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peindre, il fût permis de varier le » rythme & d'entremêler, comme a » fait Quinaut, le vers de huit avec » celui de douze ».

Cette variété de rythme eft auffi agréable que néceffaire dans le Poëme lyrique où le chant & le récitatif doivent fe fuccéder, fous différentes formes; & Rousseau l'a très-bien pratiquée dans fes cantates: mais demander qu'on admette ce mélange dans un long Poëme, foit épique, foit didactique; c'eft une fingularité qu'on pourroit regarder comme une rêverie, & qui ne mérite pas une longue réfutation. Suppofez en effet que vous trouviez de temps en temps une cantate dans l'art poëtique, ou une fcène d'Opéra dans le Lutrin, & dans la Henriade; & voyez le bel effet que produiroit une telle bigar

rure.

Dans fon article fur Allégori l'Auteur fé déclare contre la plupart des fictions poëtiques. « A prélent, » dit-il, qu'elles font rebattues, la » Poëfie defcriptive a bien plus de a méite & de gloire à peindre la

nature toute nue, qu'à l'envelopper » de ces voiles depuis long-temps », ufés. » Les voiles de la fiction ne feront jamais ufés pour celui qui aura le talent de les rajeunir. Pourquoi avec ce mérite de peindre la nature toute nue, nos Poëmes descriptifs font-ils fi ennuyeux? il ne faut pas que le grand nom de M. Marmontel impofe à nos jeunes Poëtes; mais. qu'ils fe décident par les exemples. Voici comment M. de Saint-Lambert. peint la nature toute nue, en parlant de la nuit :

Des nuages épais fur les champs defcendus Entourent de la nuit les objets confondus.

Boileau, qui revêt la nature des voiles de la fiction, non point trop ufés, s'exprime d'une autre manière;

Mais la nuit auffitôt, de fes ailes affreufes, Couvre des Bourguignons les campagnes vineuses,

Revole vers Paris, & hâtant fon retour Déjà de Montlhéry voir la fameufe tour, &c.

Nous demandons pardon à M. Mar

Montel de citer Boileau qu'il n'aime · pas; mais nous avons vaincu notre répugnance pour citer M. de SaintLambert, qu'il aime & qu'il admire.

L'Auteur de ces Elémens fe reffouvient de temps en temps que fon projet eft de récréer une jeunesse diffipée, & il interrompt fes paradoxes littéraires, par de petits traits facétieux qui figureroient à merveilles dans un fadaifiana. C'eft ainfi qu'à l'article allufion, il cite celle-ci, comme auffi rare que plaifante. » Des chaffeurs » affamés n'avoient à leur dîner que » des côtelettes fort dures. C'eft ici, » dit l'un d'eux, le combat des voraces » contre les coriaces. » Il faut convenir que les Longin, les Quintillien & les Rollin ne fçavoient pas varier leurs préceptes par des faillies auffi fines & des plaifanteries auffi délicates : mais ces gens - là n'étoient que des pédans rembrunis

Ce qui me plaît dans M. Marmontel, c'eft fon averfion fignalée pour tout efprit de parti, pour les cabales, pour les coteries, pour les bureaux d'in

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trigue où l'on travaille avec tant d'induftrie les fuccès du moment; c'eft fon mépris défintéreffé pour les réputations & les récompenfes ufurpées ; c'est la noble fierté avec laquelle it rejette la protection & les fuffrages des prétendus amateurs de la philo fophie & des lettres. Voyez comme il s'explique nettement fur leur compte: » La foule des amateurs eft compofée. » d'une espèce d'hommes qui, n'ayant par eux-mêmes ni qualités, ni talens » qui les diftinguent, & voulant être diftingués, s'attachent aux arts & >> aux lettres comme le gui au » chêne, ou le lierre à l'ormeau. Cette efpèce parafite n'apporte dans ce commerce que de la vanité, de »fauffes lumières, des prétentions » ridicules, & des manœuvres fouvent » deshonorantes, toujours défolantes » pour les lettres & pour les arts. Juges fuperficiels & tranchans, leur »manie eft de protéger.... delà les » brigues, les cabales pour élever » leurs efclaves au deffus des hommes » libres, qu'ils déteftent, parce qu'ils

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» en font méprifés. Ils ne peuvent » leur ôter la gloire; mais ils n'ont » que trop fouvent affez de crédit » pour leur dérober tous les autres prix

>> du talent. »

On voit bien que ce n'eft point le reffentiment, ni l'intérêt perfonnel, mais la force de la vérité, qui fait parler M. Marmontel : car les amateurs de l'Encyclopédie, & il n'y en a pas d'autres à préfent à qui ce portrait puiffe convenir; ces amateurs, dis-je, n'ont pas nui à fa gloire, & ne lui ont pas dérobé le prix de fes talens. Reve nons à fes Elémens Littéraires.

Un des premiers élémens de l'art de pénfer & d'écrire, eft d'avoir des idées bien nettes fur les fujets qu'on veut traiter, de n'avoir pas tantôt une opinion, tantôt une autre toute contraire; de ne pas oublier dans un endroit ce qu'on a dit ailleurs, & de ne fe mettre pas en contradiction avec foi-même. C'eft pourtant ce qui arrive de temps en temps à M. Marmontel, & nous en rapporterons un exemple. Dans l'article Action, voici ce qu'il dit fur l'illufion du Théâtre :

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