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II

Plus nombreux sont les États qui admettent que la nationalité appartient nécessairement à quiconque naît sur leur territoire. De ce nombre sont l'Angleterre, le Danemark', le Portugal et la plupart des États de l'Amérique : États-Unis, États de Colombie, Chili, République Argentine, Pérou, etc.

Angleterre. L'Angleterre qui, par le bill du 12 mai 1870, a renoncé à l'ancien système de l'allégeance perpétuelle, n'a pourtant pas fait encore une réforme complète en matière de nationalité. Elle persiste à imposer la nationalité britannique aux enfants nés de parents étrangers dans les Trois-Royaumes. Un enfant né de parents Français en Angleterre est donc Anglais au delà de la Manche et Français en deçà. Ajoutons que le bill du 12 mai 1870, article 4, permet à l'individu qui se trouve dans cette situation de choisir à sa majorité entre les deux nationalités ou plus exactement de renoncer à la nationalité anglaise pour garder exclusivement l'autre. Dans beaucoup de cas cette option évite des conflits: mais si l'intéressé refuse de se dépouiller de la qualité de sujet britannique, il pourra se trouver soumis en France aux lois françaises. De là un conflit possible entre les législations des deux pays et entre les deux Gouvernements.

Les réclamations se sont parfois présentées de la part d'individus invoquant en France la qualité d'Anglais pour se soustraire au service militaire obligatoire. L'esprit éminemment pratique du gouvernement anglais a inspiré une

1 Voir ch. II, § 8, Danemark.

sage solution. Une dépêche écrite par Lord Malmesbury à Lord Cowley, ambassadeur de S. M. Britannique à Paris, le 13 mars 1858, expose nettement que, si l'Angleterre reconnaît comme Anglais les enfants nés dans les îles Britanniques de parents étrangers, elle ne prétend nullement les protéger comme tels contre les autorités du pays d'où relèvent leurs parents, et qui les réclament légalement, cela surtout quand ils sont volontairement retournés dans ce pays. Le Français né en Angleterre serait protégé par l'Angleterre en Allemagne, en Italie, partout excepté en France, où il pourra légalement être appelé au service militaire, et où son extradition serait refusée même à l'Angleterre.

Portugal. Le code civil portugais, dans son article 18, considère comme Portugais tous les individus nés dans le pays, à moins qu'ils n'expriment le désir de garder la nationalité de leurs parents. Ils peuvent donc, émancipés, ou devenus majeurs, opter pour la nationalité de leur famille. Leur père peut même opter pour eux quand ils sont mineurs à leur majorité, ils pourront réclamer contre la nationalité qui leur aurait été donnée de la sorte. C'est à peu près le système introduit en Angleterre par le bill sus-mentionné de 1870.

Il est fait une exception formelle pour les fils d'étrangers demeurant en Portugal pour le service de leur pays d'origine.

Le traité hispano-portugais du 21 avril 1866 donne aux enfants nés en Portugal de parents espagnols, une situation privilégiée : ils restent Espagnols jusqu'à leur majo

1 Report of royal com., p. 67.

rité et leur émancipation, et ne deviennent Portugais que s'ils continuent de demeurer en Portugal après cette époque. Ce simple fait est considéré comme présumant l'intention de l'intéressé qui reste, d'ailleurs, libre de conserver la qualité d'Espagnol en faisant une déclaration spéciale devant les autorités portugaises. Si le père du jeune Espagnol était au service de l'Espagne, son fils ne pourrait devenir Portugais qu'en réclamant expressément cette qualité '.

Amérique. C'est surtout de l'Amérique latine que nous avons à nous occuper les États-Unis d'Amérique n'ayant pas la conscription, la principale cause de conflits. n'existe pas avec eux. On peut présumer du reste qu'ils mettraient en pratique la règle anglaise citée ci-dessus.

L'histoire de nos relations avec les républiques de l'Amérique du Sud abonde en réclamations de Français, revendiqués comme citoyens par les autorités locales, et qui invoquent l'appui diplomatique de la France, en se fondant sur nos traités d'amitié.

Longtemps le Gouvernement français avait espéré que le principe de notre Code civil triompherait en Amérique. Plusieurs États de l'Europe ont insisté avec nous dans ce sens auprès des Républiques latines du nouveau monde. Pour expliquer notre insistance, nous faisions valoir, non sans quelque apparence de raison, qu'en France un fils d'étranger est étranger, et toujours traité comme tel, à moins qu'après sa majorité il n'opte pour la nationalité française. Nous réclamions donc seulement la réciprocité. Mais une demande de cette nature qui semblerait fort

1 Voir Janer, Tratados de Espana.

modérée envers un pays européen, était une assez lourde exigence envers les États de l'Amérique du Sud. La prospérité des républiques américaines ne peut avoir d'autre source que l'immigration, et si la plupart des immigrants conservaient, pendant plusieurs générations, leur statut personnel d'origine, la plus grande partie des habitants se trouverait en dehors de l'allégeance territoriale, et exemptée des charges locales. Comment dans ces conditions, les gouvernements pourraient-ils lever des troupes ? Ils craignent, en outre, qu'en présence de si nombreux immigrants vivant sous la protection diplomatique de leur pays d'origine, leurs républiques ne deviennent bientôt comparables aux pays de l'Orient, dans lesquels les étrangers groupés en nations forment un État dans l'État. Ces considérations étaient trop puissantes dans l'esprit des Américains pour qu'ils consentissent à se rallier à notre jurisprudence. Nous ne connaissons que le Mexique et le petit État de Costa-Rica qui reconnaissent la qualité d'étranger à l'enfant né sur leur territoire. Au Mexique l'individu né de père étranger, ou de mère étrangère et de père inconnu, reste étranger tant qu'il est soumis à la puissance paternelle. S'il est émancipé avant d'avoir vingt-cinq ans, il doit déclarer dans le délai d'un an l'intention de rester étranger, sinon il est naturalisé Mexicain par l'effet de la loi. S'il est émancipé à sa mayor edad (vingt-cinq ans) ou après, il doit faire la déclaration dans l'acte même d'émancipation '. Ce sont là de sages dispositions grâce auxquelles il n'y a guère de conflits à redouter. Dans l'État de Costa

1 Voir Aspiroz. Codigo de la Estrangeria en los Estados Mexicanos, art. 46. Pour comprendre ces dispositions, il faut se rappeler que le Mexique doit sa législation à l'Espagne, où la puissance paternelle, comme à Rome, survit à la majorité (mayor edad) de l'enfant.

Rica la situation des fils d'étranger est plus conforme encore à la doctrine française. Une loi du 20 juillet 1861, a déclaré que les fils d'étranger nés sur le territoire costaricain seraient réputés étrangers, sauf le droit d'opter à leur majorité pour la nationalité locale. Dans la république Argentine, une loi de 1857 avait mis le même principe en vigueur, mais elle a été abrogée quelques années plus tard : la loi du 1er octobre 1869, qui l'a remplacée, déclare Argentins tous les natifs du territoire de la République, excepté les fils d'agents diplomatiques et consulaires.

La même règle, en général avec la même exception, est en vigueur dans les autres États de l'Amérique latine : Uruguay, Vénézuéla, Haïti, Colombie, Chili, Pérou, Équateur, Bolivie, Guatemala, Brésil. Dans quelques-uns pourtant, on reconnaît au fils d'étranger une sorte de droit de recouvrer plus tard la nationalité de son auteur. Ainsi l'enfant né dans la république de Guatemala de parents étrangers perd la nationalité guatémalienne, au moins dans l'interprétation donnée par le gouvernement à la constitution, s'il retourne dans le pays d'où sa famille est originaire. Dans l'empire du Brésil, une loi du 10 septembre 1860 a décidé que l'état civil étranger serait appliqué aux fils d'étranger pendant leur minorité. On avait espéré pouvoir profiter de cette loi pour régler la situation des fils de Français: mais, par cela même que la loi déclare elle-même qu'elle ne fait nullement échec à la nationalité brésilienne, elle n'a pas pu être invoquée '.

En somme, la situation des fils de Français nés en Amérique est assez précaire en droit : ils sont plus ou moins favorablement traités en pratique suivant les circonstances

1 Annuaire de lég. étrang., 1878, page 837.

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