léopold, le meilleur, eft celui où il y a le plus de verve, de chaleur, de fenfibilité, d'images, en un mot, de Poëfie, M. Ginguené doit l'emporter fur tous les rivaux.

1

Son début eft une belle période poëtique, d'une grande & antique ftructure:

Si dans un rang obscur d'intrepides hu

mains

S'offrant pour leurs égaux à des périls

certains

Ont par un beau trépas illuftré leur mémoire,

Si la patrie élève au temple de la gloire Celui qui pour défendre un Monarque adoré,

Victime du devoir, à la mort s'eft livré ; Quels hommages, quels voeux, quelle reconnoiffance

De quels marbres publics la muette éloquence

Sera le digne prix du trépas généreux D'un Prince dévoué pour d'obscurs malheureux;

Pour ce peuple courbé fous le poids des mifères,

Vulgaire méprifé par des Princes vul

gaires?

Quelle fraîcheur

[ocr errors]

quelle légèreté quelles graces dans les vers fuivans:

Il vient jeune, charmant, dans l'âge de l'erreur,

Mais d'un tribut honteux, il affranchit

fon cœur,

Repouffant les poifons dont cet âge s'enivre, Déjà pour la fageffe il fe hâtoit de vivre,

Ainfi le lys des champs né des pleurs du

matin,

Et dont les vents du foir vont trancher le deftin,

Fugitif ornement des campagnes fleuries, S'empreffe de briller au milieu des prairies.

Il marche environné des heureux qu'il a faits:

Là, de jeunes beautés la tête couronnée, Vont parer de fes dons les autels d'hymenée, Ici, d'heureux enfans libres par sa bonté, Du joug de l'ignorance & de la pauvreté, Croiffent jeunes rivaux fous des palmes naiffantes,

Et fon nom réjouit leurs bouches inno

centes,

Aucun des concurrens, fi ce n'eft peut-être M. de Morvan, n'a peint avec autant de force, de chaleur & de vérité, le débordement de l'Oder, & le défaftre qu'il a caufé:

Au fouffle du printemps les neiges écoulées Tombent du haut des monts, roulent dans les vallées ;

Les fleuves déchaînés jufques au sein des

mers,

Traînent en murmurant les débris de leurs fers.

L'Elbe à coups redoublés, infulte fon ri

vage,

L'Oder qui tant de fois a fignalé sa rage, L'Oder hors de fon lit s'élance avec fureur, Il affiège Francfort, y répand la terreur, Et va de noirs glaçons armant ́sa tête oblique,

Fleuve féditieux attaquer la baltique.

Tel & moins défaftreux aux campagnes d'Enna,

'Couroit un feu liquide échappé de l'Etna, Où telle bouillonnoît fur les murs d'Hera· clée,

Du Vésuve en fureur la lave amoncelée. Les citoyens errans, fugitifs, éperdus,, De l'œil cherchent leurs toîts & ne les trouvent plus.

L'un fur les monts voisins graviffoit avec peine,

Il retombe accablé d'un fardeau qui l'entraîne ;

« PrécédentContinuer »