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Au jeune auteur surtout ce choix est nécessaire:
D'un salutaire avis que sans cesse il s'éclaire.
L'orgueil, à ses flatteurs toujours prompt à s'unir,
A ses moindres essais promet un avenir:
S'il écoute l'orgueil et ses promesses vaines,
C'est Ulysse attentif à la voix des sirènes.
Même de nos succès sachons nous défier;
Un revers tôt ou tard peut nous humilier.
Pour nous en garantir le secret infaillible
C'est que
de nos écarts un censeur inflexible
Nous paraisse toujours présent à nos travaux.
Racine en écrivant pensait à Despréaux.
Si d'un ami sévère il n'eût pas craint l'oreille,
On ne l'eût jamais vu de merveille en merveille,
Du sensible Euripide effaçant le renom,

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A la postérité confiant un grand nom
Aux pleurs d'Iphigénie intéresser la scène,
Et de Corneille éteint consoler Melpomène.

Prêts à subir l'arrêt que le goût a dicté,
N'offrons rien au public sans avoir consulté.

Je sais que de nos jours si féconds en miracles, Se jouant des dangers, se riant des obstacles, Et de la liberté défendant le trésor,

Achille a triomphé sans l'avis de Nestor:

Mais si l'art des combats nous offre un phénomène,
Nul n'étonne aujourd'hui la poétique arène
Où, d'heure en heure éclos, de jeunes écrivains
Viennent autour de nous bourdonner par essaims.

Non que je veuille ici d'une main téméraire
Arrêter le génie entrant dans la carrière.
N'ai-je pas eu besoin qu'un regard caressant
Accueillît autrefois mon Apollon naissant?
L'aiglon, impatient de planer sur la nue,
Ne peut des cieux d'abord parcourir l'étendue;
J'en conviens: mais je crains pour nos jeunes auteurs
Le dangereux encens de leurs adulateurs.

Eux-mêmes je les vois, épris de la louange,
Tout en se la prêtant en faire un doux échange,
D'une facile main se passer l'encensoir,

Et sur le Pinde entre eux s'inviter à s'asseoir.
Aussi, rêvant la gloire en leur commune extase,
Loin de polir un vers, d'arrondir une phrase,
Ils pensent aux succès avoir assez de droits,
Et de la Renommée occuper les cent voix.
A Contat, me dit l'un, j'ai lu ma comédie,
Et j'aurai dans huit jours écrit ma tragédie.
Etes-vous pour Virgile, ou le Tasse, ou Milton?
Me dit l'autre. Ma lyre est montée à leur ton.
Si j'en crois celui-ci, son opéra comique
Va de Grétry bientôt rajeunir la musique.
Celui-là me raconte, et bien confidemment,
Qu'hier dans un souper on l'a trouvé charmant.
Eh! tant mieux si notre âge, en grands hommes fertile,
A produit un Sophocle, un Térence, un Virgile,
Dis-je à mon tour, frappé de leurs brillans récits.
Mais voyez-vous Delille, ou Lebrun, ou Ducis?

Les voyez-vous souvent?-On ne peut vous comprendre. A quoi bon... - Un seul mot me fera mieux entendre.

C'est qu'en lisant vos vers leur rigide amitié
Pourrait vous alléger au moins de la moitié.

Ayons plus d'un censeur, plus d'un nous est utile:
Tel juge bien le fond, qui juge mal le style;
Et tel sur chaque mot va nous inquiéter,
Qui d'un fond vicieux saura se contenter.
Les vers même et la prose ont chacun leur langage:
N'allons pas au hasard demander un suffrage;
Un poète en entrant dans le sacré vallon
Vainement sur des vers eût consulté Buffon.

On compose aisément, on corrige avec peine; Souvent un long travail épuise notre veine. Faudra-t-il sans relâche, avides de jouir, Aux conseils les meilleurs nous presser d'obéir? Le tems, comme on l'a dit, ne fait rien à l'affaire: Sachons-nous commander un repos nécessaire, Et les mots qui semblaient vouloir nous éviter, D'eux-même à notre esprit viendront se présenter. A tort l'on penserait par de nombreux ouvrages De la postérité conquérir les hommages: Saint-Aulaire, cité pour un seul madrigal, De Chaulieu plus fécond marche presque l'égal. Gardons-nous d'imiter cet auteur mercenaire, Redouté du lecteur non moins que du libraire, Qui, nouveau Scudéry, moderne Pellegrin, Du matin jusqu'au soir, du soir jusqu'au matin,

Harcelant le papier, et tourmentant la plume,
Entasse vers sur vers, volume sur volume,
Et chez lui nous étale en piles amassés

De tous les magasins tous ses livres chassés.

J'ai dit que si l'on veut, franchissant la barrière, Des lettres essayer la pénible carrière,

Il faudra s'entourer de sévères amis.

Craignons pourtant, craignons, aveuglément soumis,
De prêter une oreille aux avis trop docile:
Critiquer est aisé, juger est difficile.

Je ris lorsque je vois tant d'aristarques nains
Qui, rendant contre nous leurs arrêts clandestins,
Usurpent de censeurs le hardi privilège,
Professeurs qui devraient retourner au collège.
Je ris également du ton plat et grossier

D'un libelliste obscur faisant son vil métier.
Legouvé, qu'à Pradon celui-ci te compare;
Je ne veux pas de toi que le dépit s'empare:
L'épigramme en ce cas fût-elle de saison,
Se fâcher contre un sot c'est lui donner raison.

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Mais tandis qu'aux leçons dont mes vers se hérissent,
Des lecteurs satisfaits par moment applaudissent,
Despréaux, dit quelqu'un, en style plus précis
A donné de son tems de semblables avis.

Je ne le nierai point: sans doute ce grand homme,
Rival des morts fameux et d'Athène et de Rome,',.
Au Parnasse attentif dictant ses dures loix,
D'un sévère censeur nous a prescrit le choix.

Mais s'il sut mieux que moi cadencer son langage,
Sur lui je puis du moins avoir un avantage :
Décriant la beauté dans ses vers peu galans,
Il craignit de l'offrir comme juge aux talens.
Sexe qu'il méconnut, je te rendrai justice:
Il faut te consulter. Veux-tu le sacrifice
D'un mot qui te déplaît? Prompt à se retirer,
Que ce mot à tes yeux n'ose plus se montrer.
Les femmes ont surtout un tact sûr et rapide;
Toujours à leurs arrêts c'est le goût qui préside.
Le goût! don précieux que l'esprit peut sentir,
Et que le vers jamais n'a su bien définir.
Tu m'en offres l'image, aimable sensitive,
Lorsque, te recueillant dans ta feuille craintive,
Et dérobant ton sein à mon œil abusé,

Tu fuis soudain le doigt qui sur toi s'est posé.

Heureux donc l'écrivain qui peut sur un ouvrage Des femmes obtenir l'ingénieux suffrage!

Mais plus heureux celui, par l'amour enflammé,
Qui trouve son censeur dans un objet aimé !
Sur ce théâtre auguste où Corneille et Racine
Seront encor debout même après sa ruine,
A-t-il, en s'illustrant d'un triomphe nouveau,
Arraché sa mémoire à la nuit du tombeau?
Ah! que j'aime à le voir, plein d'une tendre ivresse
Déposer son laurier aux pieds de sa maîtresse!
<< Objet toujours plus cher à mon cœur enchanté,
< Lui dit-il, d'un succès si je me sens flatté,

Tome IV.

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