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fofophie, ils quittoient leurs bouti ques, s'enfuyoient de chez leurs maîtres, & fe déguifoient en Philofophes il ne falloit pas être bien habile pour laiffer croître fa barbe, fe couvrir d'un mauvais manteau, porter une beface fur fes épaules avoir un bâton à la main, aboyer & vomir des injures contre les paffans. Un pareil coftume devenoit pour ces miférables, une fource de richeffes.

Dans le dialogue intitulé l'Ama teur de Fables, Lucien fe moque de la fotte crédulité des plus graves Philofophes, qui croyoient aux enchan temens, aux revenans, aux philtres, à tous les preftiges de la magie. Aujourd'hui les incrédules, les efprits forts, qui rejettent toute efpèce de miracle, s'honorent du titre de Philofophes du temps de Lucien, les Philofophes, les fçavans avoient une grande foi aux fortilèges; & ce qui eft bien pis, ils étoient eux-mêmes forciers: ainfi varient les folies humaines. Rien n'eft plus plaifant que les contes bleus que Lucien met dans la bouche de fes Philofophes; en

voici un échantillon : c'eft le Philo fophe Eucrate, qui débite gravement le fait comme témoin & comme acteur, A fon retour d'Egypte, il avoit fait connoiffance avec un Mage, nommé Pancrace, homme extraordinaire, à qui il voyoit faire tous les jours les plus grands prodiges: il s'étoit infinué dans fon amitié, & en avoit appris plufieurs fecrets, « Lorfque nous arrivions, dit-il, dans une hôtellerie, il prenoit une barre de porte, un » manche à balai ou un pilon; il » l'habilloit, & dès qu'il avoit pro» noncé un enchantement, le bâton »agiffoit, marchoit, & paroiffoit » un homme aux yeux de tout le

monde; cet homme fortoit, alloit » chercher de l'eau, faifoit nos pro» vifions & les préparoît; en un mot,

il nous rendoit fort adroitement » tous les fervices dont nous pouvions » avoir befoin. Quand fon ministère > nous devenoit inutile, un fecond » enchantement que je n'ai jamais pu fçavoir, lui rendoit fa première forme de balai ou de pilon. Malgré le défir extrême que j'avois de connoître ce

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fecret, ce fut la feule chofe que » crace me refufa; car d'ailleurs il n'a» voit rien de caché pour moi, & fe » montroit à mon égard le plus com→ >> plaifant des hommes. Un jour cepen» dant qu'il confultoit fon Livre dans » un coin ténébreux, je m'approchai » de lui, & fans qu'il s'en apperçût

je vins à bout de lire le premier de a ces deux enchantemens, qui n'étoit » compofé que de trois fyllabes. It »fortit pour aller fur la place, après » avoir donné fes ordres au manche » à balai. Le lendemain, j'avois moi» même affaire au marché ; je prends un pilon, je l'habille, & après avoir prononcé fur lui les trois fyllabes, » je lui ordonne d'aller chercher de » l'eau. Quand il m'eut apporté une amphore toute pleine ; c'en eft affez » lui dis-je, ceffe ton ouvrage, & » redeviens pilon. Ce fut en vain; il » refufa de m'obéir & continua d'ap» porter de l'eau, jufqu'à ce que bien» tôt la maison fut toute inondée. Je » me trouvai fort embarrassé; je craignois d'ailleurs que Pancrace, à fon retour, he trouvât mauvais ce que

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j'avois fait. Je m'avifai de prendre → une hache & de couper mon homme » pilon en deux. A l'inftant. chaque partie prend une amphore & fe met à puifer, de forte que j'avois deux » porteurs d'eau pour un. Pancrace, à » fon retour, en fit deux morceaux de

bois; mais il me quitta fecrétement, » & je ne l'ai jamais revu depuis. Ne >> favez-vous pas encore d'un pilan » faire un homme, lui demanda le cré dule Dinomaque? Eh, reprit l'autre, je n'ai que la moitié du secret, puilque je ne puis plus d'un homme faire un pilon: fi j'avois la témérité de » créer un porteur d'eau, il nous au"roit bientôt noyés avec toute la

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>> maison. <<

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Le banquet des Philofophes eft deftiné à tourner en ridicule leur groffièreté, leur gloutonnerie, leur crapule Ariftenete homme riche, donne un grand feftin pour célèbrer le mariage de fa fille, & y invite plufieurs fameux Philofophes de différentes fectes: tous les convives font déjà placés, lorfque le cynique Alcidamas arrive fans avoir été invité: il rode

autour de la table, enlève ce qui luice paroît le meilleur, mange & boit étendu par terre, fait mille indécences, & finit par fe battre à coups de poing avec un bouffon qu'on avoit fait venir pour amufer l'affemblée. Au milieu du repas on apporte, au maître de la maison, une lettre de la part d'Ethoemocle, Philofophe ftoïcien, vieillard. dont on avoit jufques alors refpecté. tes cheveux blancs & la longue barbe: on lit tout haut cette lettre, dont voici le contenu.

«Ma vie paffée fera toujours une, preuve que je ne fuis p pas homme à courir après les bonnes tables.: Invité tous les jours, par de plus » riches que vous, je n'accepte jamais, "parce que je connois trop les

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cohues, & les folies bachiques, » inféparables des grands repas. Je » crois cependant devoir me plaindre. » de vous aujourd'hui. Je vous ai » marqué dans tous les temps, beaucoup d'égards & de prévenances, & vous ne daignez pas me compter >> au nombre de vos amis; quoi» que je fois votre voifin, je n'ai pas

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