qui remplit toute la première moitié; et presque toute l'autre moitié est consacrée, sous prétexte de M. Bergeret, secrétaire du Cabinet, à célébrer Louis XIV, ses guerres, ses conquêtes, le triomphe de sa diplomatie impérieuse : « Heureux, disait en terminant Racine (et cette péroraison n'est pas la plus délicate partie de son Discours), heureux ceux qui, comme vous, Monsieur, ont l'honneur d'approcher de près ce grand prince, et qui, après l'avoir contemplé, avec le reste du monde, dans ces importantes occasions où il fait le destin de toute la terre, peuvent encore le contempler dans son particulier, et l'étudier dans les moindres actions de sa vie, non moins grand, non moins héros, non moins admirable, que plein d'équité, plein d'humanité, toujours tranquille, toujours maître de lui, sans inégalité, sans faiblesse, et enfin le plus sage et le plus parfait de tous les hommes! >> Cette harangue fut prononcée le 2 janvier 1685; et le vendredi 5, à Versailles, on lit dans le Journal de Dangeau « Le roi ne fit point les Rois, il soupa en famille à l'ordinaire; mais, après souper, il fit porter un gâteau chez madame de Montespan. Le matin il se fit réciter par Racine la harangue qu'il avait faite à l'Académie le jour de la réception de Bergeret et du jeune Corneille, et les courtisans trouvèrent la harangue aussi belle qu'elle avait été trouvée belle à l'Académie. Racine la récita dans le cabinet du roi. » Ces éloges à plein visage n'embarrassaient jamais Louis XIV: il était comme le soleil et ne s'éblouissait pas lui-même. Le mardi 20 mars, à Versailles, on lit dans le même Journal: << Madame la Dauphine fit dire dans son cabinet à Racine la harangue qu'il fit à la réception de Corneille et de Bergeret. >> Ce moment est celui de Racine et de Despréaux tout à fait établis en cour et sur le pied d'historiographes : le 31 décembre, veille du jour de l'an 1685, madame de Montespan fit présent au roi, le soir après souper, d'un livre relié d'or et plein de tableaux de miniature, qui sont toutes les villes de Hollande que le roi prit en 1672. Ce livre lui coûte quatre mille pistoles, à ce qu'elle nous dit. Racine et Despréaux en ont fait tous les discours et y ont joint un Éloge historique de Sa Majesté. Ce sont les étrennes que madame de Montespan donne au roi. On ne saurait rien voir de plus riche, de mieux travaillé et de plus agréable. » Il serait curieux de retrouver ce volume, ce magnifique keepsake en l'honneur de Louis XIV, maintenant surtout qu'on sait à qui l'on en devait le texte et les explications. J'ai nommé madame de Montespan: on ne peut s'empêcher de remarquer, chez Dangeau, de quelle sorte et dans quelle nuance fut sa rupture avec Louis XIV; il y aurait eu pour un provincial de quoi s'y méprendre. Longtemps encore après l'installation intime et sous le règne réel de madame de Maintenon, madame de Montespan avait le même pied et quelque chose de la même attitude en cour. Ainsi il est dit comme indifféremment à la date du mardi 21 septembre 1688, à Versailles : << Le roi en sortant de la messe alla chez madame de Montespan à son ordinaire. Il lui dit qu'il donnait à M. le duc du Maine la charge de général des galères, etc. » Ainsi encore, à la date du samedi 28 février 1690 « Le roi après son dîner à Marly y joua aux portiques et au lansquenet jusqu'à six heures. Madame de Montespan y vint passer l'après-dîner et joua avec le roi. » La retraite et la chute de madame de Montespan était donc imposante encore, et digne, sinon menaçante. Les dehors étaient observés. C'est chez madame de Montespan, le mercredi 16 mai 1685, à Versailles, que Quinault apporte et montre au roi trois livres ou libretti d'opéra « pour cet hiver, nous dit Dangeau l'un était Malaric, fils d'Hercule; le second Céphale et Procris; le troisième Armide et Renaud. Le roi les trouva tous trois à son gré, et choisit celui d'Armide. » Racine et Despréaux écrivent l'Histoire du roi ; le monarque s'y intéresse; dans les loisirs auxquels l'oblige sa convalescence après l'opération qu'il eut à subir, il s'en fait lire des passages : « Mercredi 20 mars 1686, à Versailles. Le roi se porte toujours de mieux en mieux; il s'est fait lire, dans ses dernières après-dînées, l'Histoire que font Racine et Despréaux, et en paraît fort content. Monseigneur a couru le loup, etc. » Le 22 avril 1688, le roi témoigne sa satisfaction aux deux historiens par une gratification de 1,000 pistoles à chacun. Des pièces de Raciné qui sont de sa première manière, Dangeau nous apprend laquelle Louis XIV préférait : « Le soir (dimanche 5 novembre 1684, à Fontainebleau), il y eut comédie française; le roi y vint, et l'on choisit Mithridate, parce que c'est la comédie qui lui plaît le plus. » Mais quand Racine eut fait Esther, ce fut certainement la pièce de prédilection de Louis XIV, si l'on en juge par le nombre de fois qu'il y assista. Dangeau n'en omet aucune, et il nous dit aussi quel jour Racine eut la faveur si recherchée d'un Marly: « Le roi a fait venir ici M. Racine à ce voyage-ci (28 septembre 1689), et lui a donné une chambre. » Venir à Marly était beaucoup, mais y avoir une chambre et y coucher, c'était la clef de l'Olympe. Le théâtre est ordinairement la littérature des gens du monde qui n'ont pas le temps de lire. Bien souvent le soir, à la Cour, il y avait comédie : c'étaient des farces italiennes ou des opéras français, et quelquefois aussi de vraies comédies. Dancourt s'y essayait. Baron y eut ses meilleurs succès. Sur l'Homme à bonnes fortunes, sur la Coquette, sur le Jaloux de Baron, Dangeau, en les mentionnant, glisse un jugement favorable; il nous indique en même temps celui du roi. A propos de cette nouvelle comédie du Jaloux, qu'on joua à Marly le 28 janvier 1688: « Le roi la trouva fort jolie; mais il a ordonné qu'on y changeât quelque chose sur les duels, et quelque autre chose qui lui parut trop libre. » Louis XIV goûte moins une autre pièce de Baron qui se jouait également à Marly en même temps qu'on y dansait le ballet: « Le roi le vit (le ballet) de la chambre de Joyeux; mais il n'y demeura pas toujours, parce qu'il ne trouva pas la comédie trop à son gré; c'était l'Homme à bonnes fortunes. » En revanche, Louis XIV assistera peutêtre trente fois à Esther, et toujours avec plaisir. Tel était le goût de ce roi. Comme singularité, je remarque qu'en février 1688 on jouait à Versailles Jodelet ou le Maître-valet, de Scarron, et la Dauphine y assistait, sans qu'on prît garde aux origines, et que cette pièce était du premier mari de madame de Maintenon: de telles idées ne venaient pas à l'esprit, ou du moins on les gardait pour soi. Les Comédiens du roi étaient alors sous la surveillance directe de la Cour, et, çe semble, de madame la Dauphine elle-même « Dimanche, 22 avril 1685, à Versailles. - Madame la Dauphine, mécontente de quelques sots procédés des comédiens, pria le roi de casser Baron et Raisin, les deux meilleurs comédiens de la troupe, l'un pour le sérieux et l'autre pour le comique. » Et, 3 novembre 1684 : « On choisit trois nou. velles comédiennes pour être mises dans la troupe du roi, et Madame la Dauphine leur fit une exhortation sur leur bonne conduite à l'avenir. » Une des affaires qu'il est le plus intéressant de suivre chez Dangeau, qui ne fait de rien des affaires, mais de simples nouvelles, c'est la révocation de l'Édit de Nantes et ses suites. Nulle part on ne voit mieux de quelle façon les choses se passèrent, quelle fut l'illusion de Louis XIV et la connivence plus ou moins involontaire de tout ce qui l'entourait. Notez que Dangeau était luimême un ancien protestant converti dès sa jeunesse ; il ne paraît jamais s'en ressouvenir. On commence à employer les troupes pour aider aux conversions : « Samedi, 14 août 1685, à Versailles. J'appris qu'Asfeld, brigadier des dragons, était allé en Poitou commander les troupes qui y sont, et dont les intendants ont quelquefois tiré des secours pour de bons effets. » Ce qui est immédiatement suivi de la nouvelle du dimanche 12 : << Le roi envoya force faisandeaux à Monseigneur, et Monseigneur lui renvoya force perdreaux, se faisant part l'un à l'autre de leurs chasses. » Tout cela vient ex æquo. « Mercredi 22 août, à Versailles. - J'appris que SaintRuth allait commander les troupes qu'on envoie dans les Cévennes et dans le Dauphiné, comme Asfeld commande celles qui sont en Poitou; ce sera apparemment avec beaucoup de succès des deux côtés. » Quinze jours après, pendant un voyage à Chambord et sur la route, jeudi 6 septembre : « On dîna au bois de Fougère, et l'on vint coucher à Châteaudun. - Le roi apprit qu'il y avait eu plus de cinquante mille Huguenots convertis dans la généralité de Bordeaux, et nous dit cette boune nouvelle-là avec grand plaisir, espérant même que beaucoup d'autres gens suivront un si bon exemple. > - - C'est une émulation, une passion de convertir les gens en masse, comme s'il n'y avait qu'à y prêter la main : « Dimanche 16 septembre, à Chambord. La Trousse fut nommé pour aller commander les troupes en Dauphiné, et tâcher de faire aussi bien en ce pays-là que Bouflers a fait en Béarn, en Guyenne et en Saintonge. » Quelquefois on se passe de dragons, et c'est mieux : « Jeudi 27 septembre, à Chambord. On sut que les diocèses d'Embrun et de Gap, et les vallées de Pragelas, qui sont dépendantes de l'abbaye de Pignerol, s'étaient toutes converties sans que les dragons y aient été. » - «Samedi 29, à Pithiviers. Le |