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quelles règles sont les principes de la géométrie et de la mécanique, j'ai jugé qu'il fallait nécessairement que toute la connaissance que les hommes peuvent avoir de la nature fût tirée de cela seul, pour ce que toutes les autres notions que nous avons des choses sensibles, étant obscures et confuses, ne peuvent servir à nous donner la connaissance d'aucune chose hors de nous, mais plutôt la peuvent empêcher. » (Princip., III, 518.)

La physique ainsi engendrée par la méthode est un système d'idées claires, qui se tient, et se suffit à luimême, comme les mathématiques. Mais Descartes était né métaphysicien, et la conception qu'il se faisait de la philosophie, - la science une et universelle, exigeait qu'il rattachât la physique à la métaphysique, le monde à Dieu. On trouvera exposée dans le Commentaire, pages 108 et suivantes, la façon un peu artificielle dont s'opère ce rattachement. La sincérité de Descartes n'est pas douteuse. Mais à considérer son système en luimême, et la dernière expression qu'il en a donnée dans les Principes, on est conduit à cette conclusion que la physique, comme les mathématiques, dérive logiquement de la méthode et que c'est après coup et dans une intention métaphysique, que Descartes l'a reliée à l'idée de Dieu.

LES PRINCIPES

DE

LA PHILOSOPHIE

A LA SÉRÉNISSIME PRINCESSE

ÉLISABETH,

PREMIÈRE FILLE DE FRÉDÉRIC, ROI DE BOHÊME, COMTE PALATIN
ET PRINCE ÉLECTEUR DE L'EMPIRE.

Madame,

Le plus grand avantage que j'aie reçu des écrits que j'ai ci-devant publiés a été qu'à leur occasion j'ai eu l'honneur d'être connu de votre altesse, et. de lui pouvoir quelquefois parler, ce qui m'a procuré le bonheur de remarquer en elle des qualités si rares et si estimables que je crois que c'est rendre service au public de les proposer à la postérité pour exemple. J'aurais mau

vaise grâce à vouloir flatter, ou bien à écrire des choses dont je n'aurais point de connaissance certaine, principalement aux premières pages de ce livre, dans lequel je tâcherai de mettre les principes de toutes les vérités que l'esprit humain peut savoir. Et la généreuse modestie que l'on voit reluire en toutes les actions de votre altesse m'assure que les discours simples et francs d'un homme qui n'écrit que ce qu'il croit, lui seront plus agréables que ne seraient des louanges ornées de termes pompeux et recherchés par ceux qui ont étudié l'art des compliments. C'est pourquoi je ne mettrai rien en cette lettre dont l'expérience et la raison ne m'aient rendu certain; et j'y écrirai en philosophe ainsi que dans le reste du livre. Il y a bien de la différence entre les vraies vertus et celles qui ne sont qu'apparentes, et il y en a aussi beaucoup entre les vraies qui procèdent d'une exacte connaissance de la vérité et celles qui sont accompagnées d'ignorance ou d'erreur. Les vertus que je nomme apparentes ne sont, à proprement parler, que des vices qui, n'étant pas si fréquents que d'autes vices qui leur sont contraires, ont coutume d'être plus estimés que les vertus qui consistent en la médiocrité, dont ces vices opposés sont les excès. Ainsi, à cause qu'il y a bien plus de personnes qui craignent trop les dangers qu'il n'y en a qui les craignent trop peu, on prend souvent la témérité pour une vertu; et elle éclate bien plus aux occasions que ne fait le vrai courage. Ainsi les prodigues ont coutume d'être plus loués que les libéraux; et ceux qui sont véritablement gens de bien n'acquièrent point tant la réputation d'être dévots que font les superstitieux et les hypocrites. Pour ce qui est des vraies vertus, elles ne viennent pas toutes d'une vraie connaissance, mais il y en a qui naissent aussi quelquefois du défaut ou de l'erreur; ainsi la simplicité est souvent la cause de la

bonté, souvent la peur donne de la dévotion et le désespoir du courage. Or les vertus qui sont ainsi accompagnées de quelque imperfection sont différentes entre elles, et on leur a aussi donné divers noms. Mais celles qui sont si pures et si parfaites qu'elles ne viennent que de la seule connaissance du bien sont toutes de même nature, et peuvent être comprises sous le seul nom de la sagesse. Car quiconque a une volonté ferme et constante d'user toujours de sa raison le mieux qu'il est en son pouvoir, et de faire en toutes ses actions ce qu'il juge être le meilleur, est véritablement sage autant que sa nature permet qu'il le soit; et par cela seul il est juste, courageux, modéré, et a toutes les autres vertus, mais tellement jointes ensemble qu'il n'y en a aucune qui paraisse plus que les autres; c'est pourquoi, encore qu'elles soient beaucoup plus parfaites que celles que le mélange de quelque défaut fait éclater, toutefois, à cause que le commun des hommes les remarque moins, on n'a pas coutume de leur donner tant de louanges1. Outre cela, de deux choses qui sont requises à la sagesse ainsi décrite, à savoir que l'entendement connaisse tout ce qui est bien et que la volonté soit toujours disposée à le suivre, il n'y a que celle qui consiste en la volonté que tous les hommes puissent également avoir, d'autant que l'entendement de quelques-uns n'est pas si bon que celui

1. Dans ce passage d'une concision extrême, Descartes distingue entre les vertus apparentes et les vraies, et dans ces dernières, entre celles qui procèdent d'une exacte connaissance de la vérité, et celles qui sont accompagnées d'ignorance et d'erreur. Les vertus apparentes sont des vices que le vulgaire prend pour des vertus, comme la témérité, la prodigalité. Parmi les vertus vraies, il en est qui naissent parfois du défaut ou de l'erreur: ainsi la simplicité peut être une cause de bonté; le désespoir, une cause de courage. Les vertus parfaites viennent de la connaissance du bien. Pour Descartes, le bien n'est pas distinct du vrai. « Notre volonté ne se portant à suivre et à fuir aucune chose que selon que notre enten

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