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instant après, une dame qu'on voulait aussi faire changer de place, se voyant trop tracassée, s'écria : Enfin vous ferez ce que vous voudrez, mais je suis du régiment de Champagne. On rit beaucoup à la cour de l'à-propos, et, depuis cette époque, cette phrase, substituée au mot trop énergique du colonel, est devenue proverbe, et exprime plus décemment la chose qu'ici on sous-entend. Plusieurs officiers français étant allés à Berlin pour faire leur cour au roi de Prusse Frédéric II, l'un d'eux parut devant le prince sans uniforme et en bas blancs. Le roi s'approcha de lui, et lui demanda son nom : Le marquis de Beaucour. De quel régiment? De Champagne. Ah oui! ce régiment où l'on se f... de l'ordre, dit Frédéric; il lui tourna le dos, et il parla ensuite aux officiers qui étaient en uniforme et en bottes.

23. Qui m'aime me suive. A la journée devant Pavie, François Ier hasarda la bataille, contre l'avis de ses généraux. Il trancha la difficulté par ces mots, devenus proverbe : Qui m'aime me suive.

24. C'est une autre paire de manches. C'était, sous le règne de Charles V, la mode de porter une espèce de tunique serrée par la taille, et qu'on nommait cotte-hardie; elle montait jusqu'au cou, descendait jusqu'aux pieds et avait la queue traînante, mais pour les personnes de distinction seulement. Outre les manches étroites de cette robe, on y avait adapté une autre paire de manches à la bombarde, lesquelles étaient fendues pour laisser passer tout l'avant-bras, et flottaient à vide jusqu'à terre. Ces secondes manches coûtaient beaucoup plus cher

que les véritables, peut-être parce qu'elles ne servaient à rien: on leur doit ce proverbe.

25. Doré comme un officier de milice. Le luxe qui régna si long-temps parmi les officiers sous le règne de Louis XV, donna lieu à ce proverbe; il était tel, qu'on ne voyait que galons, que broderies, qu'officiers dérangés, que créanciers désespérés. Le maréchal de Belle-Isle, effrayé d'un luxe aussi ruineux que déplacé, pour en arrêter les progrès, obtint une ordonnance du roi, qui voulait qu'à l'avenir les officiers ne pussent porter dans leurs garnisons d'autres habits que leurs uniformes.

26. Cher comme poivre. A l'époque où cette épice commenca à s'introduire en France, son prix élevé lui donnait une haute importance. Sa nouveauté et sa grande consommation en faisaient encore augmenter la cherté. Il entrait dans la composition des riches présens. C'était l'un des tributs que les seigneurs ecclésiastiques et séculiers imposaient quelquefois à leurs vassaux. Geoffroi, prieur du Vigeois, voulant exalter la magnificence de Guillaume, comte de Limoges, raconte qu'il en avait chez lui des tas énormes amoncelés et sans prix, comme si c'eût été du gland pour les porcs. L'échanson étant venu un jour en demander pour les sauces de la cuisine du comte, l'officier qui gardait ce dépôt si précieux prit une pelle, dit l'historien, et il en donna une pelletée entière. Quand Clotaire III fonda le monastère de Corbie, il assujétit ses domaines à payer, en outre des autres denrées, annuellement trente livres de poivre aux religieux. Roger, vicomte Beziers, ayant été assassiné par les bourgeois de

cette ville, dans une sédition qui s'y éleva en 1107, son fils, après les avoir vaincus et soumis, leur imposa, en punition et réparation de cet attentat, un tribut de trois livres de poivre à prendre annuellement sur chaque famille. A Aix en Provence, les juifs étaient obligés d'en payer, pour chacun d'eux, deux livres par an à l'archevêque.

27. Souplesse de préfet et bêtise du moniteur. Ces deux choses étaient passées en proverbe, sous le régime de Bonaparte. On prétend qu'un ministre de l'empire, recommandant à un préfet de douner quelques fêtes dans son département, ajouta plaisamment, peut-être même sans y penser: L'empereur veut qu'on s'amuse, il ne badine pas. Denys d'Halicarnasse nous apprend que Lepidus, après la conquête d'Espagne, ordonna de se réjouir, sous peine d'être proscrit. On sait que du temps de la république, d'odieuse mémoire, ceux qui ne s'amusaient pas ou qui n'avaient pas l'air de s'amuser les décadi étaient déclarés suspects. La tyrannie revêt toutes les formes.

28. Défiez-vous des gentillesses du petit homme. C'était une expression familière au prince de Condé du temps des guerres civiles, et que ce prince ne rougissait pas de faire passer en proverbe, comme ce fut véritablement.

29. Les plus hupés y sont pris. On désigne ordinairement par le mot hupés les hommes les plus habiles, les plus éminens en dignités. Il dérive du mot houpe, qui était autrefois une marque de distinction on disait alors houpé, mais le mot hupé a prévalu. La houpe était une espèce de bouquet

de soie, de plumes, de fil, ou de laine qui surmontait le bonnet des docteurs des facultés. Dans les universités d'Angleterre, notamment dans celle d'Oxford, on avait établi certaines distinctions qui n'étaient point dispensées suivant les vertus et le mérite, mais qu'une exception, qu'on ne devait pas s'attendre à trouver dans la prétendue terre classique de la liberté, attribuait à la naissance, aux dignités, aux richesses e simpre l'istesso. Ces distinctions consistaient dans la manière dont les titulaires étaient plus richement houpés. Le fils d'un membre de la chambre haute avait une houpe en or à son bonnet, les fils de chevaliers avaient seulement des houpes à graines d'épinards. Les fils des riches non qualifiés n'en portaient que de soie simple. Les écoliers entretetenus par des fondations ou des bourses n'avaient point, et n'ont pas encore, le privilége d'être décorés de la houpe.

Avec tous nos défauts nous gouvernons les hommes, même les plus hupės.

(FINETTE à ARISTE, dans le Philosophe marie.)

30. Menteur comme une gazette. Ce proverbe est de la plus grande vérité. Le mot de gazette vient du mot latin gaza, dont on a fait, par diminutif, gazetta, qui signifie petit trésor. On n'est pas encore certain quel est le peuple, des Français, des Espagnols, des Italiens ou des Anglais, qui a l'honneur de l'invention des journaux. Saint-Foix, dans ses Essais sur Paris, attribue l'origine des papiers nouvelles à un médecin nommé Renaudot, qui recueillait des nouvelles vraies ou controuvées pour charmer les

soucis de ses malades, et qui conçut l'espoir de tirer un parti plus avantageux de ces nouvelles, en agrandissant le cercle de ses connaissances sur ce sujet. Les Anglais s'attribuent également l'honneur de cette invention. Denys de Sallo, conseiller au parlement de Paris, publia en 1665 le Journal des Savans, dans lequel il accorda une grande place à la satire.

31. Se battre de la chappe à l'évêque. Ce proverbe signifie, disputer à qui appartiendra une chose qui n'est et ne peut être à aucun de ceux qui se la disputent. Il correspond à l'allemand, ums kaysers bart streiten; en voici l'origine: Quand l'archevêque de Bourges prenait possession de son archevêché, le peuple se jetait sur sa chappe (1), et la mettait en pièces, chacun s'efforçant d'en avoir quelque morceau, qu'il gardait bien précieusement. Le pape saint Grégoire blâme la conduite superstitieuse du peuple romain, qui, dans une circonstance à peu près semblable, déchirait la dalmatique (2) dont on avait couvert le corps du pape lorsqu'on le portait au tombeau et en gardait les lambeaux, comme si c'eût été de véritables reliques. C'est apparemment cette coutume qui a donné lieu au proverbe. La sainteté des premiers papes était la cause de

(1) Ornement d'église, appelé autrement pluvial. C'est un long et ample manteau qui s'agrafe par-devant, et qui se porte par l'évêque, le prêtre officiant, et durant le service

divin

(2) Autre vêtement ecclésiastique, que portent les diacres et les sous-diacres pendant la messe.

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