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tionnellement la constater que pour un instant donné, pour une époque précise, — c'est-à-dire pour le passé ou le présent, mais jamais pour l'avenir.

Malheureusement, il arrive parfois que, dans l'état actuel de nos lois, il est assez difficile de saisir la justice d'une demande en constatation de statut personnel, alors même qu'on est intéressé directement à le prouver. Ce sont ces imperfections, ces lacunes dans le détail et dans la pratique qui trompent, si l'on ne regarde qu'à la superficie, sur la valeur même du système. On verra par les pages qui suivent, qu'il y aurait, en somme, peu de changements à apporter à la jurisprudence actuelle, et presque aucun à nos lois pour satisfaire à toutes les exigences.

Toutes les fois que l'intérêt de faire constater la nationalité provient du droit civil, il n'y a pas de difficulté possible pour saisir les tribunaux. La question peut se présenter dans nombre de litiges, à l'occasion d'une succession, d'un mariage, d'un contrat, etc., et sous les mille modes divers que nos lois de procédure offrent aux parties. Il peut même arriver que la nationalité d'un tiers soit agitée entre les plaideurs pour savoir, par exemple, si un témoin testamentaire était Français. - Il n'y a pas lieu de donner ici des explications; mais la question devient plus compliquée et mérite d'être étudiée avec quelques détails, quand il s'agit des charges ou des avantages attachés à la qualité de Français, non plus par des lois civiles, mais par des lois d'ordre politique, administratif ou militaire. Il peut arriver qu'un individu ait intérêt à faire reconnaître sa nationalité française pour être inscrit sur les listes électorales, pour être admis à prendre part au partage des biens ou des revenus communaux, pour se faire inscrire sur les registres matricules d'un consulat français à

l'étranger, pour ne pas être livré à une puissance étrangère qui demande son extradition, pour éviter d'être frappé d'expulsion par application de la loi de 1849..... Il peut arriver inversement qu'une personne ait intérêt à établir son extranéité pour se soustraire au service militaire, aux emprunts forcés, aux contributions de guerre, aux réquisitions, en un mot, aux charges qui pèsent sur les Français, mais n'atteignent pas les étrangers. Dans l'une ou l'autre hypothèse, nous trouvons une personne intéressée à faire annuler une décision administrative prise en considération de sa nationalité, et, par conséquent, à faire reconnaître cette nationalité. Comment s'y prendrat-elle ? Les lois et la jurisprudence peuvent-elles lui fournir un recours? Et quel genre de recours lui peuventelles fournir ?

§ 2. Examen des principales difficultés.

I

Le nombre des circonstances dans lesquelles un individu peut avoir intérêt, en dehors du droit civil, à reclamer ou à repousser la qualité de Français est trop considérable pour que l'on puisse prétendre les énumérer toutes. On citera seulement les hypothèses les plus fréquentes.

Droit électoral. - Le droit de prendre part aux élections pour les conseils communaux et départementaux, ainsi que pour les assemblées souveraines, est un des plus importants avantages de la qualité de Français. Aussi est-ce souvent

à cette occasion que naissent des contestations sur le statut personnel.

Depuis l'introduction du suffrage universel dans notre pays, tout Français qui remplit certaines conditions de capacité et de domicile, et qui n'encourt aucune déchéance légale, est en possession du droit d'électeur, et par suite doit être inscrit sur les listes électorales. Un individu qui se prétend Français et qui a été omis comme étranger doit donc pouvoir requérir son inscription. Inversement, il est nécessaire qu'on puisse combattre l'inscription d'un individu qu'on croit étranger et demander sa radiation.

Pour se rendre un compte exact de ce qui se passe dans la pratique, il est nécessaire d'examiner la manière dont les listes électorales sont dressées. Le soin de les dresser était autrefois confié au Préfet : depuis que le suffrage universel est devenu la loi de la France, il a fallu chercher un autre système. Le rôle exercé par le Préfet a été dévolu à des commissions spéciales prises dans chaque commune et qui varient suivant qu'il s'agit des listes pour les élections communales, ou de celles préparées en vue des élections politiques. Dans le premier cas, la commission, d'après la loi du 17 juillet 1874, se compose du maire de la commune, d'un membre du conseil municipal, et d'un délégué nommé par l'administration. Dans le second cas, elle comprend, aux termes du décret-loi du 2 février 1852, le maire et deux membres du conseil municipal.

Les réclamations doivent être formées contre la commission même qui a préparé la liste, et qui se trouve ainsi dans une certaine mesure juge et partie. Supposons donc une personne omise comme étrangère: elle adresse une réclamation au maire, président de la commission. Si celle-ci, augmentée de deux membres du conseil muni

cipal, pour des listes communales, n'admet pas la demande, le demandeur porte l'affaire en appel devant le juge de paix, le maire comparaissant comme défendeur. Le juge de paix est investi par nos lois électorales du droit de statuer en dernier ressort, sauf pourvoi en cassation, à moins qu'il ne s'agisse d'une question d'État, c'est-àdire précisément d'une question dans le genre de celle qui nous occupe. Dans ce cas, le juge de paix doit surseoir au prononcé de son jugement pour renvoyer le litige comme question préjudicielle, devant les tribunaux ordinaires. Cependant la jurisprudence de la cour de cassation lui permet une certaine appréciation. Si la cause est évidente, soit qu'il apparaisse nettement que le réclamant est étranger, soit qu'il ne soit pas moins manifeste qu'il est Français, le juge de paix peut rendre son jugement. Il le peut toutes les fois que l'affaire ne se présente pas comme sérieuse. Si, dans un cas de ce genre, un pourvoi en cassation est formé contre la sentence du juge de paix, notre cour suprême ne manque pas de donner raison à ce magistrat. La Cour de cassation a même admis certaines présomptions comme suffisantes pour établir la nationalité en matière électorale, lorsque rien ne venait y contredire. Quand, par exemple, un individu prouve qu'il est né en France, quand il produit un contrat de mariage français, un certificat de service militaire, un livret, ou l'attestation qu'il a toujours figuré sur la liste électorale, la Cour a décidé à plusieurs reprises qu'il devait être inscrit, toutes les fois qu'aucune preuve n'était pré

1 Loi du 17 juillet 1874.

2 Arrêts des 16, 23, 30 mars 1863, 4 avril 1865, 14, 19 mars et 25 avril 1877.

sentée pour combattre la présomption de nationalité française résultant de ces différentes circonstances '.

Dans le cas au contraire où la contestation sur la nationalité se présente avec un caractère sérieux, le juge de paix se déclare incompétent et surseoit à rendre son jugement sur la question de l'inscription jusqu'au moment où la juridiction civile se sera prononcée. C'est alors sous forme de question préjudicielle que le tribunal sera saisi du litige par l'omis actionnant le maire. Une fois la nationalité jugée par le tribunal, avec droit d'appel bien entendu et de pourvoi en cassation, l'affaire revient devant le juge de paix qui décide s'il y a lieu ou non de procéder à l'inscription de l'intéressé.

Il importe d'ajouter dès à présent que l'intéressé n'est pas seul compétent pour réclamer contre la liste électorale. Le préfet, le sous-préfet, le délégué de l'administration dans la Commission municipale et tout électeur inscrit peut réclamer une inscription ou une radiation. La pratique présente un assez grand nombre de cas où un électeur intervient pour demander la radiation d'une personne qui en raison de son extranéité lui paraît incapable de figurer sur les contrôles électoraux. L'affaire suit les phases que nous venons d'énumérer. Toutefois il faut remarquer que le défendeur sera le plus souvent l'électeur inscrit dont la radiation est demandée et qui se trouvera tout naturellement appelé à figurer au procès, où il est le principal intéressé. Il nous sera permis de citer comme exemple l'affaire du député Durand, dont un électeur du département du Rhône a cru devoir contester la nationalité française en 1877. De la Commission municipale, la demande a été portée

2 Voir ces mêmes arrêts.

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