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des Grecs qui faifoient ce métier, & c'étoit communément à des Grecs qu'ils parloient. Or jamais peuple no fe paya plus aisément de mots, & ne fut plus amoureux des fineffes & de l'harmonie de fon idiome; ils difpenfoient l'Orateur de la jufteffe, de la profon deur & de la force des penfées', pourvu qu'il fçût les amufer par un étalage & un vain luxe d'expreffions délicates & choifies; leur efprit étoit toujours content, pourvu que leurs oreilles fuffent agréablement flattées. L'Afie Mineure étoit le plus brillant théâtre de ces difcoureurs. Leur galimathias précieux & maniérés: réuffiffoit fur tout auprès de ces afiatiques mous & efféminés, dont le goût & le difcernement étoient émouffés par l'abus des fensations voluptueules, qui ne cherchoient dans un difcours que la cadence des périodes, & le fracas des mots, & qui ne faifoient pas plus de cas des idées, que les Italiens des paroles d'un Opéra.

On voit dans un petit ouvrage de Lucien, intitulé le Maître d'élo

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quence, quelle étoit l'impudence & la corruption des fophiftes de ce temps là. Un jeune amant de la rhétorique, s'informe du féjour qu'elle habite, dans l'intention d'aller lui offrir fes hommages. On lui propose de se mettre fous la conduite d'un fophifte alors très célèbre, d'un fçavant univerfel, d'une figure » féduifante, dont la démarche est flottante, la tête penchée, la voix » miellée, l'air efféminé, le corps parfumé, paffant légèrement le bout du doigt fur l'économie de fa fri»fures il n'a pas, dit-on, beaucoup >> de cheveux, mais les différentes boucles en font ajustées avec art & peintes couleur d'hyacynthe ; en un mot il eft auffi voluptueux, a auffi recherché que Sardana» pale, &,»

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Les confeils que cet homme donne au jeune afpirant ne démentent point le portrait qu'on vient de voir. » Mu»niffez-vous d'un grand fonds d'igno

rance, armez-vous enfuite d'audace, » de confiance & d'impudence; pour » la pudeur, l'équité, la modeftie la rougeur, laiffez tout cela che

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Vous comme chofes inutiles & contraires à vos deflins. Accoutumezvous à crier bien haut & prenez le

ton le plus impudent, avec la con»tenance & l'air que vous me voyez. »Portez une robe blanche, brodée

en fleurs, tiffue à la façon de Tarente, » & qui foit tranfparente; ayez des >> mules attiques, auffi finement tra»vaillées que celles des femmes;

ayez toujours à votre fuite un nom>>breux domestique & un livre en main...... mettez-vous bien dans la →tête quinze ou vingt mots attiques, » que vous aurez foin d'avoir fouvent » à la bouche, & dont vous affai» fonnerez tous vos difcours. Ne → vous inquiétez pas du refte de votre ftyle. Parlez un langage inu»fité, étranger, inconnu même aux anciens pourvu que vous mêliez » dans le discours, les mots en queftion, vous ferez confidéré, admiré » du vulgaire, comme un homme » dont les connoiffances font au»deffus de fa portée........ Vous ne »lirez aucun des anciens ni le ver»beux Ifocrate, ni le brut Démof

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thene, ni le froid Platon ; attachezvous aux ouvrages publiés dans » ces derniers temps, ce fera pour >> vous un riche fonds où vous pour

rez puifer toutes les fois que vous >>> en aurez befoin..... Débitez tout » ce qui vous viendra à la bouche, » ne vous embarraffez pas de mettre chaque chose à fa place; dites ce qui fe préfentera d'abord à votre efprit..... Que vos amis ne man»quent pas d'applaudir, qu'ils vous » rendent par là, les repas que vous leur aurez donnés ; qu'ils vous reconduitent chez vous en grand cortège, & s'entretenant du fujet de » votre difcours. Si vous rencontrez » quelqu'un, louez-vous à outrance & fans réferve, jufqu'à vous rendre infupportable; dites hardiment: qu'y a t-il de commun entre moi & votre Démofthene? eft il aucun » de vos anciens qui pût me le dif»puter?... Vous ne fçauriez croire combien on entraîne de fuffrages par l'envie qui n'épargne perfonne, par la haine, la médifance & la >> calomnie; ce font des moyens in

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faillibles d'avoir de la célébrité & » de la réputation. Dans le particulier, il faut vous réfoudre à donner dans » tous les vices, aimer le jeu, le vin, » les filles, les femmes mariées: & » quand vous n'en auriez aucun ≫ vantez-vous hautement de les réu»nir tous; dites-le à tout le monde; » montrez les billets doux que vous au>> rez reçus de toutes parts; prétendez paffer pour un Adonis, & faites en-` forte que toutes les femmes courent après vous.... Je vous réponds » que bientôt vous ferez auffi excel

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lent Orateur que moi. Je n'ai pas » befoin de vous dire combien l'élo» quence vous rendra opulent en peu » de temps. Vous voyez ma fortune; » quoique je fois né d'un père obscur, » dont on peut même dire qu'il n n'étoit pas parfaitement libre, puif » qu'il avoit fervi dans l'Egypte in-. »férieure, & que j'euffe pour mère » une ravaudeufe des rues. J'étois.

d'une figure affez paffable, & je » m'attachai d'abord pour mon pain, » à un malheureux qui regardoit de » près à la dépenfe; mais voyant

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