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En plongeant un poignard vantent l'humanité:
S'ils ont l'éclat du marbre ils ont, sa dureté.
Oh' que j'aime bien mieux la rustique droiture
Du laboureur conduit par la simple nature!
Sous des dehors grossiers son cœur est généreux;
C'est l'or enseveli sous un terrein fangeux.

Que de coupables mains, s'élevant jusqu'aux trônes,
Sur les têtes des rois ébranlent les couronnes!
`Peuple, tu ne sais point par de grands attentats
Epouvanter la terre, et changer les états:
En des complots fameux instrument et victime,
Si ta main quelquefois a secondé le crime,
C'est le souffle des grands qui poussa tes vaisseaux
Dans la nuit de l'orage égarés sur les eaux.
Les tigres, les lions, ardens à se détruire,
Pour régner dans les bois désolent leur empire.
Dans ces bois teints de sang, contente de son grain,
La fourmi creuse en paix son séjour souterrain.

Je te rends grâce, ô ciel dont la bonté propice
M'écarte de ces rangs qui sont un précipice.
Je n'ai point en naissant reçu de mes aïeux
De l'or, des dignités, l'éclat d'un nom fameux.
Mais si j'ai des vertus, si mon mâle courage
A toujours dédaigné l'intrigue et l'esclavage;
Si mon cœur est sensible aux traits de la pitié,
S'il éprouve les feux de la tendre amitié,

Et si l'horreur du vice et m'anime et m'enflamme,
Mon sort est trop heureux; j'ai la grandeur de l'ame.

Croit-on que le bonheur habite les palais,

Soit traîné dans un char, où porté sous le dais?
Ces biens, ces dignités et ces superbes tables
Ne font que trop souvent d'illustres misérables.
Le germe des douleurs infecte leurs repas,
Et dans des coupes d'or ils boivent le trépas.
Un poison plus flatteur et plus cruel encore >>
Vient flétrir leurs beaux jours, obscurcis dès l'autore.
Vois ces spectres dorés s'avancer à pas lents,
Traîner d'un corps usé les restes chancelans;
Et sur un front jauni, qu'a ridé la mollesse,
Etaler à trente ans leur précoce vieillesse ;
C'est la main du plaisir qui creuse leur tombeau;
Et, bienfaiteur du monde, il devient leur bourreau.
Le chagrin les poursuit, le démon de l'intrigue
De ses soins éternels les trouble et les fatigue.
Pour eux l'ambition a des feux dévorans;

La haine a des poignards, l'envie a des

serpens:

Sous l'or et sous la pourpre ils sont chargés d'entraves: On les adore en dieux; ils souffrent en esclaves.

Peuple, les passions ne brûlent pas ton cœur;

Le travail entretient ta robuste vigueur.

Hélas! sans la santé que m'importe un royaume :
On veille dans les cours, et tu dors sous le chaume.
Tu conserves tes sens; chez toi le doux plaisir
S'aiguise par la peine, et vit par le desir:
Le souris d'une épouse, un fils qui te caresse,
Des fètes d'un hameau la rustique allégresse,

Les rayons d'un beau jour, la fraîcheur d'un matin,
Te font bénir le ciel, et charment ton destin.

Tes plaisirs sont puisés dans une source pure:
Ce n'est plus que pour toi qu'existe la nature.
Qui vécut sans remords doit mourir sans tourment:
Tu ne regrettes rien dans cet affreux moment.
Plus on fut élevé, plus la mort est terrible,
Et du trône au cercueil le passage est horrible.
Sur l'univers entier la mort étend ses droits;
Tout périt, les héros, les ministres, les rois;
Rien ne surnagera sur l'abyme des âges.

Ce globe est une mer couverte de naufrages.
Qu'importe, lorsqu'on dort dans la nuit du tombeau,
D'avoir porté le sceptre, ou traîné le rateau;
L'on n'y distingue point l'orgueil du diadême;
De l'esclave et du roi la poussière est la même.
Peuple, d'un œil serein envisage ton sort;
N'accuse point la vie, et méprise la mort:
La vie est un éclair, la mort est un asile:
Ton sort est d'être heureux, ta gloire est d'être utile.
Le vice seul est bas, la vertu fait le rang,

Et l'homme le plus juste est aussi le plus grand.

Par THOMAS.

SUR

L'AMOUR DE LA PATRIE.

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Je vous salue, ô terre où le ciel m'a fait naître,
Lieux où le jour pour moi commença de paraître,
Quand l'astre du berger, brillant d'un feu nouveau
De ses premiers rayons éclaira mon berceau!
Je revois cette plaine où des arbres antiques
Couronnent les dehors de nos maisons rustiques,
Arbres témoins vivans de la faveur des cieux,
Don't la feuille nourrit ces vers industrieux
Qui tirent de leur sein notre espoir, notre joie,
Et pour nous enrichir s'enferment dans leur soie!
Trésor du laboureur, ornement du berger,
L'olive sous mes yeux s'unit à l'oranger.

(*) Cette épitre a été commencée auprès du Pont-SaintEsprit en Languedoc.

Que j'aime à contempler ces montagnes bleuâtres
Qui forment devant moi de longs amphithéâtres,
Où l'hiver règne encor quand la blonde Cérès
De l'or de ses cheveux a couvert nos guérets!
Qu'il m'est doux de revoir sur des rives fertiles
Le Rhône ouvrir ses bras pour séparer nos îles,
Et, ramassant enfin ses trésors dispersés,
Blanchir un pont bâti sur ses flots courroucés;
D'admirer au couchant ces vignes renommées
Qui courbent en festons leurs grappes parfumées,
Tandis que vers le Nord des chênes toujours verts
Affrontent le tonnerre, et bravent les hivers!
Je te salue encore, ô ma chère patrie!

Mes esprits sont émus, et mon ame attendrie
Echappe avec transport au trouble des palais,
Pour chercher dans ton sein l'innocence et la paix.
C'est donc sous ces lambris qu'ont vécu mes ancêtres!
Justes pour leurs voisins, fidèles à leurs maîtres,
Ils venaient décorer ces balcons abattus,

Embellir ces jardins, asiles des vertus,

Où, sur des bancs de fleurs, sous une treille inculte,
Ils oubliaient la cour, et bravaient son tumulte !
Chaque objet frappe, éveille, et satisfait mes sens:
Je reconnais les dieux au plaisir que je sens

Non, l'air n'est point ailleurs si pur, l'onde si claire;
Le saphir brille moins que le ciel qui m'éclaire;
Et l'on ne voit qu'ici, dans tout son appareil,
Lever, luire, monter et tomber le soleil,

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