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Peindre, émouvoir, imiter dans vos vers
L'heureux larcin du hardi Prométhée;
Donner la vie à mille êtres divers,
Elever l'homme, embellir l'univers,
Telle est la loi que vous avez dictée.
Ce merveilleux qui règne en vos écrits,
Colosse informe et beauté monstrueuse,
Par sa grandeur fière et majestueuse
Du censeur même étonne les esprits.

Le seul Lucain, cherchant une autre gloire,
Sans le secours des enfers ni des cieux,
D'un feu divin sait animer l'histoire,
Et son génie en fait le merveilleux.
Il est un vrai que l'artifice énerve;
Ce vrai l'inspire et lui donne le ton:
Qu'a-t-il besoin de Mars et de Minerve?
Il a César et Pompée et Caton.
Les passions de César et de Rome,

Lui tiennent lieu d'Hécate et d'Alecton:
Le ciel, l'enfer sont dans le cœur de l'homme.
Donne à Lucain ton style harmonieux,
Ou prends de lui son audace intrépide,
O toi d'Homère émule trop timide,
Peintre touchant, poète ingénieux,
Sage Virgile! et pourquoi de tes ailes
Ne pas voler par des routes nouvelles?
Ulysse crrant descendit aux enfers,
Et sur ses pas j'y vois descendre Enée.

Si Calypso gémit abandonnée,

Didon trahie expire dans tes vers....
Didon! que dis-je ? est-il rien que n'efface
De ce tableau la sublime beauté?
Tu peins Didon, et tu n'as pas l'audace
D'aller sans guide à l'immortalité!
Si ton rival tient le sceptre au Parnasse,
Il ne le doit qu'à ta timidité.

Ah! si du moins tu l'avais imité

Dans ses desseins majestueux et vastes,
Dans ce grand art des groupes, des contrastes,
Art dont le Tasse a lui seul hérité....

J'entends Boileau qui s'écrie : « O blasphême! << Louer le Tasse!... » Oui, le Tasse lui-même.... Laissons Boileau tâcher d'être amusant,

Et pour raison donner un mot plaisant.
Quoi de plus doux, de plus vif, de plus mâle
Que ce poème, objet de ses mépris!

Je sais, Virgile, admirer tes écrits....
Troie et Carthage, et la rive infernale,
Les pleurs d'Evandre, et la mort d'Euriale,
Sont des tableaux dont je sens tout le prix:
Didon surtout n'eut jamais de rivale.

Mais que le Tasse a bien mieux exprimé
Cet héroïsme ébauché par Homère !
Que d'un pinceau plus fier, plus animé
Il nous a peint la piété sincère,

La grandeur simple, et la sagesse austère,

Et la valeur qui connaît le danger,
Et la fureur qui s'aveugle elle-même,
Et la jeunesse ardente à se plonger

Dans des plaisirs qu'elle craint et qu'elle aime,
Et la vertu qui vient l'en dégager !

Mais toi, Virgile, aux plus beaux jours du monde, Dans le berceau des plus grands des humains, Dans cette Rome en héros si féconde,

Qui choisis-tu pour père des Romains?
Ce n'est pas tout que d'aller fonder Rome.

Ce grand dessein demandait un grand homme. Compare Enée à ce héros brillant,

A ce Renaud si tendre, si vaillant.

Un faible amour est doucereux et fade;
Mais dans sa force il est beau, généreux,
Touchant surtout quand il est malheureux.
Si la colère a fait une Iliade,

L'Amour est-il moins fier, moins généreux?
Des passions, élémens de nos ames,
La plus active est celle de l'Amour;

Mille couleurs en nuancent les flammes:
L'Amour se change en colombe, en vautour,
Contre lui-même il s'emporte, il s'anime,
Conçoit, embrasse, étouffe son dessein,
Et de ses traits se déchirant le sein,
Il est le dieu, le prêtre et la victime.

Tel est l'Amour dans nos cœurs,
Lui seul anime, embellit l'univers.

dans nos vers;

La poésie, ainsi que la nature,

Doit à l'Amour mille tableaux divers.
Anacréon, tu n'as pas d'autre guide:
A tes beaux jours c'est l'astre qui préside,
Et qui de fleurs a semé ton couchant.
Tu lui dois tout, voluptueux Ovide,
A qui Corinne enseigna l'art du chant,
Enfant gâté des Muses et des Grâces,
De leurs trésors brillant dissipateur,
Et des plaisirs savant législateur.

Vous ses rivaux, vous dont il suit les traces,
Tendre Tibulle, et toi, dont les douleurs
Ont tant de charme, intéressant Properce,
Pour vous l'Amour, dans les larmes qu'il verse
En soupirant détrempe ses couleurs.

Sur vos pinceaux, qu'il transmit à Racine,
Il répandit du sang avec ses pleurs.
Quel coloris! quelle touche divine!
Peintres du cœur, n'en soyez point jaloux;
C'est votre maître, il vous surpasse tous:
L'Amour l'inspire, il en fait un Apelle.
A Champmeslé, son actrice immortelle,
Pour l'éclairer il remit son flambeau:
Ce n'est souvent que le même modèle;
Mais l'attitude, à chaque instant nouvelle,
Le reproduit à chaque instant plus beau.
Hé quoi! l'Amour, un songe, une folie,
Est-ce un tableau digne de l'avenir?

Par lui, dit-on, la scène est avilie,

Et du théâtre il fallait le bannir.
Ah! malheureux dont la mélancolie
Veut que
l'Amour à mes yeux m'humilie,
N'aimez jamais; c'est assez vous punir:
Condamnez-vous à ne jamais entendre
Cette Roxane et si fière et si tendre,
Qui, respirant la vengeance et l'amour,
Menace, tremble, ose et craint tour à tour;
Cette Hermione, amante dédaignée,
Tantôt plaintive, et tantôt indignée.

Du cœur humain ces reflux orageux
Ne sont pour vous que de frivoles jeux :
Phedre brûlant d'un feu qu'elle déteste,
Phèdre au milieu du crime et du remords,
Et la vertu luttant contre l'inceste,
Pour vous toucher sont de faibles ressorts;
En vain Clairon, cette actrice sublime,
Rend plus frappans ces tableaux qu'elle anime.
Vous demandez des spectacles plus forts:
Voyez Phocas cherchant d'un œil avide
Quel est le cœur que sa main doit percer;
Réduit au choix, frémir d'un parricide,
Saus qu'il échappe au sang qu'il va verser
Un mouvement, un air qui le décide.
Puissant génie, étonnant créateur,
Combien de fois, ô grand homme ! ô Corneille!
De ton vol d'aigle observant la hauteur,

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