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pas à se dédire. Personnellement, Urbain VIII inclinait pour les péripatéticiens : « J'ai reçu ici, dit Galilée dans une de ses lettres1, toute sorte « d'accueil et de faveurs. J'ai eu jusqu'à six audiences du pape, où je « suis entré chaque fois avec lui dans de longs raisonnements... On m'a «gratifié d'un beau tableau, de deux médailles, une d'argent, une d'or, « avec force agnus Dei. » Quant à la prohibition qui lui tenait au cœur, il vit clairement qu'elle était considérée comme une mesure de prudence ecclésiastique, sur laquelle on n'était pas disposé à revenir. Les plus modérés lui accordaient que ces spéculations scientifiques ne doivent pas être mises en opposition avec l'Écriture; et, ajoute-t-il, « quant à déci<< der de quel côté est le vrai, et le non vrai, le P. Mostro (le P. Prodige 2) « n'adhère ni au système de Copernic, ni à celui de Ptolémée; mais il se « tranquillise par un procédé à lui, qui est tout à fait commode. C'est de « mettre des anges, qui, sans aucune difficulté ni embarras quelconque, << font mouvoir les astres comme ils vont, et nous n'avons rien de plus « à y voir. >>

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On maintint donc en vigueur le décret de 1616, par lequel il était défendu de soutenir que le soleil est fixe au centre du monde, et que la terre tourne sur elle-même, en circulant autour de lui. Un siècle plus tard, le progrès de la science astronomique l'avait fait tomber dans l'oubli et mis hors d'usage. Sans avoir été ostensiblement révoqué, il fut annulé virtuellement par le sage Benoît XIV, qui l'effaça des registres de la congrégation de l'Index3.

Mais la conviction de Galilée était trop profonde, et son génie trop impatient de la vérité, pour ne pas continuer de défendre l'une et l'autre à ses risques et périls. Croyant s'abriter assez sous le voile d'un zèle religieux, dont le déguisement ne pouvait tromper personne, il composa ses fameux dialogues, où il discute comparativement le système de Ptolémée et celui de Copernic, dans l'intention, dit-il, de montrer aux étrangers que l'édit salutaire, qui prohibe ce dernier, n'a pas été rendu, à Rome, sans une parfaite connaissance du sujet. Le premier paragraphe

1 Écrite de Rome le 8 juin 1624. F, t. VI, p. 295-296. -On appelait ainsi, communément, le P. Nicolo Riccardi dominicain; ce surnom de Mostro lui ayant été donné par le roi d'Espagne à cause de sa prodigieuse éloquence. F, t. VI, p. 236, note. Il devint plus tard maître du sacré palais, et, à ce titre, un des réviseurs des livres imprimés. Ce fut pendant qu'il occupait ce poste, que Galilée eut l'adresse de se faire délivrer par lui la permission d'imprimer les Dialogues, permission dont il se prévalut pour les faire imprimer à Florence, quoiqu'elle ne fût légalement valable que pour Rome. Aussi, après le procès et la condamnation de Galilée, le bon P. Mostro fut-il rudement disgracié par Urbain VIII pour s'être laissé ainsi surprendre. — V, t. I, p. 174.

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de sa préface, où il s'attribue ce rôle de défenseur, est une moquerie fort transparente. J'ai donné, dans sa biographie, une analyse succincte de ce remarquable ouvrage. J'ai raconté par quels détours il s'en procura une approbation de Rome; de quels prétextes il s'appuya ensuite pour le faire imprimer à Florence, avec l'autorisation des inquisiteurs locaux; les colères que cette publication excita, le procès qu'elle lui attira, et la condamnation qui en fut la dernière conséquence. C'est particulièrement sur ces derniers points, que je me propose d'entrer aujourd'hui dans de nouveaux détails. Ils n'offriront pas seulement l'intérêt qui s'attache au malheur d'un grand homme; on y verra aussi un tableau de mœurs, bien différentes de celles d'aujourd'hui.

(La suite à un prochain cahier.)

J. B. BIOT.

ANCIEN THÉÂTRE FRANÇOIS, ou Collection des ouvrages dramatiques les plus remarquables, depuis les mystères jusqu'à Corneille, publié avec des notes et éclaircissements. Paris, P. Jannet, 1854-1857, 10 vol. in-18. (Bibliothèque elzévirienne.)

TROISIÈME ARTICLE 1.

On a pu voir, dans le précédent article, que les étudiants de nos grandes écoles, soit de Paris, soit des provinces, ont été, avec les ménestrels du xir et du xi° siècle, les principaux créateurs de la comédie en France. Nous avons montré ensuite comment, au milieu du siècle suivant, les jeunes clercs du Palais, sous le nom de clercs de la Basoche, s'isolèrent des autres étudiants et se firent des jeux à part, plus en rapport avec leur future position. Un peu après, une autre colonie comique se détacha, à son tour, de la mère patrie. Vers le milieu du règne de Charles VI, de joyeux compagnons se réunirent dans plusieurs villes en confréries de Sots, sociétés de plaisir fort à la mode et dont la plus célèbre, celle de Paris, donna à ses membres le nom d'Enfants ou de Gallands

1

Voyez, pour le premier article, le cahier d'avril, page 201; et, pour le deuxième, celui de mai, page 265.

sans souci. Nous rechercherons tout à l'heure, comme nous l'avons fait pour la Basoche, ce qui, parmi les farces de la Bibliothèque elzévirienne, forme le contingent de cette compagnie. Mais, tout en suivant avec curiosité les développements que prirent les divers rejetons de l'Université, il ne serait pas juste d'oublier la maîtresse branche ou plutôt la souche elle-même. En effet, malgré les succès des deux sociétés nouvelles, les jeux scéniques purement d'école ne furent pas interrompus. Pendant qu'à la fête des Rois, au mardi gras, le jour de la plantation du Mai et de la montre générale, les Basochiens donnaient l'essor à leur verve caustique et bouffonne, sur la table de marbre ou dans la cour du Palais; pendant que les Enfants sans souci, avant d'être introduits par les confrères de la Passion dans la salle de l'Hôpital de la Trinité, attiraient la foule aux piliers des halles, les écoliers ou gentils enfants de Paris n'en continuaient pas moins d'égayer de leurs espiégleries dramatiques, souvent censurées et quelquefois sévèrement punies par leurs supérieurs, la Saint-Nicolas, la Sainte-Catherine et quelques autres solennités scolaires, soit dans l'intérieur des colléges, soit dans l'enceinte moins surveillée du Pré-aux-Clercs, ou même sur le tumultueux champ de foire du Landit. Nous croyons donc, avant d'aller plus loin, devoir rechercher, parmi les pièces du nouveau recueil, celles qui portent, avec le plus d'évidence, l'empreinte d'une origine particulièrement universitaire.

Le premier caractère qui distingue ce genre de farces est, comme nous l'avons dit, et comme leur nom l'indique, d'être farcies de passages latins. Or, tandis que la Basoche jouait de préférence avec les textes du Digeste, les Artiens, comme on appelait les étudiants de la Faculté des arts, tiraient plus volontiers leurs citations des philosophes, des grammairiens, des rhéteurs de l'antiquité, et alléguaient pour l'ordinaire Platon, Aristote, Caton et Boëce. Un autre signe nous permet de les reconnaître, avec encore plus de certitude. C'est leur hostilité habituelle contre une certaine partie du clergé, et plus spécialement contre les ordres mendiants, Jacobins et Franciscains, qui ne donnaient alors par leur turbulence, leur ambition et leurs richesses, que trop de prise à la satire.

Nous signalerons d'abord, comme appartenant au répertoire des écoles, le Sermon joyeux de bien boyre. Ce n'est qu'un simple jeu-parti, sans aucune action, un débat entre un soi-disant prescheur, qui, à grand renfort de textes sacrés et profanes, fait l'éloge de la bombance et de l'orgie, et ung cuysinier que la faconde de l'impudent videur de pots scandalise. D'ailleurs, sous son masque et son habit d'emprunt, on reconnaît

Anc. th. t. II, p. 5 et suiv.

aisément l'allure cavalière et l'accent tapageur de l'étudiant émérite, plus habitué à fréquenter les tavernes que les salles de la rue du Fouare:

Quant j'ay vin a mon appetit,

Je me y porte aussi vaillant
Que fist Olivier et Rollant

En bataille, qu'ilz firent oncques.

Comme une sorte de pendant au Sermon joyeux, nous citerons une autre petite pièce de même origine, mais plus piquante que la première. Cette fois, le débat a lieu entre un pardonneur et un triaclear1, c'est-àdire entre un charlatan vendeur de thériaque, et un colporteur de fausses indulgences et de fausses reliques. Les deux rivaux exposent leurs denrées sur le même champ de foire, et se disputent, de toute la force de leurs poumons, l'attention et l'argent de la foule.

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Cependant, les deux fripons s'aperçoivent qu'ils ne font nuire, et, suivant le proverbe,

Que deux coquins (mendiants) ne vallent rien.
A un huys,

que s'entre

ils s'accordent donc, et vont signer la paix dans un cabaret voisin, où le soi-disant pardonneur trouve moyen de ne pas payer son écot, en laissant en gage à l'hôtesse un précieux coffret, qui ne contient que de vieilles nippes.

On ne peut douter que la farce du Coasturier et d'Esopet, son malicieux apprenti1, ne soit due aux écoles de Paris. A défaut du nom véritable de l'auteur, l'adieu qui la termine nous fait connaître sa profession : « C'est <«< Esopet (l'acteur probablement qui venait de jouer le rôle de l'apprenti), « le somuliste de Navarre. » Mais qu'était-ce qu'un somuliste? Du Cange dit dans son Glossaire qu'on appelait summulista les jeunes gens qui passaient de la grammaire et de la rhétorique à la philosophie. Je suis porté à croire que l'on donnait le même nom au maître ou au sousmaître chargé d'expliquer les Summulæ, c'est-à-dire, suivant le même critique, les Compendia philosophica, aux commençants. Dans les deux cas, il est certain que la farce du Cousturier est l'œuvre d'un écolier ou d'un jeune maître du collège de Navarre. Le sujet de la pièce est la vengeance assez plaisante que le malin Esopet tire de la lésine et de la gourmandise de son patron, qu'il fait battre à plate couture par deux de ses pratiques (un gentilhomme et une chambrière), à peu près comme, dans le Médecin malgré lui, Martine fait fustiger le pauvre fagotier.

Nous plaçons, sans hésiter, dans la même catégorie la farce de Frère Guillebert, bouffonnerie fort libre, où l'on s'égaye aux dépens des Franciscains2; celle de Pernet qui va l'escolle3 et d'Ung qui se faict examiner pour estre prebstre1. Nous ne possédons malheureusement de ces deux dernières que des textes défigurés par les bateleurs ambulants. L'une d'elles avait déjà été publiée dans le recueil de Techener, mais sur une copie encore plus défectueuse que celle du volume de Londres. Les nouveaux éditeurs pensent que ces deux farces sont la suite l'une de l'autre. Ils supposent que Pernet, après avoir été à l'école, où il n'a rien appris, se fait

1 Anc. th. t. II, p. 158 et suivantes. 1 Ibid. t. I, p. 305 et suivantes. Cette pièce est signée dans l'adieu final, «Le jeune clergié de Meulleurs, c'est-à-dire, le jeune clerc des écoles de Meulleurs. J'ignore quel est ce lieu, probablement mal écrit. Au-dessous de ces mots, on lit: M. P. V. qu'il faut peut-être lire M. D. V. (1505.) Ibid. t. II, p. 360 et suivantes. Ibid. t. II, p. 373 et sui—

vantes.

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