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Et peut-être ta plume, aux Cenfeurs de Pyrrhus,

Doit les plus nobles traits dont tu peignis Burrus.

"Athalie n'étoit pas non plus une imitation d'Euripide. Cette pièce refta profque inconnue dans fa nouveauté ; Racine ne vit point fon fuccès ; il crut qu'il s'étoit trompé. Defpréaux fut le feul qui en fentit tout le mérite. Ce ne fut point par comparaison qu'il la jugea à quoi la comparer ? le feul Despréaux foutint contre tout le monde, contre tout fon fiécle, qu'Athalie étoit le chef-d'œuvre de fon ami; & ce fut de cette pièce méconnue & dédaignée, qu'il tira un exemple du fublime, pour la dernière réflexion fur Longin. Ce fut cette pièce qu'il oppofa à tout ce que Corneille avoit fait de plus beau. Le jugement de Defpréaux qui étoit alors celui d'un feul homme, a été celui de la poftérité & de toutes les Nations. Soutenir, après cela, que Boileau n'étoit pas capable de juger des chofes de génie, c'eft avoir bien du mépris pour fes

lecteurs, ou faire bien peu de cas de leur eftime. Et cómment M. Marmontel, qui a fi indignement eftropié. & gâté les vers de Quinaut, fait-il fans ceffe un crime à Defpréaux d'avoir peu goûté ce Poëte, plus fouvent doucereux que noble & tragique ? certainement les traits du fatirique, étoient moins injurieux pour Quinaue que les corrections de M. Marmontel. Boileau, ajoute-t-on, ne connoiffoit point le Tafle, ou ne l'a jamais bien fenti. Boileau ne pouvoit fouffrir qu'on préférât le clinquant du Taffe à l'or de Virgile; mais il fentoit le mérite du Taffe: voici comme il s'en explique. » J'avoue, difoit-il, que le Tafe a » un génie fublime, heureufement né » à la poëfie, & à la grande poëfie. » Mais le bon fens n'eft pas toujours ce » qui domine chez lui. Dans la plupart » de fes narrations, il fonge bien moins >> au néceffaire qu'à l'agréable : fes del»criptions font trop chargées d'ornemens fuperflus. Dans la peinture des grandes paffions, & au milieu du trouble qu'elles viennent d'exciter > fouvent il dégénère en traits d'efprit

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qui font tout-à-coup ceffer le pathé»tique. Il eft plein de tours affectés, » de pointes & de penfées frivoles..... » Or tout cela oppofé à la fageffe, à « la majefté de Virgile, qu'eft-ce autre » chofe que du clinquant oppofé à » de l'or? » n'y a pas un homme de goût qui ne penfe, à ce fujet, comme Defpréaux, & qui ne puiffe faire voir à chaque page du Taffe quelque trait de faux-efprit.

Voici la grande objection de M. Marmontel. Comment Boileau auroit-il été un vrai connoiffeur dans la partie du pathétique, lui à qui il n'est jamais échappé un trait de sentiment dans tout ce qu'il a pu produire ? d'abord il n'est pas néceffaire d'avoir rien écrit en quelque genre que ce foit, pour fentir le pathétique. Ce qui touche l'ame eft à la portée de tout le monde ; & l'ignorant eft ému, attendri par le pathétique comme les perfonnes les plus inftruites. Il eft donc fouverainement ridicule de prétendre que Def préaux n'ait pas pu connoître le pathétique, ni en juger. Mais il n'avoit pas de fentiment. De quel fentiment veut-on parler? car on abuse beaucoup

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de ce mot dans ce fiècle fi peu senfible? dire qu'il n'a point parlé d'amour dans les fatyres, ni dans fon art Poëtique? J'avoue qu'il ne s'eft point attendri fur les fottifes des hommes, fur les ridicules des Auteurs, & fur les préceptes de l'art des vers.

Non erat his locus. Eft-il donc nécef-` faire de parler d'amour pour avoir du Sentiment? Voyez cependant s'il n'a pas bien rendu les fentimens de l'amoureufe Sapho.

Heureux qui, près de toi, pour toi seule
Loupire,

Qui jouit du plaifir de t'entendre parler;
Qui te voit quelquefois doucement lui.
fourire !

Les Dieux dans fon bonheur peuvent-ils l'égaler ?

Je fens de veine en veine une fubtile flamme

Courir par- tout mon corps, fitôt que je

te vois :

Et dans les doux transports où s'égare mon

ame,

Je ne fçaurois trouver de langue ni de voix,

Un nuage confus fe répand fur ma vut, Je n'entens plus : je tombe en de douces langueurs ;

Et pâle, fans haleine, interdite, éperdue› Un friffon me faifit, je tombe, je me

meurs.

Je défie M. Marmontel, qui parle tant de fentiment, fans en avoir fait aucune preuve, de mieux exprimer la paffion de Sapho. Defpréaux étoit donc capable de fentir ce qu'il y a de bien rendu. S'il n'a pas traité des Tujets de tendreffe, c'eft qu'il a préféré d'être le Poëte de la raifon ; & fes ouvrages font remplis de fentimens vrais, de fentimens nobles, de fentimens de vertu, de courage d'honneur, de patriotifme & d'humanité. Sera-t-on toujours la dupe des mots? croira-t-on qu'il n'y a de vraie sensi bilité que la tendreffe amoureuse; que ce foit là le fentiment par excel lence; qu'un homme qui ne parlera point d'amour, n'aura point de sentiment. Je ne dirai plus qu'un mot, pour terminer cette phrase, déjà trop longue; c'eft qu'il eft impoffible d'être

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