57. Les exemples puisés dans notre législation même prouvent la juste distinction qui existe réellement entre la juridiction et la compétence. En un mot, la juridiction est la même pour tous les tribunaux d'une même classe ; la compétence diffère sans que la juridiction varie. 58. L'administration de la justice, dont nous avons parlé au chapitre deux du titre second, a, suivant la nature des choses, deux objets absolument distincts : Ou, comme nous l'avons dit, elle applique la loi pénale aux infractions que cette loi réprime; ou elle applique la loi purement civile aux réclamations formées par les justiciables dans leur intérêt privé, afin d'obtenir, de conserver ou de recouvrer la jouissance des droits que cette même loi leur garantit. De là naît la distinction déjà indiquée de la justice civile et de la justice criminelle; distinction plus ou moins marquée dans la législation des dif férens peuples; mais, en France, les lois de compétence qui concernent l'exercice des deux juridictions sont absolument séparées, et cependant il n'en existe pas moins des règles générales qui sont applicables, sauf quelques exceptions, tant aux matières civiles qu'aux matières criminelles. naires, les tribunaux de commerce forment une juridiction exceptionnelle à leur égard, et on doit appliquer à ceux-ci la définition que donne Heineccius de cette juridiction: extraordinària juridictio est ea quæ non, nisi certis magistratibus, speciali lege defertur. (Ad Pandect., lib. 11, tit. 1, n° 251.) CHAPITRE III. Règles de la compétence, communes aux matières civiles et criminelles. 59. Un juge ne peut exercer ses fonctions audelà des limites de l'arrondissement qui lui est assigné judici extrà territorium jus dicenti impunè non paretur, dit la loi romaine. 60. Tout objet soumis à l'autorité judiciaire doit être porté d'abord devant un juge de première instance, et ne peut parvenir à un juge supérieur qu'après décision du premier, à moins que la loi n'ait formellement déclaré que l'action sera jugée définitivement et sans recours dans le premier degré de juridiction (a). De là résulte la distinction de la compétence en premier et dernier ressort; c'est-à-dire le pouvoir (a) La compétence en premier et dernier ressort est fondée sur l'intérêt du plaideur, qui n'a rien gagné réellement même en gagnant la cause, lorsqu'il a plaidé par appel pour un petit intérêt, s'il calcule ce qu'il lui en a coûté en perte de temps, en dépenses de déplacement et en faux frais de procédure. Pour décider sainement si l'appel doit être permis ou non en toute affaire, il ne faut donc pas considérer ce que l'objet du procès peut valoir, relativement à celui qui plaide, mais ce qu'il vaut en lui-même, et si cet objet pourrait, sans se trouver absorbé, supporter le déchet inévitable qu'il éprouverait par l'effet corrosif d'un appel. (THOURET, discours prononcé lors de la discussion de la loi sur l'organisation judiciaire, décrétée en 1790, à la séance du 24 mars.) qu'exerce un même tribunal de statuer sans appel ou à la charge de l'appel. 61. Le juge régulièrement saisi d'une contestation ne peut, à moins qu'il n'ait motivé et déclaré son incompétence, refuser de statuer sur cette contestation sans se rendre coupable de déni de justice (a). 62. Il doit conserver la connaissance de l'affaire, nonobstant tout changement apporté par une loi postérieure à l'action intentée, soit dans la condition ou le domicile des parties, soit même dans les lois qui avaient réglé la compétence (b). 63. Il ne peut exercer son ministère que sur le réquisitoire d'une partie (c) et doit statuer sur toutes les conclusions prises par elle ou par son adversaire, sans omettre aucun des chefs qui y sont consignés. Réciproquement, il ne peut donner aucune dé (a) C'est ce qui résulte du principe posé plus haut, que le juge ne peut refuser de juger sous le prétexte de l'insuffisance ou du silence de la loi. (Voyez liv. prélim., tit. 2o, 8e proposition, page 25.) (b) Le motif de cette disposition est tiré de ce que c'est la demande qui détermine la compétence du juge; autrement on conçoit qu'il dépendrait d'une partie, suivant les chances de succès qu'elle aurait, de se donner d'autres juges, par exemple, en changeant de domicile. Les Romains avaient admis le même principe: causæ conjectio fiebat à litigatoribus qui, quum ad judicium venissent, antequam ageretur causa, rem per indicem exponebant, et causam in breve suam cogebant. (c) C'est une conséquence du principe rappelé ci-dessus, que les juges ne peuvent statuer par voie de disposition générale ou réglémentaire, mais seulement et spécialement sur les causes qui leur sont soumises. (Voyez livre prélim., tit. 2, 8 proposition.) cision sur un point qui ne lui eût expres pas été sément soumis par ces mêmes conclusions (a). 64. Il ne peut ni réformer ni modifier la décision qu'il a prononcée; il n'a que la faculté de réparer des omissions ou des erreurs de fait, pourvu toutefois que les rectifications ne changent rien au dispositif et n'en soient que des explications (b). 65. Il ne peut encore sous aucun prétexte déléguer sa juridiction, c'est-à-dire commettre un autre juge pour statuer à sa place sur la contestation qui lui a été soumise; il n'a que la faculté de donner commission pour des actes d'instruction, ou pour des opérations qui seraient à faire dans un lieu trop éloigné. (a) Aussi l'art. 480 du Code de procédure met-il au nombre des causes d'ouverture à requêté civile, ainsi que nous le verrons ci-après, les cas où il a été prononcé sur choses non demandées, où il a été adjugé plus qu'il n'avait été demandé, où enfin il a été omis de prononcer sur l'un des chefs de demande. (b) Judex posteaquam sententiam dixit judex esse desinit : ex hoc jure utimur, ut judex qui semel, vel pluribus vel minoribus condemnavit, amplius corrigere sententiam suam non possit; semel enim male seu bene officio functus est. (L. 55, ff., de re judicata.) Quant à la réparation des omissions ou des erreurs de fait, postérieure au prononcé du jugement, elle ne peut s'étendre jusqu'à pouvoir ajouter ou retrancher aux motifs qui ont déterminé le dispositif, parce que tout jugement est acquis aux parties dans les termes où il a été prononcé, dès le moment de sa prononciation, et parce que, comme l'a dit la cour de cassation, les motifs sont de l'essence des arrêts et jugemens. (Arrêt du 25 avril 1829; DALLOZ, 1829, 1re part., pag. 225.) Cependant on peut ressaissir le tribunal ou la cour qui a prononcé le jugement ou l'arrêt en interprétation de cette décision, lorsque l'une de ses dispositions n'est pas suffisamment claire ou explicite; mais sous ce prétexte on ne pourrait arriver à en faire modifier la substance. C'est encore ce qu'a décidé la cour de cassation par arrêt du 4 décembre 1822 66. Il peut, pourvu qu'il soit compétent à raison de la matière, connaître des exceptions contre la demande, et des demandes incidentes connexes à cette demande que l'on appelle principale (a). 67. Tout tribunal est compétent pour ordonner les mesures nécessaires à l'instruction des affaires qu'il a pouvoir de juger (b). 68. Enfin, tout tribunal a la police de ses audiences, et peut infliger à ceux qui les troublent les peines prononcées par la loi. Néanmoins si le fait était de nature à être réputé crime, il devrait en renvoyer l'auteur devant le juge criminel, seul compétent pour prononcer sur les infractions de ce genre (c). 69. Ces règles générales posées, nous avons à (a) M. Carré dit : pourvu que le juge soit compétent à raison de la matière, parce que, lors même qu'il s'agirait d'une demande incidente à la question principale, si cette demande avait pour objet une matière qui ne fût pas de la compétence du tribunal saisi, celui-ci ne pourrait en connaître, et si le jugement de cette demande était nécessaire pour décider la question principale, il devrait préalablement renvoyer devant le juge compétent pour l'examen de la demande incidente, et suspendre son jugement sur les questions principales jusqu'après celui de l'incident. (b) Cui jurisdictio data est, ea quoque concessa esse videntur sine quibus ́ jurisdictio explicari non potest. (L. 2, ff., de jurisdict.) (c) Cette règle que tout tribunal a la police de ses audiences est cependant soumise elle-même aux principes de compétence à raison de la matière. Ainsi un tribunal de paix ne peut juger que les faits qui n'entraîneraient que des peines de police (art. 10 et 11 du Code de procédure civile); et lorsque la sanction pénale est plus grave, il doit renvoyer la connaissance du fait, après l'avoir constaté par procès-verbal, au tribunal compétent. De même les tribunaux de première instance ne prononcent que sur les actes qualifiés contraventions ou délits, et renvoient l'instruction des autres au juge compétent. (Art. 90, 91 et 92 du Code de procédure civile.) |