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accablé sous le poids des oppositions qu'on lui suscite dans son Eglise, et que la seule crainte de Dieu peut le retenir fidèle à son ministère. — Viret, placé dans une Eglise exempte de troubles, aurait peut-être été celui de tous le plus propre à la faire fleurir et prospérer. La douceur de son caractère, sa piété éloquente et persuasive, auraient fait aimer la religion qu'il prêchait. Mais en présence des factieux de Lausanne, les forces lui manquent; il les combattait parce que le bien de l'Eglise lui ordonnait de combattre, mais ce n'était pas avec la fermeté indomptable de Farel, qui grandissait d'autant plus que les oppositions devenaient plus nombreuses et plus violentes.

<< Calvin, dont nous ne pouvons nous dispenser de dire quelques mots dans cette comparaison, offre une physionomie à part et parfaitement tranchée. Il n'a point l'imagination fougueuse de Farel, ni la sensibilité et la douceur de Viret, mais il possède les qualités qui font le penseur, le théologien profond, qui sait combiner un système, le suivre dans ses conséquences, et qui n'est arrêté par aucune considération, lorsque le but qu'il veut atteindre lui semble fondé sur la vérité. Ce n'est point un prédicateur éloquent qui entraîne par sa chaleur et la vivacité des émotions qu'il fait éprouver; non, Calvin était plutôt froid: dans ses sermons il se montrait le même que partout ailleurs, et prononçait autant de sentences que de mots. Ce qui le caractérise surtout, c'est cette volonté de fer qui le fit résister aux factions violentes qui s'élevaient sans cesse contre lui dans Genève, qu'il combattait sans relâche, et dont il finit par triompher. Farel résistait et entraînait; Viret s'efforçait de résister; Calvin résistait et dominait. Farel avait

ce qui fait l'homme utile dans le moment, Viret ce qui rend le prédicateur intéressant et utile, Calvin ce qui fait le grand homme. Aussi Théodore de Bèze remarque-t-il à ce sujet que «< si un pasteur possédait les qualités de ces trois hommes, il devrait certainement être un pasteur accompli*. » Il était beau de voir travailler à la même œuvre ces hommes à qui Dieu avait tant accordé; de les voir s'aimer comme des frères, ne rien faire sans se consulter, s'adresser mutuellement leurs ouvrages pour se demander leurs sentimens, et franchir souvent la distance qui les séparait les uns des autres pour se serrer la main.

Quel est le cœur protestant qui pourrait penser aux nombreux sacrifices qu'ils ont faits pour le triomphe de la vérité, et ne pas être ému pour eux d'une profonde vénération! - Quel est surtout le Genevois qui ne bénit pas la Providence d'avoir envoyé dans ses murs ces hommes, qui, au péril de leur vie, les ont arrachés à l'erreur et à la superstition!

«Farel, Viret, Froment, Calvin! les services que vous avez rendus à Genève ne sauraient jamais s'oublier! C'est vous qui avez posé les premiers fondemens de cette Eglise, justement renommée à tant d'égards, et que tant d'autres après vous devaient illustrer. Vous l'avez fait briller d'un éclat que la succession des siècles n'a point terni! Et ce ne sont pas seulement les lieux qui ont entendu vos voix éloquentes, ce ne sont pas seulement Genève, Lausanne, Neuchâtel, qui doivent bénir vos grands noms; mais les villes, les provinces, les royaumes, qui ont reçu de vous ce flambeau céleste et qui l'ont trans

« BEZA, Vita Calvini, p. 370. Id. Icones.

mis à leurs descendans, doivent aussi déposer à vos pieds le tribut de leurs hommages et de leur reconnaissance! Honneur donc et reconnaissance vous soient à jamais voués! non pas seulement parce que vous avez brisé des statues, foulé au pied des images, enseigné aux hommes que le salut éternel ne s'acquiert pas à prix d'argent; ou parce que vous avez fait triompher un système à un autre; mais nous vous louons, nous vous bénissons, parce que, dans un temps où la folie humaine était au comble, dans un temps où un homme n'avait pas craint de s'égaler à Dieu, et où les droits du Tout-Puissant étaient consignés dans ce qu'on appelle les Décrétales, dans un temps où un être mortel avait l'impudence de prétendre, que quand il entraînerait dans les enfers des peuples sans nombre, aucun homme ne serait en droit de l'en reprendre; que Dieu lui a donné le pouvoir souverain sur tous les royaumes de la terre et sur les royaumes du ciel; qu'il peut déposer les rois, absoudre de tous les sermens et de tous les vœux ; qu'il ne dépend pas de l'Ecriture; que celle-ci, au contraire, tire de lui son autorité, sa force, sa dignité; qu'il n'appartient qu'à lui de l'interpréter, et que personne ne peut l'entreprendre, à moins qu'il ne suive le sens qu'il donne aux paroles de l'Ecriture, et cet homme s'appelait pape *. Nous vous bénissons, parce que vous avez brisé ce joug impie posé sur la pensée et sur la conscience! parce qu'à cet ordre insensé ; Soumettez-vous à mes décrets, vous avez répondu d'une voix ferme : Nous ne nous soumettons pas à un homme comme nous; nous n'avons pour maître que Jésus-Christ, nous n'obéissons à d'autres lois

BEAUSOBRE, Histoire de la Réformation, tom. 11, liv. 3.

qu'à celles de son Evangile! Quand tous courbaient humblement la tête, vous avez revendiqué les droits de tous; vous avez proclamé hautement la liberté d'examen et de conscience, principe fécond en nobles et heureuses conséquences! Vous avez placé la religion de Christ sur ses véritables fondemens, vous avez ouvert une immense carrière de progrès et de perfectionnement, vous avez fait briller dans tout son éclat le flambeau de l'Evangile! Vous avez doté l'humanité du beau principe d'examen en fait de croyance, voilà pourquoi nous répétons: que vos noms soient bénis! Voilà pourquoi nous remercions Dieu du fond de notre âme; car il prit en pitié l'aveuglement des hommes, et a suscité au milieu d'eux ces brillans flambeaux pour dissiper les ténèbres qui cachaient à la terre la lumière des cieux. Voilà pourquoi les hommages et la reconnaissance de la postérité vous seront à jamais dévolus ! »

II. Nouvelles du Jubilé.

DANS la crise dogmatique qui travaille de nos jours le Protestantisme, et dont les symptômes se manifestent de plusieurs côtés, avec plus ou moins de violence, à l'occasion de notre Jubilé, il importe plus que jamais de donner aux divers actes ecclésiastiques la plus franche et la plus entière publicité. C'est le vrai moyen d'éclairer l'opinion. Il faut qu'on puisse juger au grand jour et d'après leurs œuvres respectives les deux principes qui

sont maintenant en présence, savoir, d'une part, l'autorité humaine en matière de foi, avec son despotisme spirituel, ses formulaires, ses exclusions, ses condamnations, et de l'autre, la liberté de conscience, avec la Bible seule pour règle souveraine, avec la tolérance et la charité pour résultat. Nous publierons donc dans nos colonnes, autant qu'il sera en nous, et ainsi que nous avons déjà commencé à le faire, toutes les pièces authentiques propres à instruire ce grand procès, auquel se lie si étroitement non-seulement le sort futur de l'Eglise protestante, mais l'avenir même du Christianisme et l'avancement du règne de l'Evangile dans le monde.

Nous mettrons d'abord sous les yeux de nos lecteurs la lettre de la Classe de Payerne et Moudon, ainsi que celle du clergé d'Ecosse, dont nous avions fait mention dans notre précédent cahier.

Lettre de la Classe de Payerne et Moudon.

Moudon, le 24 juin 1835.

A M. le Modérateur et MM. les membres de la Vénérable Compagnie des Pasteurs de Genève.

MESSIEURS NOS très chers et TRÈS HONORÉs frères,

C'est avec un sentiment difficile à exprimer que la Vénérable Classe de Payerne et Moudon a reçu, dans sa séance du 10 courant, communication officielle de votre fraternelle invitation pour le Jubilé qui doit être célébré le 23 août prochain dans votre Eglise, en mémoire de la bienheureuse Réformation. Il nous sera assurément bien doux d'élever nos cœurs vers le trône de grâce, pour solliciter sur vos personnes et sur les troupeaux qui vous sont confiés tous les dons de la miséricorde divine né

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