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Qui divise à la fois nos humeurs engourdies,
Et de la fièvre en nous éteint les incendies.

Là, pendant que ton frère, occupé dans nos ports,
De l'une et l'autre mer parcourant les deux bords,
Ira de nos vaisseaux déterminer la coupe,
Calculer les rapports de la proue à la poupe,
Assujettir la quille, en affermir les bras,
Etayer des haubans et la vergue et les mâts,
Donner à la manœuvre un jeu facile et libre,
Balancer tous les poids dans un juste équilibre,
Et, par un art enfin maître des élémens,
Enchaîner le caprice et la fureur des vents;
Là, dis-je, loin du bruit des mers et des orages,
Préférant une rive à de vastes rivages,

Sur les bords d'un ruisseau paisiblement couché,
Tu pourras m'expliquer par quel détour caché
Du vallon de SEGRAI la nymphe solitaire
Verse dans un bassin son onde salutaire:
Ton esprit fixera mes esprits incertains.
Je saurai si la terre en ses noirs souterrains
Contient le réservoir de ces eaux inconnues;
Ou bien si ce tribut et de l'air et des nues,
Par l'éponge des monts goutte à goutte filtré,
Reparaît à nos yeux, et sort plus épuré.

(*) M. Duhamel de Monceau, inspecteur de la marine et des chantiers de construction. Il a donné un Traité sur les Cordages, dont l'économie et le moindre poids facilitent la

Bianceuvre.

Mais déjà je crois voir le long de la chaussée
Courir vers la fontaine une foule empressée.
Dans la simple parure et l'habit du matin
Vois Chloé, vois Rosine, une coupe à la main,
Précipiter vers nous leur démarche légère.
Un rustique échanson, dont l'œil les considère,
Leur verse le remède aux maux qu'elles n'ont pas,
Et, d'un air qu'il croit fin, sourit à leurs appas.
La nymphe de l'Essone, en les voyant si belles,
De honte en ses roseaux se cache devant elles.
Eglé les suit à peine; Eglé n'a plus d'attraits;
Une sombre pâleur décolore ses traits.

On dit qu'un feu caché, que peut-être elle ignore,
Aux plus beaux de ses jours la brûle et la dévore.
Ainsi sous le midi, dans l'ardeur de l'été,
La rose voit flétrir l'éclat de sa beauté;
Mais des zéphyrs du soir l'haleine caressante
Relève et raffermit sa tige languissante.
Le destin d'une belle est celui d'une fleur:
Eglé comme la rose a perdu sa fraîcheur;
Et je crois que Lisis, que tu vois sur ces traces,
Serait l'heureux zéphyr qui lui rendrait ses graces.
Cependant le soleil, monté sur l'horizon,
Nous lance un feu plus vif, et luit dans le vallon.
On cherche vainement la voûte d'un feuillage;
Segrai n'a point encor d'ombre ni de bocage;
Mais par tes soins un jour au pied de ses coteaux
L'érable et le tilleul étendront leur rameaux.

Puissé-je dans ces tems conduire ta vieillesse
Vers ce riant asile orné par ta sagesse!

La campagne à mes yeux eut toujours des attraits:
Un charme, plus puissant que de vains intérêts,
Du milieu des cités sans cesse m'y rappelle:

Elle eut mes premiers goûts, et je suis né pour elle.
S'il est quelque laurier que ma main peut cueillir;
Si d'un faible talent je puis m'enorgueillir;
Si ma lyre, fidelle aux lois de l'harmonie,
Suppléa dans mes vers au défaut du génie ;

Si, moins brillant que pur, plus vrai qu'ingénieux,
Jamais d'un faux éclat je n'éblouis les yeux,
Aux bois, aux prés, aux champs je dois ces avantages,
C'est là que j'esquissai mes premières images,
Et que, par les objets ému profondément,
J'unis à mes tableaux le feu du sentiment.
J'observai la nature, et fut son interprète;
De ses vives couleurs je chargeai ma palette.
Souvent lorsque la nuit déployait dans les airs
Ce voile parsemé de tant d'astres divers;
Quelquefois quand l'aurore, étincelante et pure,
Des roses du matin colorait la nature;

Ou lorsque le soleil, plus radieux encor,
Roulait son char de feu sur des nuages d'or,
Parmi ces jets brillans et ces nuages sombres
Je saisis le contraste et du jour et des ombres.
Souvent du rossignol j'écoutai les chansons;
Il instruisit ma muse attentive à ses sons:

J'appris à soupirer ces notes languissantes,
De la plainte amoureuse expressions touchantes.
Je formai ces accords, plus vivement frappés,
A la joie, au plaisir, à l'ivresse échappés;
Et par ces tons divers mon oreille exercée
Sut donner à ma voix l'accent de ma pensée.
Au bord de ce ruisseau, qui, paisible en son cours,
Suit de ces prés fleuris la pente et les détours,
J'appris l'art peu connu d'abandonner mon style,
Et de laisser couler un vers doux et facile.
Chez nos cultivateurs transporté quelquefois,
Auprès de leurs foyers, à l'abri de leurs toits,
Dans les détails touchans de leur cabane obscure
J'allais étudier les mœurs de la nature:
C'est là que par mon cœur mon esprit éclairé
Eut des sentimens vrais, qu'il peignit à son gré;
C'est là que près d'un fils une mère attentive
Calmait dans le berceau son enfance plaintive;
Et tandis qu'à cet autre, endormi sur son sein,
Sa bouche souriait de l'air le plus serein,

Un autre, un autre encor, qui jouait autour d'elle,
Occupait tendrement son ame maternelle;
Et mes yeux satisfaits furent souvent témoins
Des baisers dont l'époux récompensait ses soins.
O cabane du pauvre! ô demeure champêtre!
Malheureux qui te fuit et n'ose te connaître,
Ah! puissé-je bientôt, libre et débarrassé,
Rejetant le fardeau dont je suis oppressé,

Habiter un asile où l'ame se consulte!

Des remparts de Paris fuyons le vain tumulte.
Quel besoin m'y rappelle, et qu'y voir aujourd'hui?
Le mérite oublié, le talent sans appui;

L'aimable poésie, à jamais exilée,

Aux traits du bel esprit sans pudeur immolée;
Une froide analyse à la place du goût,
La raison qui dessèche et décompose tout;
Des écrivains du jour le style énigmatique ; ́
Du contraste des mots le choc antithétique;
Un faste sans éclat, un vernis sans couleur;
Des surfaces sans fond, des éclairs sans chaleur;
La gloire des beaux arts ou souillée, ou perdue,
Et leur palme flétrie à l'intrigue vendue.

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Il vaut mieux, Duhamel, assis à tes côtés,
De la simple nature admirer les beautés.
Oui, oui, je reverrai ta douce solitude;
J'y viendrai de ton cœur approfondir l'étude,
Y jouir avec toi du fruit de tes travaux,
Y nourrir le mépris d'un monde ingrat et faux,
Et, fuyant loin des dieux du globe sublunaire,
Rechercher, consoler cet utile vulgaire
Qui, pour un prix modique avec peine obtenu,
Fait le bonheur de ceux dont il est méconnu.
Ta longue expérience instruira ma jeunesse:
Mes fleurs s'enrichiront des fruits de ta sagesse,
Et mon esprit, charmé de tes propos divers,
Finira l'entretien en te lisant ces vers;

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