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févère que le public. Il trouva son livre mauvais, & il le dit. Cet aveu noble & courageux annonçoit un grand caractère Il étoit tellement honteux du fuccès de cet ouvrage, qu'un jour le trouvant chez M. le Comte d'Egmont, il s'en faifit, & le mit en pièces, malgré ceux qui étoient préfens.

Madame de Tencin, entendant le jeune Abbé parler des affaires publiques, & railonner avec beaucoup de fagacité fur les évènemens politiques, jugea que c'étoit l'homme qu'il falloit à fon frère, qui commençoit à entreren faveur & dans la carrière du Ministère.

Le Cardinal, occupé jufqu'alors des affaires de l'Eglife, étoit fort peu inftruit des intérêts de l'Europe. C'eft pour l'inftruction particulière de ce Miniftre, que le jeune Abbé fit l'abrégé des traités, depuis la paix de Weftphalie jusqu'à nos jours; ce travail perfectionné depuis, a produit le Droit publique de l'Europe.

Le Cardinal fentoit fa foibleffe dans le Confeil pour le tirer d'embarras, l'Abbé de Mably lui perfuada de de

mander au Roi la permiffion de donner fes avis par écrit: c'étoit Mably qui préparoit ces rapports & faifoit ces Mémoires. Il avoit fouvent communication des inftructions & des dépêches des Ambaffadeurs. Ce fut lui qui, en 1743, négocia fecrettement à Paris avec le Miniftre du Roi de Pruffe, & dreffa le traité que Voltaire alla porter à ce Prince. Frederic, qui ne l'ignoroit pas, conçut dèslors une grande eftime pour l'Abbé de Mably! c'eft une fingularité bien digne de remarque, que deux hommes de Lettres, fans caractère public, fuffent chargés de cette négociation importante, qui alloit changer la face de l'Europe.

On détermina Louis XV à fe mettre à la tête de ses troupes. Le Confeil vouloit établir les armées fur le Rhin ; c'étoit le fentiment de Noailles & de Tencin Mably foutint qu'il falloit faire la campagne dans les Pays bas; il fe trouva que le Roi de Pruffe demanda la même chole. Mably eut la gloire de s'être rencontré avec Frederic: il avoit jugé juste.

Ce fut encore lui qui dreffa les Mémoires qui devoient fervir de bafe aux négociations du congrès ouvert à Breda, au mois d'Avril 1746: ces divers travaux décidèrent fa vocation

pour la politique. Mais peu de temps - après, il fe brouilla avec le Cardinał, à l'occafion d'un mariage proteftant que Tencin vouloit caffer. Il difoit qu'il vouloit agir en Cardinal, en Evêque, en Prêtre. Mably lui foutenoit qu'il devoit agir en homme d'Etat. Le Cardinal ajouta qu'il fe deshonoreroit s'il fuivoit fon avis: l'Abbé le quitta brufquement, & ne le revit plus.

Pour complaire à sa famille, l'Abbé de Mably étoit entré de bonne heure dans les Ordres; mais il s'en tint au Sous-Diaconat, & l'on ne pat jamais l'engager plus avant. Il ne vouloit point le mettre, par fon état, fe en contradiction avec les principes. En quittant le Cardinal, il facrifia fa fortune à fa liberté ; il s'adonna tout entier à l'étude, & vécut dans la retraite.

Son ouvrage du Droit public do

Europe, eft dans tous les cabinets des hommes d'Etat, depuis la Cour de Pétersbourg jusqu'à la République de Lucques. On l'enfeigne publiquement dans les Univerfités d'Angleterre. Il eft traduit dans toutes les langues, & il plaça l'Auteur au rang des premiers Publiciftes de l'Europe. Ce ne fut pas fans éprouver d'obftacles, qu'il enrichit la France de cet Ouvrage néceffaire quand Mably voulut le faire imprimer, l'homme en place, à qui il s'adreffa, le reçut fort mal, & lui dit qui étes-vous, M. Abbé, pour écrire fur les intérêts de 'Europe? êtes-vous Miniftre ou Ambaffadeur? Il auroit pu répondre : fi j'étois Miniftre ou Ambaffadeur, je ne perdrois pas mon temps à dire ce qu'il faut faire; je le ferois, La pern.iffion d'imprimer lui fut donc durerement refufée. L'Abbé de Mably, contint fon indignation, & fe retira fans rien dire. Il fit imprimer fon livre chez l'étranger..

La politique de l'Abbé de Mably n'étoit autre chofe que l'équité & la bonne foi. C'eft là tout le fondement

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du Droit public dont nous parlons. « L'Auteur, dit M. l'Abbé Brizard, y démontre la néceffité de garder » la foi des Traités les dangers qu'il y a toujours à les enfreindre ; » il y prouve que, pour leur propre » fûreté, les Princes devroient être » juftes, & religieux observateurs de » leurs fermens. Il montre, par l'exem» ple de tous les fiécles & de tous » les peuples, qu'au bout des conqué→ »tes il je trouve l'abîme; que le véri» table intérêt des Etats eft de con» ferver, & jamais de s'aggrandir. » C'eft à infpirer cet efprit de mo» dération & de concorde, qu'il borne tous les fecrets de la politique ; & fes Principes des Négociations, ne » font que la démonftration de cette » vérité, &, pour ainfi dire, l'art » d'entretenir la paix & l'union parmi » les hommes »,

Les Principes de Négociation font proprement une introduction au Droit de l'Europe. On y voit avec plaifir, que c'eft Henri IV, qui, le premier chez les Nations modernes, connut & pratiqua ces vrais principes, Sa

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