Images de page
PDF
ePub

L'Amour avec dédain s'envole et fuit ses traces.
L'invective jamais ne fut le ton des Graces.
La politesse aimable et sage en sa gaîté
Est le plus doux lien de la société.

Eh! pourquoi des égards briser l'heureuse chaîne !
Sexe né pour l'amour, pourquoi chercher la haine?
Vous qu'attaque une belle, ah! n'oubliez jamais
Les égards indulgens qu'on doit à ses attraits.
Fuyez l'aigre dispute; une morgue insensée
Affecte en vain le droit d'asservir la pensée.
N'ambitionnez point ce triomphe imprudent;
C'est un art de savoir triompher en cédant.
Amant de la raison, défenseur du génie,
De contester sans cesse évitez la manie:
Une aimable indulgence est souvent de saison;
C'est avoir déjà tort que d'avoir trop raison.
Railleur novice encor, si tu veux qu'il me frappe,
Ne m'avertis jamais du bon mot qui t'échappe:
Sur ma lèvre à l'instant le sourire est glacé;
Et le plaisir languit dès qu'il est annoncé.

Tel lance un trait plaisant qui n'eût pas su l'écrire; Tel écrit un bon mot qu'il n'eût jamais su dire. L'auteur vif et brillant (1) qui fit parler Usbeck, Dès qu'il parlait lui-même était pesant et sec. Ce Boileau, si funeste à l'auteur (2) de Pyrame, Si fin dans la satire, est froid dans l'épigramme.

(1) Montesquieu dans ses Lettres Persanes. (2) Pradon.

Rousseau, qui de ce genre eût mérité le prix,

Souvent d'un sel trop âcre a semé ses écrits.
Nul n'a tous les talens; tout homme a ses limites;
Même aux dieux d'Hélicon des bornes sont prescrites.
Voltaire, qui, du Pinde avide conquérant,

Voulut tout embrasser, fut plus vaste que grand.
Je vois parmi ses fleurs plus d'une ronce éclose.
J'aime son Pompignan qui se croit quelque chose; (1)
Mais je ne puis aimer son malheureux Fréron
Qu'il appelle un faussaire, un escroc, un giton:
C'est noyer le bon mot dans un torrent de bile.
N'était-ce pas assez que Fréron fût Zoïle?
Ou que Stupidité, qui fait tout de travers,
Lui mît si plaisamment des ailes à l'envers?

Le dépit raille mal; ses jeux sont des querelles':
Se fâcher d'un bon mot c'est lui prêter des ailes.
D'une vaine colère adoucissez l'éclat,

Et

[ocr errors]

que des jeux d'esprit ne soient point un combat. De Lah***, a-t-on dit, l'impertinent visage.. Appelle le soufflet (2) ce mot n'est qu'un outrage. Je veux qu'un trait plus doux, léger, inattendu, Frappe l'orgueil d'un fat plaisamment confondu. Dites ce froid rimeur se caresse lui-même; Au défaut du public il est juste qu'il s'aime; Il s'est signé grand homme, et se dit immortel Au Mercure! Ces mots n'ont rien qui soit cruel.

(1) Qui ne sait le vers?

Et l'ami Pompignan croit être quelque chose. (2) Ce mot connu est de Piron.

Jadis il me louait dans sa prose enfantine:
Mais, dix fois repoussé du trône de Racine,
Il boude; et son dépit m'a, dit-on, harcele.
L'ingrat! j'étais le seul qui ne l'eût pas sifflé.

Un jour certain prélat, d'ignorante mémoire, Fier d'un beau mandement dont il payait la gloire, Aborda ce railleur, si connu parmi nous.

L'avez-vous lu, Piron? Oui, monseigneur; et vous?
Ainsi d'un trait plaisant la saillie étincelle.
Dans cet art périlleux plus d'un Français excelle.
Quelquefois dans ses vers le héros de Berlin
Se permit d'aiguiser le sarcasme malin, :
Et, des rois empesés raillant la confrérie,(1)
Soumit le trône même à sa plaisanterie.
Mais la Prusse sanglante expia ses bons mots:
Le poète railleur coûta cher au héros:

Il siffla de Bernis la stérile abondance,

Et Bernis (2) sut armer Pompadour et la France.
Dans la bouche des rois le rire est trop amer:
Le rôle de Momus sied mal à Jupiter.

(1) Voici le vers du roi de Prusse:

Et des rois empesés la lourde confrérie.

(2) On connaît ce vers d'une épître du même roi : Evitez de Bernis la stérile abondance,

et comment ce poète, devenu ministre, s'en vengea par le traité de Vienne, qui mit la Prusse à deux doigts de la perte.

Tome IV.

17

Le plus grand des Louis, toujours discret et sage,
Jamais d'un trait moqueur ne se permit l'usage.
D'un bon mot toutefois l'heureuse liberté

Peut même aux souverains offrir la vérité.
Entouré d'ennemis que fuyait sa faiblesse,

Vaincu par les Anglais moins que par sa mollesse,
Charle⭑ en ses derniers murs, dans l'ivresse des jeux,
Sur les débris du trône ouvrait un bal pompeux:
Que te semble? dit-il au généreux Lahire.
Qu'on ne perdit jamais plus gaîment un empire.
Ce mot sauva la France. Ainsi, mieux que nos lois,
Souvent le ridicule a corrigé les rois.

Par LEBRUN de l'Institut national.

(*) Charles VII dans Orléans.

ÉLOGE DE LA VIEILLESSE.

Rien ne trouble sa fin; c'est le soir d'un beau jour.
LA FONTAINE, Philémon et Baucis.

OUI,
mon cher Ariston, l'homme dans sa vieillesse
Porte encore à mes yeux les traits de sa noblesse.
Ce n'est plus, il est vrai, ces tendres agrémens,
Ces roses,
ce teint frais qui parent son printems;
Ce n'est plus ce beau feu, cette ardeur de courage
Qui fermente en son sang au midi de son âge;
Non, le tems l'a glacé d'un sinistre regard:
De plus sombres couleurs il empreint le vieillard...
Que mon cœur, Ariston, s'attendrit à sa vue!
Sa démarche, son air, cette tête chenue,
Ces rides, ce grand front orné de cheveux blancs,
Tout réveille pour lui mes plus doux sentimens.
A l'aspect de son corps qui se courbe et s'affaisse,
Mais où demeure ferme et résiste sans cesse

« PrécédentContinuer »