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» vous pouvez penser, ne manqua pas de dire, en » parlant de la T ***, que c'était pour elle que le » four chauffait. » La Voisin, la Vigoureux, femmes perdues de débauches, et un prêtre nommé Lesage, connus à Paris comme devins et tireurs d'horoscope, avaient joint à cette jonglerie le commerce secret des poisons, qu'ils appelaient poudre de succession. Ils ne manquèrent pas, pour donner le change à la justice, et dans l'espoir de se sauver en compromettant un nombre infini de personnes puissantes, d'accuser tous ceux qui étaient venus à eux pour une chose d'y avoir recouru pour l'autre. C'est ainsi que le maréchal de Luxembourg fut sérieusement compromis par son intendant Bonnard, qui avait fait chez Lesage une extravagante conjuration pour retrouver des papiers perdus. Le vindicatif Louvois saisit cette occasion pour lui susciter des embarras et pour le perdre.

49. Faire le prêtre Martin. Vieux proverbe. C'est chanter d'un côté, et puis passer de l'autre pour se répondre. Cicéron a à peu près la même pensée dans son oraison pro Murena. En parlant contre les jurisconsultes qui avaient introduit des formes singulières et inusitées pour procéder en jugement, afin qu'on cût absolument besoin de leur ministère, il disait qu'après avoir fait la demande en la forme déterminée arbitrairement par eux, ils s'arrangaient tellement qu'il n'y eût absolument qu'eux qui pussent faire la réplique. Il se moque ainsi de leur procédure : Transit idem jurisconsultus tibicinis latini modo, l'avocat procède comme l'ancien joueur de flute latin; par allusion

à la manière des anciens Romains, qui, encore grossiers et peu avancés dans les arts, n'avaient dans leurs jeux scéniques qu'un seul joueur de flûte, qui réglait à la fois la voix et le geste de tous les acteurs, auxquels il passait successivement de l'un à l'autre pour lui souffler son rôle. Horace donne un exemple de la simplicité de l'ancienne musique de son pays dans l'Art poétique, vers 202:

Tibia non ut nunc orichalco vincta, tubæque

Emula.

« Autrefois la flûte n'était point allongée par le secours du laiton, pour imiter la trompette guerrière.

D

50. Écorcher le français; c'est-à-dire le mal parler. Louis XV, toujours engoué de la marquise de Pompadour, disait un jour au dauphin que cette dame parlait parfaitement l'allemand. Oui, sire, lui dit le prince, mais on trouve qu'elle écorche furieusement le français. Ce bon mot proverbial lui valut l'exil à Meudon. Il y avait quelque peu d'injustice dans cette repartie. Madame de Pompadour ne fut jamais accusée d'une excessive cupidité; elle faisait même tourner au profit des arts et des sciences les générosités de son royal amant; et si jamais Louis XV n'eût écouté de plus mauvais conseils que ceux qu'elle lui donnait, il s'en serait quelquefois mieux trouvé pour sa gloire et pour le bien de l'État. Mais le bon mot du dauphin trouve son excuse dans l'éloignement qu'un prince de mœurs assez austères devait avoir pour une favorite tirée par le roi d'un état approchant de la médiocrité, et parvenue du rang de la bourgeoisie au sommet des honneurs et du pouvoir.

51. Quand les loups entrent dans la bergerie, doiton trouver mauvais que le berger se serve de chiens. La première alliance que nos rois contractèrent avec l'empire ottoman, est celle que François Ier fit avec Soliman II, et qui fut trouvée si avantageuse, que les rélations d'amitié entre la France et la Turquie ont toujours subsisté depuis. Cette première alliance avec la Porte ottomane donna lieu à de violentes invectives contre les contractans de la part des partisans de Charles-Quint et des ennemis de la France, qui répandirent dans toute l'Europe le fiel de leurs calomnies: ce qui fit dire à François I, outragé, ces paroles remarquables qui sont devenues proverbe.

52. Guerre sans feu ne vaut pas mieux qu'andouille sans moutarde. C'est un propos trivial, mais bien cruel pour la circonstance qui le fit proférer à Henri V, roi d'Angleterre, à la suite de l'ordre barbare qu'il donna d'égorger et mitrailler les prisonniers français à la funeste bataille d'Azincour. Les habitans de Paris se plaignaient à lui que ses troupes ravageaient et incendiaient les environs de cette ville. C'est une usance de guerre, leur répondit encore ce prince féroce, guerre sans feu ne vaut pas mieux qu'andouille sans moutarde ce qui est devenu proverbe.

53. Trancher la nappe. Du temps de l'ancienne chevalerie, il régnait un usage bien singulier dans les banquets, c'était de couper la nappe devant ceux à qui l'on voulait faire un affront et un reproche de lâcheté. Cet usage est confirmé par plusieurs faits consignés dans notre histoire, et entre

autres par celui-ci : Charles VI avait à sa table, le jour de l'Epiphanie, plusieurs convives illustres, entres lesquels se trouvait Guillaume de Hainaut, comte d'Ostrevant; tout-à-coup un hérault vint trancher la nappe devant le comte, en lui disant qu'un prince qui ne portait point d'armes n'était pas digne de manger à la table du roi. Guillaume, surpris, répondit qu'il portait le heaume, la lance et l'écu, ainsi que les autres chevaliers. Non, sire, cela ne se peut, reprit le plus âgé des héraults; vous savez que votre grand-oncle a été tué par les Frisons, et que jusqu'à ce jour sa mort est restée impunie. Certes, si vous possédiez des armes, il y a long-temps qu'elle serait vengée. Cette terrible leçon opéra son effet. Depuis ce moment, le comte ne songea plus qu'à réparer sa honte, et il en vint

bientôt à bout.

54. Il est dans ses vapeurs. Les vapeurs sont une véritable maladie corporelle, venant de l'agitation générale du système nerveux; mais bien plus souvent elles sont une véritable maladie de l'imagination, qui donne à toute l'existence d'un individu, un vague douloureux, une langueur vraiment insupportable, autant à soi qu'aux autres, et qui profite plus aux médecins qu'à ceux qui en sont affectés. C'était la fureur des deux derniers siècles d'avoir cette maladie morale. « C'est un mal aujourd'hui qui attaque beaucoup de gens, » disait Molière dans le Mariage forcé. Chacun semblait se l'inoculer de proche en proche tant la mode est puissante chez les Français, et surtout chez le beau sexe. On disait madame a ses vapeurs, comme on

aurait dit toute autre chose indifférente. Falconnet, médecin célèbre, fut mandé auprès d'une dame qui, ne pouvant lui rendre compte de la maladie, lui dit qu'elle mangeait, buvait et dormait bien. Oh! laissez faire, lui dit Falconnet, je vous donnerai des médecines qui vous ôteront tout cela. Mais ce qu'il y a de plus incroyable, c'est que ce mal avait gagné un sexe que la force de sa constitution semblait devoir en garantir. Alors on pouvait dire, sans outrer le ridicule, monsieur un tel est dans ses vapeurs. Il ne manque pasen France de petits-maîtres qui prennent le parti d'avoir des vapeurs; mais aujourd'hui les vapeurs sont devenues l'apanage particulier et inaliénable de certains tenanciers de grosses sinécures qui sont payés pour ne rien faire, ou qui n'ont d'autre chose à faire que d'être travaillés des hypocondres. C'est le fruit des grands dîners et des mauvaises digestions. Malheur au public! Il ne peut certes se prémunir contre les vapeurs d'un homme en place, qui se moque de lui, pourvu que son revenu ne soit point arriéré.

Du vaporeux Dorlis que je plains l'existence,
Le ciel a pris plaisir à combler tous ses vœux:
Ce favori du sort nage dans l'opulence,

Et malgré son bonheur Dorlis est malheureux.

55. Gare la queue des Allemands! Cela se dit pour rallentir l'ardeur de ceux qui, en embrassant une querelle, ne calculent pas souvent les suites fâcheuses qu'elle peut avoir pour eux. Ce dicton assez commun doit son origine à une ancienne coutume qui n'est pas même encore tout-à-fait éteinte en Allemagne, où le point d'honneur est un article fort chatouilleux. Lorsque deux personnes

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