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grand Poëte, fans avoir beaucoup de fenfibilité; & il eft affez reconnu que Defpréaux eft un de nos meilleurs Poëtes. Toute la fenfibilité de fon cœur étoit pour la raison & pour la vertu. C'étoit là ce qu'il aimoit & ce qu'il a fait aimer:

Un auteur vertueux, dans fes vers inno

cens,

Ne corrompt point le coeur en chatouillang les fens.

Son feu n'allume point de criminelle flamme.

Aimez donc la vertu, nourriffez-en votre

ame.

En vain l'efprit eft plein d'une noble vigueur ?

Le vers fe fent toujours des baffeffes du

cœur.

Je ne ferois pas en peine de faire un petit traité de la fenfibilité de Boileau; l'on verroit que c'eft celle qui convient à un homme fenfé, à un vrai Philofophe.

Ce même article fur la Critique

contient plufieurs autres chofes non moins curieufes. Selon M. Marmontel, il n'y a eu dans aucun fiécle de Critique Supérieur que lui-même c'est lui qui vous dit allez au grand, n'importe par quelle voie. Ainfi, allez au grand par la voie du gigantefque, comme Lucain & Brebeuf. Il ne vous dira pas (ce font fes termes) que l'action de votre pièce ne change point de lieu; cela eft très-commun; mais il vous dira; que le changement de lieu foit poffible d'un acte à l'autre. Il auroit bien dû nous expliquer comment ce changement feroit poffible, s'il eft impoffible, qu'il foit vraisemblable. Dans le Poëme épique : passez-vous du merveilleux, comme Lucain. Ainsi, c'eft la Pharfale qui doit être le modèle du Poëme épique ; & c'est ainfi, comme il le dit encore, que Le Critique fupérieur laisse au génie toute fa liberté ; & qu'il nous laiffe auffi la liberté de rire. Après, s'être encenfé avec autant de bonne foi, il applique à tous les autres Critiques, anciens & modernes ce mot de Voltaire: ils ont laborieufement drie

des volumes, fur quelques lignes que l'imagination des Poëtes a créées en fe jouant. Ni Volaire, ni M. Marmontel ne viendront à bout de nous perfuader que Virgile en fe jouant, ait fait l'Enéïde, qui lui a coûté douze années de fa vie, & qu'il a laiffée imparfaite; que Racine ait fait fes Tragédies, en fe jouant, quoiqu'il ait confumé plus de deux ans fur la feule Tragédie de Phedre. Ces deux hommes de génie, & le petit nombre de ceux qui ont cherché comme eux, la perfection, avoient fait plus de réflexions fur leur art, que n'en ont écrit les plus habiles Critiques. Prefque tous les grands génies, ajoute notre Ariftarque, depuis Homère jufqu'à Lucrèce, depuis Lucrèce jufqu'à Corneille, femblent avoir choift pour s'élever, les temps où l'ignorance leur laifoit une libre carrière. Nous ne concevons pas trop comment ces grands hommes ont pu choisir pour naître & pour s'élever, les temps qui leur convenoient le mieux mais il eft faux qu'ils aient choifi des temps d'ignorance. Les Poëmes d'Homere atteftent que les

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Arts & les Sciences étoient bien cul. tivées de fon temps; d'autres Poëtes célèbres l'avoient précédé, & Héfiode fut fon contemporain. Le fiécle de Térence & de Ciceron ne fut pas un temps d'ignorance, & ce fut celui de Lucrèce. L'aurore des lettres étoit déjà très-brillante parmi nous, quand Corneille parut après Malherbe. Le fiécle de Louis XIII n'étoit pas encore celui du goût le plus épuré ; mais il n'étoit pas un fiécle d'ignorance, puifqu'il avoit produit Defcartes, Pafcal & d'autres hommes d'un grand mérite. Les temps favorables au génie ne font point ceux où règne l'ignorance; mais ceux où leluxe, les faux fçavans & les fophiftes n'ont point éteint en nous les purès -lumières & les fentimens de la nature & de la vérité.

En parlant de la déclamation tragique M. Maimontel s'exprime ainfi: « nos voifins font plus hardis,

& par conféquent plus grands que nous dans cette partie. On voit fur » le Théâtre de Londres, Barneveld, chargé de pefantes chaînes, fe rouler

» avec fon ami fur le pavé de la prison, » étroitement ferrés l'un dans les » bras de l'autre ». Nos voifins font plus hardis; donc ils font plus grands. Excellent raifonnement; & ils font plus grands, parce que leurs Acteurs Je roulent par terre. Admirable conclufion. Le vieil Horace, Augufte & Polyeude feroient bien plus fublimes, s'ils fe rouloient auffi par terre ; mais cela n'eft pas difficile. Nos Acteurs n'auront pas beaucoup de peine d'embellir nos chef-d'oeuvres par de fi grandes hardieffes.

Qu'on fe repréfente, continue l'Au, teur élémentaire Eleare dans fon premier monologue, traînant de véritables chaînes dont elle feroit accablée ; quelle différence dans l'illufion & dans l'intérêt? Quel intérêt en effet, quel furcroît de pathétique, de voir Eleare avec des groffes chaines de forçats, qui l'empêcheroient prefque de fe remuer! L'Auteur qui dit tout, ne nous a pourtant pas dit, s'il falloit qu'elle eût auffi des fers aux pieds. A l'article Duo on ne s'attend pas à trouver cette critique du Poëte

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