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» que le chemin de l'éloquence étoit fi facile, je parvins promptement au » terme, avec les reffources que je >> vous ai indiquées; je ne m'appellai plus Photin; mais je pris le furnom des fils de Jupiter & de » Leda. Je devins enfuite le tenant » d'une vieille feptuagenaire qui » n'avoit plus que quatre dents à » la bouche, encore étoient - elles » retenues par un fil d'or...... Je » me voyois au moment d'être fon » légataire univerfel, fans un pendard » d'esclave, qui lui apprit que j'avois » acheté du poifon pour elle : malgré » ce terrible revers, je ne fus point » dénué de toutes reffources, je paffe » pour Rhéteur, je me montre dans tous les tribunaux ; je ne me pique » pas d'une exacte probité, & je perfuade fouvent à mes cliens, que »je viendrai à bout de corrompre les Juges..... Je fuis d'ailleurs, » en horreur à tout le monde ; mes » mœurs détestables, & mes difcours, plus déteftables encore, m'ont rendu >> fameux & me font montrer au » doigt; on me connoît pour un

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maître paffé en tout genre de fcé »lérateffe; mais je ne m'en eftime pas moins.

Quelques critiques penfent que cet honnête-homme que Lucien peint de fi belles coulers, n'eft autre que le Rhéteur Pollu qui a trouvé le moyen de paffer à la poftérité, à la faveur d'un Dictionnaire Grec, connu fous le titre d'Onomafticon, & qui, en dépit des fatyres de Lucien, efe dans une grande eftime parmi les fçavans. Ce Pollux étoit un fophifte de Cour; il apprit la langue grecque à Commode, fils de Marc-Aurele; c'est à ce Prince qu'il dédia fon Di&ionnaire ; & ce fut lui qui le nomma à la chaire de Rhétorique d'Athènes, place alors très honorable & trèsrecherchée.

Il eft probable que Lucien fat dégoûté de la profeffion de fophifte, par les vices de ceux qui l'exerçoient, fon génie l'appelloit vers la Philofophie; & c'est à elle qu'il doit toute la gloire dont il jouit dans la posté. rité. Ce changement lui a fait naître Fidée d'une fiction très-ingénieufe

il fuppofe que la Rhétorique le cite en Justice, comme un ingrat & un infidèle: elle lui reproche dans fon plaidoyer, de l'avoir comblé de fes faveurs, de l'avoir accompagné dans tous les voyages, de lui avoir procuré une fortune brillante; qu'elle a refufé pour lui, une foule d'amans, & qu'après tant de facrifices, elle se voit indignement abandonnée pour un vieux barbon, qui n'a pour tout équipage, qu'un manteau déchiré : ce barbon eft le Dialogue philofophique, auquel Lucien s'étoit attaché renonçant pour toujours aux déclamations & aux difcours d'appareil. Lucien fe juftifie & allègue pour caufe de fon divorce, la mauvaise conduite de la Rhétorique, dont il parle comme de fon époule. « Toutes les nuits » dit il, notre quartier étoit rempli » d'une foule de galans yvres, qui » venoient paffer chez elle des mo» mens agréables, frappoient à la » porte, & quelquefois même por

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toient l'impudence & l'audace juf» qu'à entrer par violence; elle ne » faifoit qu'en rire, & ces différentes

» fcènes l'amusoient beaucoup : fou»vent elle fe tenoit à la fenêtre pour les voir, ou entendre leur voix rauque & leurs chanfons galantes; fouvent auffi elle leur ouvroit à petit bruit, répondoit à leurs avan»ces, quand elle croyoit pouvoir » le faire à mon infçu ».

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Lucien gagne fa cause

& n'a

contre lui qu'une feule voix, qui est celle du Rhéteur; mais dans la même audience, il eft accufé une feconde fois par fon ami le Dialogue, qui fe plaint qu'on l'a rendu trop gai & trop familier, & qu'on fait outrage à fa gravité naturelle: il eft vrai que les anciens Philofophes faifoient fervir le Dialogue à des questions épineufes à de vaines fubtilités; Lucien l'a employé à d'agréables plaifanteries, à des fcènes comiques, & l'a mis à la portée de tout le monde; on ne peut pas lui en faire un crime, & il fort victorieux de ce fecond combat.

Si Lucien eut continué le métier de Rhéteur, il feroit probablement aujourd'hui abfolument inconnu; quelques ouvrages foibles & infipides,

tels quel'éloge d'une belle Maifon; l'éloge de la Mouche; l'éloge de la Patrie; l'éloge de Phalaris, le Tyrannicide, &c., qui n'ont été confervés qu'en confidération des autres productions excellentes du même Auteur, ne feroient pas parvenus jufqu'à nous : tant il eft important de fuivre fon génie, & dé travailler dans le genre auquel la nature nous a destinés.

On fçait que les Dieux & les Philofophes ont été les deux principaux objets de la fatyre de. Lucien. Dans les volumes que je vous annonce, il

eft

peu fait mention des Dieux. Mais on y trouve plufieurs dialogues.trèscauftiques & très-plaifans fur les vices. & les impoftures des Philofophes de ce temps-là. Dans les Fugitifs, il nous apprend que la plupart de ces prétendus Philofophes étoient des hommes de la lie du peuple, des esclaves, des ouvriers, fans aucun principe, qui arboroient le manteau philophique pour vivre plus à leur aife; témoins de la confidération & du refpe&t qu'on avoit pour ceux qui étoient revêtus des livrées de ia Phi

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