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pouvait y avoir contractées. Si donc le naturalisé revient dans son pays d'origine, il pourra être arrêté, poursuivi et jugé, sans que sa nouvelle patrie puisse intervenir en sa faveur. Mais pourra-t-il être extradé pour crime commis avant la naturalisation? Sur ce point délicat quelques explications sont nécessaires. L'usage de ne pas livrer ses nationaux est admis chez la plupart des peuples en matière d'extradition. Il n'y a que les États-Unis d'Amérique et l'Angleterre qui, entourant de garanties minutieuses la remise des malfaiteurs fugitifs, n'ont pas cru devoir faire toujours cette distinction. Que se passera-t-il, dans un pays suivant la règle générale, si le criminel qui s'y est réfugié y a obtenu la naturalisation après le crime? Y aura-t-il lieu à extradition. La question s'est posée, il y a quelques années, à propos d'une demande adressée dans ces conditions à la Prusse par le gouvernement français. La Prusse crut devoir refuser. Aujourd'hui la règle inverse paraît prévaloir le traité anglo-français, conclu le 14 août 1876 pour la remise réciproque des malfaiteurs, prévoit que, si le malfaiteur a obtenu la naturalisation dans le pays de refuge postérieurement à la perpétration du crime, il sera néanmoins livré. Est-ce un premier pas dans la voie de l'extradition des nationaux, jusqu'ici rigoureusement proscrite en France? Nous ne le pensons pas. Il semble plutôt que c'est une application de notre règle de la non rétroactivité de la naturalisation. Il y a un droit acquis au gouvernement réclamant d'obtenir l'extradition de son ressortissant qui s'est mis dans un cas prévu par les conventions internationales. La naturalisation ne peut pas plus porter atteinte aux droits acquis contre le naturalisé qu'aux droits

Voir Billot., Traité de l'extradition, passim.

acquis en sa faveur. Aussi n'hésitons-nous pas à appouver les termes de l'article 2 de la convention franco-anglaise précitée. Il serait juste que cet usage s'établit dans la pratique, à titre de réciprocité, sinon par traités.

§ 4.- Reconnaissance de la naturalisation dans le pays d'origine du naturalisé.

Au point de vue du droit civil, ce que l'on vient de dire est suffisant, et il est certain que tout étranger ayant accompli régulièrement les formalités sus-mentionnées sera Français au regard de la loi française. Mais il importe, au point de vue du droit international, de savoir quelle sera la situation du naturalisé à l'égard de son pays d'origine. Le gouvernement, auquel il ressortissait, reconnaîtra-t-il le changement d'allégeance, et cessera-t-il de revendiquer son ancien sujet?

Nous avons indiqué ci-dessus la règle qui, suivant nous, devrait prévaloir en pareil cas. Il faudrait que la naturalisation dans un pays entraînât la dénationalisation dans la première patrie du naturalisé, ou du moins que nul ne pût être naturalisé sans prouver qu'il est ou sera délié par le fait de toute allégeance antérieure Il s'en faut malheureusement de beaucoup que ce principe ait passé dans la pratique internationale.

Le plus grand nombre des États reconnaissent, à la vérité, que l'admission d'un de leurs sujets dans une nouvelle patrie a pour conséquence de lui faire perdre sa nationalité. Mais il y en a d'autres qui refusent à leurs ressortissants la faculté d'abandonner leur nationalité d'origine. D'autres enfin permettent l'expatriation, mais

moyennant l'observation de formalités particulières et indépendantes de la nationalité nouvelle à acquérir. Il importe d'examiner successivement ces diverses législations, et de rechercher la situation dans laquelle elles placent l'individu, vivant sous leur empire, qui se fait naturaliser français.

I

Le cas le plus simple est celui où l'étranger qui sollicite la naturalisation française appartient à un pays admettant la règle du code civil, d'après laquelle l'acquisition d'une nationalité nouvelle entraîne la perte de l'ancienne. Le nombre de ces pays va toujours croissant en Europe et en Amérique. Nous citerons parmi eux la Belgique, le Luxembourg, la principauté de Monaco, l'Italie, les Pays-Bas, dont les lois sont une copie ou une imitation des nôtres, la Suède, l'Espagne, la Colombie, le Brésil, l'Uruguay, etc., enfin l'Angleterre, longtemps fidèle à la doctrine de l'allégeance perpétuelle, qui, par la loi du 12 mai 1870, s'est rangée au système français '.

Quand un individu appartenant à l'un de ces pays se fait naturaliser français, il n'y a guère de cumul possible entre les deux nationalités on ne saurait donc, à ce point de vue, redouter un conflit.

Voir annexes N, S, etc..

II

Inversement, il y a des législations admettant que le lien d'allégeance est indélébile. Le nombre en diminue tous les jours, et, depuis que l'Angleterre et la Russie n'en font plus partie, on ne compte que quelques petits États comme la république de Vénézuéla, les cantons de Genève et de Neufchâtel, et, en fait, sinon en droit pur, les États-Unis d'Amérique.

Dans la République Argentine, d'après l'article 4 de la loi du 1er octobre 1869, les nationaux naturalisés à l'étranger perdent seulement les droits politiques, mais non la nationalité'.

Au Vénézuela, l'article 7 de la Constitution déclare en termes formels que l'acquisition d'une nationalité étrangère laisse subsister la nationalité vénézuélienne 2.

A Genève, l'ancienne législation, toujours en vigueur, admet la pérennité du lien de sujétion. La question offre ici cette particularité remarquable qu'à côté de cette législation cantonnale, on trouve la loi fédérale du 3 juillet 1876 3, qui admet la renonciation au droit de cité, et se montre hostile dans son esprit au cumul de nationalités. Mais la loi de 1876 ne dit nulle part que le Suisse qui se fait naturaliser à l'étranger perd la qualité de Suisse : elle l'autorise seulement à y renoncer, et détermine les conditions de cette renonciation. Le Genevois naturalisé

1 Annexe 0.

2 Annexe B B.

3 Annexe Z, et ci-après au mot Suisse.

à l'étranger restera donc Suisse, s'il n'a pas effectué la renonciation prescrite par la loi fédérale. Or les Gouvernements Cantonaux sont, d'après l'article 8 de cette même loi, seuls compétents pour assurer l'exercice de la renonciation, laquelle doit être faite suivant les législations cantonales. Il en résulte que le Genevois ne pourra jamais l'effectuer, puisque la loi genevoise l'interdit, et, bien que naturalisé étranger, il ne cessera pas d'être Suisse.

A Neufchâtel, la situation est la même que dans le canton de Genève.

Les États-Unis, ainsi qu'on l'a dit plus haut ', ont condamné en principe la pérennité du lien de sujétion, comme contraire au droit naturel. C'est ce qui ressort du bill de 1868 sur la protection des Américains à l'étranger. Mais cette condamnation doctrinale n'a pas été suivie d'une loi comme la loi britannique du 12 mai 1870. Aussi est-ce une grande question de savoir si elle a une valeur pratique. Les attorneys généraux, d'accord avec leur prédécesseur Cushing, qui manifestait déjà cette opinion en 1859, semblent adopter l'affirmative 2: pour eux l'Américain naturalisé à l'étranger devrait dès à présent être tenu pour un étranger. Mais telle n'est pas l'opinion qui paraît l'emporter en Amérique. Le gouvernement américain, dans un message au congrès du 7 décembre 1875, conviait cette assemblée à s'occuper de « déterminer par « des conditions légales de quelle manière l'expatria«<tion peut s'accomplir et le changement de nationalité

1 Ci-dessus page 8.

* Voir les opinions de Cushing et Black dans le report of royal commissioners, etc. — Voir aussi le Digest of the publisted opinions of the attorneys général, Washington, 1877 pages 100 et 101.

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