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plus ignoble. Voyons les exemples que cite M. Marmontel; & cherchonsy ce but moral, cette verve, cette faillie que ce genre demande. C'est dans Eneide travestie qu'il a choifi de fi beaux exemples. Si Scarron eut travefti la Pharfale, M. Marmontel ne l'auroit pas trouvé fi bon. Jupiter prenant Venus fous le menton

Lui dit : Bon Dieu! que diroit-on
Si l'on vous voyoit ainfi faire ?
N'avez-vous point honte de braire
Ainfi que la mère d'un veau ?
Ah! vraiment cela n'eft pas beau.

Venus apparoiffant à fon fils Enée :

Ses deux jarrets elle doubla

Pour lui faire la révérence.

II fit une circonférence

Du pied gauche à l'entour du droit,
Et cela d'un air tant adroit,
Ce pauvre fugitif de Troie,
Que fa mère en pleura de joie.

La premiere entrevue d'Enée avec Didon

eft du méme tour de plaifanterie. Ce font les expreffions de notre Académicien:

La Reine donc fut étonné
De l'apparition d'Enée

Et lui dit, parlant un peu gras,
L'ayant pris par le bout du bras,
C'eft par la main que je veux dire :
Comment vous portez-vous, beau Sire?
Moi, lui dit-il, je n'en fçais rien:
Si vous êtes bien, je fuis bien;

Et j'ai pour le moins la migraine, S'il faut que vous foyez mal faine. Vous vous portez bien, Dieu merci ; Je me porte donc bien auffi.

Voilà ce genre moral, plein de verve & de faillie, qui ne fupporte rien de plat, de froid, ni de forcé. Et qu'est ce donc, bon Dieu ! que tout cela finon les plus froides platitudes que puiffe débiter le plus miférable bouffon pour amufer dans la rue des laquais & des fervantes? & l'Académicien qui applaudit à ces plates bouffonneries, eft le même qui trouve Boileau un mauvais plaifant; & pour

contredire en tout l'Auteur de l'Art Poëtique, il prétend que ces contorfions burlesques de Scarron reffemblent à l'élégant badinage de Marot.

Où peut-on avoir dit une telle infamie ? Eft-ce chez les Hurons, chez les Topinamboux ?

C'est à Paris. C'est donc à l'hôpital des foux?

Non, c'est au Louvre en pleine Académie.

Je vous avoue que de pareilles opinions, foutenues d'un air fi avantageux, m'ont fait jetter loin de moi les Elemens de Littérature, bien dignes en effet d'une jeunesse diffipée à qui l'on adreffe de tels principes de goût; mais ce mouvement de dépit, & ce qui l'occafionnoit, m'ont enfuite fait rire aux éclats; car vous fçavez que M. Marmontel permet les éclats de rire à la lecture de tout ce qui eft burlesque; & j'ai repris le livre pour y chercher encore quelque chofe d'auffi récréatif. Je n'ai pas été loin. Voici de quelle manière ingénieufe & plaifante, ce redoutable ennemi de Def

préaux, , veut prouver la mauvaise foi du fatyrique dans la défenfe des anciens. I raconte qu'un homme s'étoit fait un fyftême de ne convenir jamais des torts de fes amis. On lui en demanda la raifon: fi j'avouois, ditil, que mon ami efl borgne, on le croiroit aveugle. C'eft par un fyftême tout femblable, que Despréaux ne voulut pas convenir que les beautés d'Homere, mauffadement critiquées par Perraut étoient de véritables défauts. Ce rapprochement n'eft-il pas bien imaginé! Boileau n'en eft pas quitte pour cette petite faillie. A la page fuivante, on le traite plus rudement. « Quel avan »tage, dit fon illuftre adverfaire, » que celui d'Horace fur Boileau, fon foible & froid copifte! quelle phi lofophie dans l'un, quelle abon» dance de pensées ! Et dans l'autre, quelle ftérilité dans les fujets les plus riches! combien peu de pro» fondeur dans fes vues, & d'imagi »nation dans fes plans!

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כן

Effectivement, l'Art Poëtique, en quatre chants, n'eft-il pas bien ftérile & bien froid, en comparaifon de

1'Epitre d'Horace fur le même fujet? Le Lutrin, en fix chants, n'eft-il pas encore une preuve manifeste de ftérilité, dans un fujet fi riche ? & n'eft-il pas évidemment une foible & froide copie faite d'après Horace? Il faut toujours admirer la fagacité & le difcernement de M. Marmontel, dans fes critiques de Defpréaux. Après Cotin, Pradon, Defmarets, Bonnecorfe & Perraut, c'eft M. Marmontel fans contredit, qui a fait le plus de tort à la réputation de Boileau : à moins que M. Mercier ne veuille lui difputer le prix.

Dans ce même article fur les anciens & les modernes, on nous dit que Voltaire, cet homme prodigieux, peferoit lui feul dans la balance, dix anciens des plus admirés. J'avoue que je n'aurois pas cru Voltaire fi pefant.

A l'article des Arts Libéraux, on prétend que leurs fuccès dépendent non feulement de l'émulation de l'intérét, mais de celle de la vanité. Je fçais bien qu'il y a des Artistes très-vains -& très-intéreffés, qui ont au moins le talent de fe procurer des fuccès

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