Images de page
PDF
ePub

Tel Buffon, dans le sein d'un germe à peine éclos,
Déjà distingue un tronc, des fruits et des rameaux.
Quels prodiges depuis ont rempli ta carrière!
Je te suis dans les champs de la Flandre guerrière,
Tristes champs où Cérès voit naître ses moissons
Du sang dont le dieu Mars engraisse les sillons.
Là ton art sur l'Escaut, pour défendre nos villes,
Posait des murs de fer et des remparts mobiles,
Lançait sur l'ennemi des torrens déchaînés,
Ou portait nos soldats sur les flots étonnés.
Mais la gloire t'appelle à de plus grands miracles:
La puissance d'un art s'accroît par les obstacles:
C'est par eux qu'un dieu sage, irritant nos efforts,
Nous enchaîne au travail, et nous vend ses trésors;
C'est ainsi que ses mains, avares et fécondes,
Ont caché sous la terre, en des mines profondes,
Cet or qui fait mouvoir et vivre les états,

Et le bronze et l'airain tonnant dans les combats,
L'acier qui fait tomber les sapins et les chênes,
Le fer qui de Cérès fertilise les plaines,

Et le métal enfin qui, docile à nos lois,

S'arrondit en canaux ou s'étend sur nos toits.

[ocr errors]

L'Armorique long-tems de ce métal utile
Dans des vastes marais cacha l'amas stérile.
Tu parais : l'onde fuit, la terre ouvre son sein,
Et ne rend ces tributs qu'à ta puissante main.
Heureux qui sait briller par d'utiles prodiges!
D'autres, féconds pour nous en frivoles prestiges,

[ocr errors]

Osent prostituer à de pénibles jeux

Un art qu'à nos besoins ont destiné les dieux:
Pour leurs concitoyens que produit leur adresse?
Ils nourrissent le luxe, ils flattent la mollesse.
Oui, dans eux le génie est un enfant badin;
Mais dans toi c'est un dieu propice au genre humain:
Tu sentis le pouvoir de ses mains bienfaisantes;
Tu les mouilles encor de tes larmes touchantes,
Infortuné mortel! heureux dans ton malheur
Par ses rares talens, plus encor par son cœur.
Je crois voir le moment où des traits de la foudre
Tes bras au champ de Mars furent réduits en poudre;
Je crois te voir encor meurtri, défiguré,
Traînant le reste affreux de ton corps déchiré,
Te montrer tout sanglant à sa vue attendrie:
La pitié qui lui parle enflamme son génie.
O prodige! ton bras reparaît sous sa main;
Ses nerfs sont remplacés par des fibres d'airain;
De ses muscles nouveaux essayant la souplesse,
Il s'étend, il se plie, il s'élève et s'abaisse.
Tes doigts tracent déjà le nom que tu chéris;
La nature est vaincue, et l'art même est surpris.
Que ne peut point de l'art l'activité féconde!
C'est par elle que l'homme est souverain du monde.
De la nature en vain tu crois naître le roi,
Mortel; sans le travail rien n'existe pour toi:
Ce globe n'est soumis à ta vaste puissance
Qu'à titre de conquête, et non pas de naissance,

Et tu n'es distingué parmi les animaux

Que par ton noble orgueil, ton génie et tes maux.
Vois l'énorme éléphant, dont la masse effrayante
Fait trembler les forêts dans sa course pesante:
Près de cé mont vivant que sont tes faibles bras?
Mais sa force n'est rien; il ne la connaît pas;
Tu peux bien plus que lui : connaissant ta faiblesse,
Tu sens ton indigence, et voilà ta richesse.
Déjà l'art t'a soumis l'air, la terre et les mers;
Déjà je vois éclore un nouvel univers;

Tes jours sont plus sereins, tes champs sont plus fertiles;
Ton corps devient moins faible, et tes sens plus agiles.
Le verre aide ta vue: il découvre à tes yeux

Des mondes sous tes pieds, des mondes dans les cieux.
A l'aide du levier, du poids et de la roue,
Des plus pesans fardeaux ton adresse se joue.
Les forêts à ta voix descendent sur les eaux;
Les rivages creusés embrassent tes vaisseaux:
Le ciel règle leur cours écrit sur les étoiles;
Le fougueux aquilon est captif dans leurs voiles;
C'est par eux que, comblant les gouffres de Thétis,
Tu joints deux continens l'un par l'autre agrandis.
Là pour unir deux mers tu perças des montagnes,
Creusas des souterreins, inondas des campagnes.
Plus loin de l'Océan tu reculas les eaux:
Un empire s'élève où mugissaient les flots.
Tu changeas des marais en des plaines fertiles;
Sur l'abyme des mers tu suspendis des villes.

Les monumens du Nil, vainqueur du tems jaloux,
Nés avec l'univers, ont vécu jusqu'à nous.

Oui, telle est ta faiblesse et ton pouvoir suprême;
Les œuvres de tes mains survivent à toi-même.
Autour de nous enfin promenons nos regards;
Là je vois de plus près, et j'admire les arts:
Le cyclope, noirci des feux qui l'environnent,
Verse à flots embrasés les métaux qui bouillonnent:
La flamme cuit le vase arrondi sous nos doigts;
L'acier ronge le fer, ou façonne le bois;
Sur les fleuves profonds me formant une route,
Des rochers sous mes pas se sont courbés en voute.
Par les eaux ou les vents, au défaut de mes mains,
Le cylindre roulé met en poudre mes grains.

Ici l'or en habit se file avec la soie ;

En des tableaux tissus la laine se déploie.

Là le sable, dissous par les feux dévorans,
Pour les palais des rois brille en murs transparens.
Sur un papier muet la parole est tracée;

Par un mobile airain on grave la pensée;
Mille fois reproduite, elle vole en tous lieux.
Le tems a pris un corps, et marche sous mes yeux.
O prodige de l'art! sous une main hardie
Le cuivre des oiseaux reçoit l'ame et la vie.
L'automate, animant l'ivoire harmonieux,
Forme sous des doigts morts des sons mélodieux.
Vois ces doubles canaux où les eaux rassemblées,
Pour jaillir en torrens, à grand bruit sont foulées:

Si le feu dans la nuit, irrité par les vents,
Se roule en tourbillons dans des palais brûlans,
Mille fleuves soudain s'élancent jusqu'au faîte;
L'onde combat la flamme, et sa fureur s'arrête.
Avec plus d'art encor ces utiles canaux
Dans d'arides déserts ont transporté des eaux.
Privé de ce secours, le superbe Versailles
Etalait vainement l'orgueil de ses murailles.
Mais que ne peut un roi! Près du riant Marly,
Que Louis, la nature et l'art ont embelli,
S'élève une machine où cent tubes ensemble
Versent dans des bassins l'eau que leur jeu rassemble.
Elevés lentement sur la cime des monts,

Ces flots précipités roulent dans les vallons,
Raniment la verdure, où baignent les Naïades,
Jaillissent dans les airs, ou tombent en cascades.
Puisse un jour cet ouvrage, avec l'utilité,
Unir dans sa graudeur plus de simplicité!
Puisse une main avare, avec magnificence,
Réparer ou créer cette machine immense,
Retrancher des ressorts l'amas tumultueux,
Rendre leur jeu plus sûr et plus impétueux,
Sans nuire à leur effet borner leur étendue,
Et m'étonner encor sans fatiguer ma vue!

Mortels, de la nature industrieux rivaux,
Dans leur majesté simple imitez ses travaux.
Avec le grand Newton, admirant sa puissance,
Par un rapide effort jusqu'aux cieux je m'élance:

« PrécédentContinuer »