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témoin, et de se dire son obligée avec reconnaissance. C'était à la mort de Monsieur (juin 1701): Madame, qui, en ce grave moment, avait tout à obtenir du roi et pour elle et pour son fils (et qui obtint tout en effet), fit l'effort de mettre sa dignité de côté et de s'adresser à Mme de Maintenon. Celle-ci se rendit chez la princesse, et, en présence de la duchesse de Ventadour pour témoin, représenta à Madame, après l'avoir écoutée, que le roi avait eu à se plaindre d'elle, mais qu'il voulait bien tout oublier. Madame, se croyant sûre d'elle-même, protesta de son innocence: Mme de Maintenon, avec un grand sang-froid, la laissa dire jusqu'au bout, puis tira de sa poche une lettre, comme Madame en écrivait journellement, adressée à sa tante l'Électrice de Hanovre, et dans laquelle il était parlé en termes outrageants du commerce du roi et de Mme de Maintenon: <«< On peut penser si, à cet aspect et à cette lecture, Madame pensa mourir sur l'heure. »

Ce n'était là que la première partie de la scène si admirablement décrite par Saint-Simon, de cette espèce de duel entre - les deux femmes. Quand le nom du roi fut hors de cause, Mme de Maintenon eut bientôt à parler pour son propre compte et à répondre aux reproches que lui faisait Madame d'avoir varié de sentiments à son égard : l'ayant laissée dire comme la première fois, l'ayant laissée s'avancer jusqu'au bout et s'enferrer en quelque sorte, elle lui découvrit tout d'un coup des paroles secrètes, particulièrement offensantes pour ellemême, qu'elle savait depuis dix ans et plus, qu'elle avait gardées sur le cœur, et que Madame avait dites à une princesse, morte depuis, laquelle les avait répétées dans le temps mot pour mot à Mme de Maintenon : « A ce second coup de foudre, Madame demeura comme une statue; il y eut quelques moments de silence. » Puis ce furent des pleurs, des cris, des pardons, des promesses, et un raccommodement qui, fondé sur un triomphe froid pour Mme de Maintenon et sur une humiliation intime pour Madame, ne pouvait être de bien longue durée. C'est peu après cette scène, et durant le temps trèscourt de cette amitié ainsi renouée, que Madame écrivit à Mme de Maintenon deux lettres (1) dont voici la première, datée du 15 juin; la scène était du 11 :

(1) Elles sont à la Bibliothèque du Louvre, et j'en dois connaissance et communication à l'obligeance de M. Barbier. On voit dans ces lettres,

« Ce mercredi, 15 de juin, à onze heures du matin.

»‹Si je n'avais eu la fièvre et de grandes vapeurs, Madame, du triste emploi que j'ai eu avant-hier d'ouvrir les cassettes de Monsieur, toutes parfumées des plus violentes senteurs, vous auriez eu plus tôt de mes nouvelles, mais je ne puis me tenir de vous marquer à quel point je suis touchée des grâces que le Roi a faites hier à mon fils, et de la manière qu'il en use pour lui et pour moi : comme ce sont des suites de vos bons conseils, Madame, trouvez bon que je vous en marque ma sensibilité, et que je vous assure que je vous tiendrai très-inviolablement l'amitié que je vous ai promise; et je vous prie de me continuer vos conseils et avis, et de ne jamais douter de ma reconnaissance qui ne peut finir qu'avec ma vie.

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ÉLISABETH-CHARlotte. »

Le second billet, par lequel Madame soumet au roi une lettre qu'elle vient de recevoir de la reine d'Espagne, avec la réponse qu'elle y a faite, se termine par des protestations du même genre: «Ayez la bonté de me marquer la volonté du Roi. Je serai toujours ravie de les apprendre par vous, Madame, pour qui je me sens à cette heure, une véritable amitié fondée sur une grande estime. >>

Fière comme l'était Madame, il n'y avait pour elle, après une telle démarche et un rapprochement aussi pénible dans son principe, qu'à devenir l'amie intime et cordiale de Mme de Maintenon, ou son ennemie irréconciliable. C'est ce dernier sentiment qui l'emporta. Malgré des efforts qui purent être un moment sincères, les situations et les répugnances furent les plus fortes; les antipathies se redressèrent et prévalurent.

et dans quelques autres adressées au duc de Noailles, que Madame n'écrivait pas plus mal en français que la plupart des personnes de qualité de son temps. Je n'ai pas reproduit les fautes d'orthographe, qui sont d'ailleurs perpétuelles dans les lettres des plus grandes dames d'alers, des Montespan et autres.

Lundi 17 octobre 1853.

NOUVELLES LETTRES

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MADAME, MÈRE DU RÉGENT,

Traduites par M. G. Brunet.

(FIN.)

Madame mérite qu'on s'occupe d'elle à plus d'un titre, et en particulier parce qu'ayant beaucoup écrit, son témoignage demeure et est invoqué dans bien des cas. Un travail définitif reste à faire, dans lequel on rassemblerait en.corps d'ouvrage et l'on traduirait tout ce qui vaut la peine d'être recueilli. Lorsque l'édition des nouvelles Lettres, des nouveaux fragments de lettres, traduits par M. Brunet, sera épuisée, pourquoi ne lui aurait-on pas cette obligation de plus? pourquoi lui-même ne se chargerait-il pas de former ce recueil complet, en ne négligeant rien de ce qui pourrait l'enrichir et l'éclairer du côté de l'Allemagne, et en n'y ajoutant en fait de notes et d'érudition française que ce qui serait nécessaire? On aurait ainsi, non pas précisément un document historique ajouté à tant d'autres, mais une grande chronique de mœurs, un ardent commérage de société par celle qu'on peut appeler le Gui Patin ou le Tallemant des Réaux de la fin du xvIIe siècle et des premières années du xvIII; on aurait un livre, vivant, spirituel et brutal, qui ferait pendant et vis-à-vis à SaintSimon sur plus d'un point.

Madame et le duc de Saint-Simon ont cela de commun que

ce sont deux honnêtes gens à la Cour, honnêtes gens que l'indignation aisément transporte, souvent passionnés, prévenus, féroces alors et sans pitié pour l'adversaire. Saint-Simon, estil besoin de le dire? a sur Madame toute la supériorité d'une nature de génie faite exprès pour sonder et pour fouiller dans les cœurs, pour en rapporter des descriptions toutes vives, qu'il nous rend présentes en traits de flamme. Madame, souvent crédule, regardant ailleurs, mêlant les choses, peu critique dans ses jugements, voit bien pourtant ce qu'elle voit, et elle le rend avec une force, une violence, qui, pour être peu conforme au goût français, ne se grave pas moins dans la mémoire. Quand elle tombe juste, elle emporte neltement la pièce comme Saint-Simon. Tous deux se connurent beaucoup et s'estimèrent ils avaient sans s'en douter le même travers, et ils le notaient réciproquement chacun chez l'autre ; l'une était à cheval sur son rang de princesse, et sur le quivive, de peur qu'on ne lui rendît pas assez; l'autre était intraitable, on le sait, et comme fanatique sur le chapitre des ducs et pairs:

<< En France el en Angleterre, dit Madame, les ducs et les lords ont un orgueil tellement excessif qu'ils croient être au-dessus de tout; si on les laissait faire, ils se regarderaient comme supérieurs aux princes du sang, et la plupart d'entre eux ne sont pas même véritablement nobles. J'ai une fois joliment repris un de nos ducs; comme il se mettait à la table du roi, devant le prince de Deux-Ponts, je dis tout haut: « D'où vient que M. le duc de Saint-Simon presse tant le prince de Deux-Ponts? a-t-il envie de le prier de prendre un de ses fils pour page?» Tout le monde se mit si fort à rire qu'il fallut qu'il s'en allât. »

Saint-Simon n'en voulut pas trop à Madame de cette petite mortification. Il a parlé d'elle avec vérité et justice, comme d'une nature mâle un peu parente de la sienne; tout ce qu'on a lu et ce qu'on lit dans les nombreuses lettres où Madame se déclare et se montre à tous les yeux, n'est en quelque sorte que la démonstration et le commentaire du jugement premier donné par Saint-Simon.

Madame était naturellement juste, humaine, compatissante. Elle s'inquiétait beaucoup de ses dettes et de ses créanciers, ce que les Grands ne faisaient pas toujours, et on a remarqué qu'elle n'était tranquille que lorsqu'elle avait assuré avant tout cet ordre de payements, « prévenant les demandes, quel

quefois les désirs, et toujours l'impatience et les plaintes. » Les lettres qu'elle écrit durant le terrible hiver de 1709 respirent la pitié pour les pauvres gens « qui mouraient de froid comme des mouches. » Nulle princesse n'avait plus qu'elle égard à ceux qui l'entouraient et la servaient; «< elle aimait mieux quelquefois se passer des assiduités nécessaires que d'en exiger qui eussent été trop incommodes aux autres. »> Elle était ce qu'on appelle une bonne maîtresse, et plus on l'approchait, plus on la regretta: « Saint-Cloud, écrivait-elle dans l'automne de 1717, n'est qu'une maison d'été; beaucoup de mes gens y ont des chambres sans cheminée; ils ne peuvent donc y passer l'hiver, car je serais cause de leur mort, et je ne suis pas assez dure pour cela; ceux qui souffrent m'inspirent toujours de la pitié. » Une seule fois elle fut impitoyable, elle était blessée dans son endroit le plus délicat. Mme de Maintenon avait fait venir de Strasbourg (et tout exprès pour la narguer, supposait Madame), deux filles d'une naissance équivoque qui se donnaient pour comtesses Palatines et qu'elle plaça comme suivantes auprès de ses nièces. La première Dauphine, qui était Allemande et née princesse de Bavière, le dit à Madame en pleurant, mais sans rien oser pour empêcher un tel affront qui les atteignait toutes deux : << Laissez-moi faire, répondit Madame, j'arrangerai cela; car, lorsque j'ai raison, rien ne m'intimide. » Et le lendemain elle s'arrangea si bien qu'elle rencontra dans le parc une des deux demoiselles soi-disant comtesses Palatines : elle l'aborda et la traita de telle sorte (les termes étonnants en ont été conservés) que la pauvre fille en prit une maladie dont elle mourut. Louis XIV se contenta de dire à Madame : « Il ne fait pas bon se jouer à vous sur le chapitre de votre maison; la vie en dépend. » A quoi Madame répliqua : « Je n'aime pas les impostures. » Et elle n'eut pas le moindre regret à ce qu'elle avait fait. Ce trait est caractéristique de la part d'une nature d'ailleurs essentiellement bonne. Toute passion vive devient aisément cruelle quand elle se trouve en face de l'objet qui la gêne ou qui la brave. Ici cette exécution que fit Madame lui apparaissait sous la forme rigoureuse d'un devoir d'honneur.

La vie que Madame menait à la Cour de France varia néces. sairement un peu durant les cinquante et un ans qu'elle y passa; elle n'y vivait pas tout à fait à l'âge de vingt-cinq ans

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