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Les rochers blanchissans disparus sous les ondes,
La foudre réfléchie en leurs grottes profondes,
Et ces vaisseaux, les uns suspendus dans les airs,
Les autres retombés et rentrant aux enfers,
Heurtés, heurtant, brisés dans leur rencontre affreuse,
Et, dans le noir chaos d'une nuit ténébreuse,
Des plus ardens transports l'Océan tourmenté?
Tremblant à tant de force, à tant de vérité,
Je vois les élémens soumis à ton empire,
Et, plein d'un sombre effroi, je recule et t'admire;
Mais prêt à reposer, trop long-tems agité,
Sur des tableaux plus doux, mon œil épouvanté,
Dans ces vastes horreurs quel attrait me rengage?
C'est une femme, un pied tendu vers le rivage,
Un pied sur un vaisseau prêt à se fracasser,
Dans ses bras un enfant qui l'ose caresser:
Son transport, en tout autre aveugle et téméraire,
Son trouble, son audace annoncent une mère.
A son air, à ses cris son espoir, son effroi,
Toutes ses passions se transmettent en moi.
C'est sur un noir rocher, écueil épouvantable,
Un vieillard éperdu que la terreur accable,
Et ranime et suspend, entre l'onde et les cieux,
A l'aspect d'un vaisseau qui se brise à ses yeux.
Il tombe, il se relève; il s'élance, il expire.
Dans ce vivant tableau tout se meut, tout respire.

Après des traits si fiers, maigres dessinateurs,
D'un théâtre désert brillans décorateurs,

Savans à tout orner, mais dont l'art en notre amo Jamais du sentiment n'a pu porter la flamme, stériles beaux esprits,

Que l'on admire en vous,

La pureté, la grâce, et le froid coloris,
De vos riens cadencés vante z-nous l'harmonie ;
Mais apprenez d'Apelle et du dieu du génie
Que l'esprit perd bientôt son éclat emprunté.
Le cœur seul peut conduire à l'immortalité.

Par feu LEBLANC, auteur de Manco et des Druides.

A M. LE P*** DE B***

1

JE revois donc les bords où le ciel m'a fait naître!
Là j'ai vu comme un jour passer mes premiers ans,
Charmé de voir, d'agir, d'entendre, de connaître.
C'est là que j'essayai ma pensée et mes sens,
Et m'assurai du plaisir d'être.
C'est ici que la voix d'un maître

A troublé mes jours innocens.

La raison des parens gêne le premier âge;
La tendresse et l'humeur nous prodiguent leurs soins;
Tous les goûts à la fois, mille nouveaux besoins

Nous font sentir notre esclavage.

Le cœur inquiet et volage

Veut s'égarer en liberté,
Et sur les ondes emporté
Craint le pilote, et non l'orage.
D'un joug utile on se dégage;

L'espérance au front gai vient flatter nos desirs:
J'étais embarrassé du choix de mes plaisirs;
Tout devait être mon partage;
J'entreprenais mille travaux ;

Je me faisais aimer, j'étais utile au monde, '
Je suffisais à tout; obstacles et rivaux,

Rien n'arrêtait une ame ardente et vagabonde
Qui prévoyait dans tout quelques succès nouveaux.
Il me semble qu'ici le souffle du zéphire
M'apporte des esprits plus purs et plus nombreux :
Dans ces lieux où je fus heureux

Avec plaisir encor quelquefois je respire;
Je crois m'y retrouver à la fleur de mes ans ;
Mon cœur s'épanouit sous un ciel qui s'épure,
Et le printems de la nature

Pour un instant du moins me rend à mon printems.
Je cherche à retenir l'erreur où je me plonge;

C'est ainsi qu'un amant, chagrin que le réveil
Du bonheur qu'il goûtait lui prouvé le mensonge,
S'efforce à retomber dans les bras du sommeil

Pour être encore heureux en songe.
J'espérais autrefois : espérer c'est jouir.
Mais le tems fait évanouir
Ces chimériques jouissances;
Il m'en fait voir la vanité
Sans me rendre en réalité

Ce qu'il m'enlève en espérances.

Je perds tous les objets qu'il ôte à mes desirs;

De l'avenir trompeur j'ai perdu les plaisirs.
Sous ses voiles obscurs, au printems de mon âge,
Je voyais tous les biens qu'il allait m'apporter:
Quand d'un œil plus certain j'en perce le nuage,
Je vois trop aujourd'hui tout ce qu'il va m’ôter!
J'aimais à le prévoir, je perds à le connaître:
J'espérais l'instant où je suis;

Je crains l'instant où je dois être.

Il est d'autres plaisirs que le tems a détruits:
Plus jeune, je pensais que ma jeune maîtresse
Etait le seul objet qui pourrait m'enflammer;
Je croyais pouvoir seul obtenir sa tendresse ;
Je croyais que nos cœurs s'attendaient pour aimer.
Comme un choix éclairé j'adorais son ivresse ;
Ses desirs me flattaient, j'estimais ses rigueurs;
Du nom de sentiment j'honorais sa faiblesse ;
Je croyais que les cœurs étaient le prix des cœurs.
J'errais dans les jardins d'Armide:
Au miroir de la vérité,

Au lieu d'un séjour enchanté,

Je découvre une plage aride.

Je l'ai vu cet amour, cette divinité;
Au vide de nos cœurs, à notre oisiveté
J'ai vu qu'il devait sa puissance;
Il n'est jamais dans sa naissance
Que le goût de la volupté,
Languissant dans la jouissance,
Réveillé par la vanité.

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