Images de page
PDF
ePub

J'ai cité, Monfieur, beaucoup de vers de cette pièce, parce que n'ayant point été préfentée à l'Académie Françoife, elle étoit moins

connue.

M. de Chenier n'a point auffi concouru pour le prix; mais il ne s'eft pas difpenfé pour cela d'offrir à la vertu, l'hommage de fon talent: perfuadé que les récits ne font pas faits pour l'Ode, il a paffé légèrement fur le fait, pour s'abandonner aux idées & aux mouvemens qu'il infpire. Peutêtre s'eft-il trompé. Si l'Ode ne raconte pas, elle décrit; & une defcription éloquente & vive des circonftances de cette action héroïque, eût été plus intéreffante que des réflexions quelque brillantes qu'elles foient: voici quelques ftrophes pleines de hardieffe & d'énergie, & qui ont vraiment la couleur lyrique :

Laiffez-là ces pompes mortelles,
Néant de l'orgueil fouverain,
Ces tombeaux où les Praxiteles,
Font pleurer le marbre & l'airain
Ces pyramides infolentes

Où dorment les ombres fanglantes

[ocr errors]

Des héritiers de Bufiris,
Rois déreftés, tyrans célèbres,
Et qui dans ces Palais funèbres
Ont laiffé des mânes flétris.

Apportez, fujets de la Sprée,
Des lauriers & des étendarids :
Loin de fa tombe idolâtrée,
Le brillant menfonge des arts;
Sans faßte elle aura plus de charmes :
Venez, qu'un récit plin de larmes
Dife fa mort & vos douleurs

Et périffe le coeur cynique,

[ocr errors]

Qui, près de la cendre héroïque,
Paffera fans verfer des pleurs.

Sans fafte elle aura plus de charmes eft un vers bien foible; heureusement qu'il eft couvert par ceux qui le précèdent & le fuivent. Cynique eft. impropre, floïque eût été plus conve

nable.

Quelle ame en vertus fi féconde
Refifte au poifon des flatteurs,
Le berceau des maîtres du monde

Eft entouré de corrupteurs:

Un monftre, ami de tous les vices,
Va fecher dans ces coeurs novices
La bonté qui nous vient des Dieux,
Et flétrit les enfans du trône,

Comme ces fruits qu'avant l'automne,
Dévore un infecte odieux.

On a vu des Rois exécrables,
Ne régnant que par des complots,
Ivres du fang des misérables,
Dormir au bruit de leurs fanglots;
Ils dormoient fur un précipice,
Il est venu le jour propice :
Qui doit être enfin leur écueil;
Et frappés d'une mort affreuse,
Leur mémoire cadavéreuse
Va s'abîmer dans le cercueil,

L'Auteur déclare avec l'orgueil du génie, que la récompenfe promise n'a rien qui puiffe le tenter; & par le privilége qu'ont les grands Poëtes de fe louer eux-mêmes, il ofe fe comparer à Homere & à Pindare. Mais c'est une licence poëtique qui ne doit point faire de tort à la modeftie de l'Auteur :

O lyre, ne fois plus muette,

Viens faifir le prix qui t'est dû :
Quel prix vaur, aux yeux du Poëte,
L'honneur de chanter la vertu.
De l'or nous dédaignons l'empire,
Et tous ces chantres qu'il inspire,
Ne feront jamais nos rivaux :
Amans des filles de mémoire,
Un tréfor d'immortelle gloire;
Voilà le prix de nos travaux.

Les deux premiers vers de cette ftrophe font vagues, ifolés, & femblent ne point tenir à ceux qui fuivent:

Ce Héros de la bienfaifance

Qui dût vivre autant que

Neftor

II périt prefque dès l'enfance,
Ainfi que le vainqueur d'Hector:
Demi-Dieu, reçois mes hommages,
J'irai chanter fur ces rivages,
Que fon trépas va confacter;
J'irai: de nouveaux Alexandres ]
Envieront un jour à tes cendres,
Les vers que tu dois m'inspirer.

Là, mes amis, loin des profanes, Courons lui dreffer des autels, Courons; fuivez-moi ; que fes mânes Entendent nos chants immortels; Que tous méritent la victoire ; Que ces chants faffent notre gloire Et l'étonnement du Germain: Ramenons ce fiécle où la France, Par les arts & par l'éloquence, Régnoit du Tage au Pont-Euxin: Cette ftrophe eft foible précisément parce que Phyperbole eft trop forte Auteur abufe de l'enthoufiafme lyrique. Son délire eft trop vrai; & le délire d'un bon Poëte, ne doit jamais être qu'apparent. On remarque dans cette Ode, une touche très-mâle & très-vigoureufe; un ftyle audacieux, beaucoup de mouvemeut, une allure fière & rapide. Mais M. de Chenier auroit dû paffer la lime fur plufieurs endroits, & il ne conferve pas tou jours dans fon ivreffe, affez de raifon & de goût; fon excufe eft dans fa jeuneffe. Il eft Auteur d'une Tragédie d'Azémire, malheureuse il eft vrai,

« PrécédentContinuer »