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ficultés au sujet des personnes exerçant des professions libérales à l'étranger: médecins, avocats, professeurs, architectes, peintres, etc..., sont, en principe, absolument en dehors de l'administration. Mais, si un médecin devient médecin dans un hospice, si un avocat entre directement dans la hiérarchie administrative, si un professeur enseigne dans une université ou un collège, où il soit payé par le Gouvernement, si un architecte est accepté comme tel par un État ou une ville, il faudra examiner si, en fait, il y a entre lui et le Gouvernement étranger un lien assez fort pour qu'il doive être considéré comme incompatible avec les devoirs de Français. C'est une question toute de fait, que la jurisprudence tranche en général dans un sens favorable à la nationalité française, avec raison, du reste, puisque le plus souvent les Français qui exercent des professions libérales à l'étranger honorent par là leur pays, et le servent plus qu'ils ne lui peuvent nuire.

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§3. Établissement sans esprit de retour à l'étranger.

Diverses ordonnances de nos anciens rois avaient interdit l'émigration et puni de la perte de la qualité de sujet les personnes ayant passé un certain temps hors du royaume. La constitution de l'an III déclarait encore déchu de sa nationalité le Français qui avait passé sept ans à l'étranger. Depuis l'an VIII et sous le régime du Code civil, il n'en est plus ainsi, et l'absence, si prolongée qu'elle soit, ne fait perdre la qualité de Français qu'autant qu'il y a établissement sans esprit de retour à l'étranger 1.

1 Excepté pour les indigènes algériens qui sont censés après trois ans avoir perdu l'esprit de retour. Circulaire du 25 avril 1856.

Comment reconnaître s'il y a ou non esprit de retour? Les tribunaux, on le comprend, sont ici souverains appréciateurs. Ils statueront après avoir examiné les circonstances de la cause; mais on ne saurait poser des règles générales. Disons seulement que la présomption sera toujours en faveur de l'esprit de retour: même s'il s'agit d'un Français né à l'étranger, on supposera qu'il n'a pas rompu à jamais avec sa patrie, et on ne reconnaîtra cette rupture que lorsqu'elle résultera manifestement des faits divulgués au procès. C'est donc à celui qui prétend qu'il y a abandon de l'esprit de retour d'en apporter la preuve aux juges 1.

Les faits de s'être marié en pays étranger, d'y avoir émigré avec toute sa famille, d'y avoir acquis des biensfonds, seront considérés comme pouvant faire supposer la perte de l'esprit de retour. Autrefois, le changement de religion avait à ce point de vue une grande importance, quand le catholicisme était seul permis en France. Il n'en est plus de même aujourd'hui ; mais pourtant une conversion pourra être, quelquefois encore, un élément de preuve. Il en est de même de la déclaration de l'intéressé. Elle pourra venir à l'appui des autres présomptions et les corroborer en cas de besoin; mais évidemment elle sera impuissante, si elle n'est pas accompagnée d'indices sérieux d'une volonté persistante. Autrement, en effet, il vaudrait autant dire qu'on peut abdiquer sa nationalité, ce que le Code civil ne permet pas. Inversement, la déclaration qu'on a conservé l'esprit de retour pourrait être insuffisante pour établir la nationalité française d'un individu d'origine française, mais absent depuis de longues années, marié, et ayant cessé d'avoir des relations avec la mère

1 Cass., 13 juin 1811. Cour de Poitiers, 26 juin 1829.

patrie. Il y a, il est vrai, en Orient, des familles françaises d'origine qui vivent depuis plusieurs siècles sans esprit de retour; elles sont françaises pourtant, et jouissent de la protection des Consuls: le fait de recourir à l'intervention des consuls pour les actes d'état civil et notariés prouve que, si l'intention de revenir en France n'existe pas, il n'y a pas de rupture entre le Français et la France : cela nous paraît suffisant pour déclarer que la nationalité s'est conservée. En Orient, d'ailleurs, la situation des Français est différente de ce qu'elle est en pays de chrétienté. Mais, nous le répétons, les tribunaux sont ici absolument souverains.

Le Code civil, muet sur les points auxquels nous venons de toucher, pose une seule règle d'interprétation, savoir que les établissements de commerce ne pourront jamais être considérés comme faits sans esprit de retour. C'est l'application de cette idée, éminemment française, que l'homme qui va se livrer au commerce dans les pays étrangers, n'émigre d'ordinaire que dans l'intention de revenir un jour jouir dans sa patrie de la fortune acquise au dehors, et mourir sur le sol de France. Il ne faudrait pourtant pas interpréter le Code en ce sens que le commerçant français ne peut, dans aucun cas, créer un établissement sans esprit de retour. Si, à côté de son établissement de commerce, le Français achète des terres, fait bâtir une maison en vue de s'y retirer, s'il se marie avec une femme du pays, il y aura de fortes présomptions pour qu'il ait perdu l'esprit de retour, et les tribunaux pourront le déclarer étranger. Seulement, d'après le Code, on ne pourra jamais invoquer comme preuve de l'abandon de l'esprit de retour le fait de posséder une maison de commerce.

On s'est demandé quelquefois si la violation des disposi

tions légales qui s'imposent aux Français, même résidant à l'étranger, peuvent emporter présomption qu'il y a perte de l'esprit de retour. Doit-on attacher cette conséquence à l'omission des publications prescrites pour le mariage par l'article 170 du Code civil? - à la négligence de faire inscrire des actes de l'état civil dans les chancelleries françaises? au refus d'obéir à l'appel sous les drapeaux? Nous croyons qu'ici encore les tribunaux devront apprécier en toute liberté. Rappelons seulement, à propos du refus du service militaire, que les consuls sont autorisés à retirer leur protection à l'insoumis et au déserteur; mais les agents diplomatiques ou consulaires ne peuvent pas pour cela le déclarer déchu de sa nationalité 1.

Les décrets de 1809 et 1811 ne s'occupant que des Français qui remplissent des fonctions publiques à l'étranger, ou y ont obtenu la naturalisation, on ne saurait en appliquer les déchéances aux Français ayant perdu leur nationalité pour s'être établis sans esprit de retour en pays étranger, puisqu'en matière pénale, on doit s'en tenir aux strictes prescriptions de la loi,

C'est à la France et à elle seulement qu'il appartient de décider si un individu a perdu ou non la qualité de Français. Nous ne saurions donc admettre, avec la Cour de cassation de Belgique, la compétence des tribunaux de ce pays pour décider qu'un individu a perdu une nationalité étrangère. Les tribunaux belges ont à plusieurs reprises jugé que des individus avaient perdu la qualité de Français ou de Prussien parce qu'ils avaient quitté leur patrie dans des conditions qui, aux termes des lois prussiennes ou fran

1 Voir ci-dessus page 47.

Cassation de Belgique, 15 mai 1876 et 21 mai 1877.

çaises, entraînent la dénationalisation. C'est une jurisprudence inadmissible au point de vue international. Chaque pays doit appliquer ses lois, et non pas celles des autres. Ce qui motive la manière de procéder des tribunaux belges, c'est que les individus de nationalité indéterminée sont appelés au service par la loi belge sur la milice de 1870. La France a protesté plusieurs fois contre cette loi, et elle obtiendra probablement qu'il suffise d'un certificat d'immatriculation dans un consulat français en Belgique pour éviter à nos compatriotes le risque d'être incorporés dans la milice locale, sous prétexte qu'ils ont perdu la qualité de Français.

§ 4.-Service militaire à l'étranger.

I

La disposition du Code civil qui interdit le service militaire à l'étranger et le punit de la perte de la qualité de Français n'est point comprise dans l'article 17, dont le texte vise seulement les fonctions publiques, l'établissement sans esprit de retour, et la naturalisation. On comprend en effet, que le service militaire à l'étranger a un caractère de gravité particulière : c'est presque une trahison. Aussi, verrons-nous qué, tandis que l'ex-Français tombant sous le coup de l'article 17 peut recouvrer facilement sa nationalité d'origine, l'ex-Français dénationalisé pour avoir pris du service dans une armée étrangère ne peut être réintégré dans la qualité de Français qu'en se conformant aux dispositions générales sur la naturalisation des

1 Chapitre VI.

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