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Ces sons vrais et touchans viennent par habitude
Sur mes lèvres bientôt se placer sans étude:
J'ai des Abdéritains contracté le travers,

Et quiconque viendra je lui dirai des vers.

« Hé quoi! toujours des vers! crie un enthousiaste., << Ouvrez aux grands talens une lice plus vaste. « Voulez-vous donc sans cesse écouter les refrains << Sans cesse rebattus en vers alexandrins?

Aimez-vous ces héros dont la fureur postiche << Attend pour se tuer la fin d'un hémistiche? << L'héroïne, en mesure expirant à son tour, « Garde des mêmes sons l'uniforme retour. << Tout devient lieu commun ; les soupirs et les larmes « A coup sûr en chemin rencontrent les alarmes; « Et dès qu'au premier vers, un crime est odieux, << On sait qu'au vers suivant c'est le crime des dieux. « Répondez: est-ce ainsi que parle la nature? << Des Romains et des Grecs l'éternelle peinture, « Et ce héros toujours si loin du spectateur,

Et ces tyrans toujours aussi plats que l'acteur, «Et ces fades amours des princesses dolentes, << Et tous ces longs recueils de maximes galantes, Sur la scène livrée à de froids beaux esprits, << Trop long-tems du génie ont remporté le prix. << Et puis les vieux amans des vieilles comédies " << Les perfides Agnès, les Martons étourdies,

<«< Le tuteur imbécille, et le valet rusé,

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Trop long-tems ont offert un ridicule usé.

<< Tombez, murs odieux, impuissante barrière,
<< Qui des genres divers séparez la carrière!
« Il faut que désormais au brodequin léger
<< Le cothurne imposant ne soit plus étranger;
<< Il faut que l'on s'éclaire, il faut que l'on supprime
« Les règles d'Aristote et le joug de la rime.
<< Esclave révoltée au fond de sa prison,

« La rime, pour donner des fers à la raison,
« Appelle à son secours sa suite extravagante,
<< L'épithète sans but, l'hyperbole arrogante,
<< Des grands mots entassés l'appareil fastueux,
«Et de l'inversion l'embarras tortueux.

<< Le goût timide et lent, dans sa marche uniforme,
<< De ces abus sacrés éloignait la réforme:
<< Mais, ô sublime audace! ó fameux changement!
<< O d'un siècle penseur éternel monument!
<< L'antique Melpomène, à la rime vouée,

<< Voit la prose aujourd'hui, triomphante, avouée, << Dans des drames brillans de son seul vermillon, << Faire pâlir Corneille, effacer Crébillon;

«Et le faible intérêt d'Athalie ou d'Alzire

<< Cède aux grands mouvemens qu'au théâtre on desire. Ce n'est que de nos jours que de belles horreurs, << De vigoureux forfaits, de sublimes fureurs, « Et des atrocités grandes et pathétiques, << De la scène ont chassé des squelettes étiques: « Ce n'est que de nos jours qu'on a su découvrir «Le secret d'égayer ensemble et d'attendrir;

<< D'habiller les acteurs dans des modes exactes; << D'inventer des moyens pour remplir les entr'actes; << De ponctuer... bien mieux que l'on ne ponctuait, << Et d'écrire, en un mot, jusques au jeu muet. << Voilà notre génie, et voilà notre gloire !>>

Ah! vous avez, monsieur, trop d'esprit pour le croire. Mettez dans vos discours un peu moins de chaleur, Et de vos argumens discutons la valeur.

Le désespoir d'atteindre à l'essor des Corneilles
Fait souvent de leur art blasphemer les merveilles.
Cet art seul toutefois pouvait par ses douceurs
De vos drames sanglans corriger les noirceurs.
Et n'imaginez pas que mon orgueil ravale
Du langage des dieux la modeste rivale:
La prose a ses couleurs; leur éclat éblouit:
Mais au flambeau des vers son feu s'évanouit.
Les vers laissent dans l'ame une trace profonde;
Sur les sons mesurés Mnémosine se fonde;
Ils vont de bouche en bouche à la postérité:
La Poésie est sœur de l'Immortalité.

Si donc vous prétendez que vos funestes drames
Evitent du public les justes épigrammes,
Pour vos maîtres montrez un peu plus de respect;
N'éclairez leurs défauts que d'un œil circonspect;
N'allez pas d'une main, sans scrupule égarée,
Frapper des morts fameux la statue adorée,
Ni surtout comparer à leurs tableaux exquis
De vos pâles crayons les funèbres croquis.

Et pourquoi du théâtre avez-vous la manie?
N'est-il que cette lice où brille le génie?
Vous pourriez aspirer au rang le plus flatteur,
Soit que dans une chaire, éloquent orateur,
Vous vinssiez faire au siècle une sainte querelle,
Bercé par la mollesse en déclamant contre elle;
Soit qu'amant de la gloire, et d'un beau zèle épris,
Portant de nos Césars le manteau rouge ou gris,
Vous vendissiez vos jours aux discordes des princes;
Soit que non moins ardent au deuil de nos provinces,
Destructeur en fourrure et paisible assassin,

Vous prissiez le bonnet d'un grave médecin;
Soit que pour batailler, sans dépeupler la terre,
Au barreau seulement vous eussiez fait la guerre,
Déployant au palais dans vos nobles fureurs
Tout l'art d'un Cicéron fait chez des procureurs.
A votre ambition vingt carrières ouvertes

Vous offraient les lauriers dont elles sont couvertes....
Vainement je vous prêche; et tout en m'écoutant
Un drame occupe encor votre esprit trop constant:
Mais quoi! vous ne pouvez d'un coloris magique
Embellir les horreurs de la scène tragique!
Vous ne pouvez tirer Molière du tombeau!
Hé bien! votre partage est encore assez beau:
Donnez un but moral aux romans incroyables
Dont vous dialoguez les scènes effroyables.
Je suis juste, et souvent, de mes dégoûts vainqueur,
La Chaussée a trouvé le chemin de mon coeur.

Je prête à Mélanide une oreille attentive;
Et du rire et des pleurs souffrant l'alternative,
Je pense qu'en effet, bouffons ou sérieux,
Tous les genres sont bons, hors le genre ennuyeux.
A ce prix, j'y consens, qu'une muse décente
Vous fournisse une fable heureuse, intéressante;
Que le vice par vous soit du moins combattu,
Et tenez sur la scène école de vertu...

<< De vertu! sur la scène !... ah! quelle horreur impie!» S'écrie une dévote, une douce harpie,

Qui croit que le théâtre appartient au démon,
Et que nulle vertu ne s'apprend qu'au sermon.

<< Quoi, monsieur! vous voulez qu'aux regards de ma fille « J'offre ceux d'Orosmane, où la passion brille; « Que Zaïre en ses sens répande ce poison,

Ce philtre dont l'amour enivre la raison ;

« Qu'en cette ame paisible, à la vertu nourrie,
«J'allume ainsi l'instinct de la coquetterie;
<< Et que j'expose enfin ses attraits ingénus
Aux dangers que Gresset lui-même a reconnus ! »
De Gresset, je le sais, la muse pénitente,
Honteuse de sa gloire, et par zèle inconstante,
Abjura le théâtre et pleura ses succès:
Il oubliait ces vers, qu'on n'oubliera jamais,
Ces vers où, du bon goût révélant les oracles,
Lui-même nous a dit: Allez à nos spectacles:
Quand on peint quelque trait de candeur, de bonté
Où brille en tout son jour la tendre humanité,

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