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roi nous dit que M. de Duras, revenant de ses terres, l'avait assuré ce matin à Cléry, au sortir de la messe, que tous les Huguenots de ses terres s'étaient convertis. >> - << Mardi 2 octobre, à Fontainebleau. - Le roi eut nouvelle, à son lever, que toute la ville de Castres s'était convertie. >> « Vendredi 5, à Fontainebleau. . On apprit que Montpellier et tout son diocèse s'étaient convertis. Lunel et Mauguio en sont. Aigues-Mortes s'est converti aussi; il est du diocèse de Nimes. Il y eut le soir comédie italienne; Monseigneur y alla. » Les nouvelles pareilles se succèdent coup sur coup et arrivent par chaque courrier: comment Louis XIV, qui croyait si aisément en lui-même et en son ascendant, en aurait-il douté? « Samedi 6 octobre, à Fontainebleau. - M. de Noailles manda au roi que toute la ville de Nîmes s'était convertie. » << Samedi 13, à Fontainebleau. On sut au lever du roi que presque tout le Poitou s'était converti, entre autres Châtellerault, Thouars et Loudun. On a appris aussi qu'à Grenoble tous les Huguenots avaient abjuré. » — « Mardi 16, à Fontainebleau. On apprit que tous les Huguenots de la ville de Lyon s'étaient convertis par une délibération prise à la maison de ville, les ministres et tout le consistoire y étant; les dragons n'y étaient point encore arrivés. » On s'était tant dit qu'on vivait sous un règne de prodiges que rien n'étonnait plus. Thomas Corneille succédant à son frère à l'Académie avait dit, en parlant de la conquête de la Franche-Comté : « Louis le Grand a soumis une province entière en huit jours, dans la plus forte rigueur de l'hiver. En vingt-quatre heures il s'est rendu maître de quatre villes assiégées tout à la fois. Il a pris soixante places en une seule campagne...>> Ici il ne s'agissait que de consciences, et ces autres places fortes cédaient au même ascendant de Louis le Grand. Cela paraissait tout simple et au roi et aux cour

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tisans, et à Dangeau qui enregistre ces succès avec une parfaite bonne foi, de telle sorte que lorsqu'il écrit dans son Journal, à la date du 19 octobre de cette année 1685: « Outre la cassation de l'Édit de Nantes de 1598, on casse l'Édit de Nîmes de 1629, et tous les édits et déclarations donnés en faveur de ceux de la religion prétendue réformée; ordre à tous les ministres de sortir du royaume dans quinze jours; les enfants qui naîtront seront baptisés et élevés dans la religion catholique, etc., etc.;» et que lorsqu'à la date du 22, il ajoute : « Ce jour-là on enregistra dans tout le royaume la cassation de l'Édit de Nantes, et l'on commença à raser tous les temples qui restaient; » en prenant note de ces actes considérables, il semble ne faire que constater un fait accompli et que rendre compte d'une formalité dernière.

Toutefois, comme il est fidèle à dire ce qu'il sait, on a bientôt chez lui la suite et les conséquences: il ne les donne pas comme une conséquence, mais avec un peu de logique le lecteur rétablit aisément la chaîne. On a d'abord toute la série des récompenses et des pensions accordées par le roi aux nouveaux convertis de quelque importance « 13 février 1686, à Versailles. -Je sus que M. Dacier, homme fort fameux par son érudition et ses ouvrages, qui a épousé mademoiselle Le Fèvre, plus fameuse encore que lui par sa profonde science, avait eu une pension du roi de 500 écus; ils se sont tous deux convertis depuis quelques mois. » Bien plus, c'étaient M. et madame Dacier qui avaient décidé la conversion entière de la ville de Castres. « Dimanche, 17 février. J'appris que le roi donnait à Foran 1,500 francs de pension en faveur de sa conversion, outre celle de 2,000 francs que le roi leur donna, à Villette et à lui, il y a quelque temps, comme chefs d'escadre; ils sont tous deux nouveaux convertis, et le roi répand vo

lontiers ses grâces sur ceux qu'il croit convertis de bonne foi. » - 10 mars. - Le roi donne au marquis de Villette, cousin-germain de madame de Maintenon et chef d'escadre, une pension de 3,000 fr.; il s'est converti depuis peu. » Ces sortes de pensions et de faveurs sont à l'infini: elles sont décernées hautement, données de bon cœur et de bonne foi, non pas comme motif de la conversion, mais après la conversion et comme marque de satisfaction du prince pour un retour à la règle. Quelques-unes, plus rarement, prennent un caractère odieux: «< Vendredi, 13 septembre 1686, à Versailles.Le roi a donné à Lostange la confiscation des biens de son frère, qui est en fuite pour la religion (1). »

Puis, tout à côté, chez Dangeau, et sans qu'il y insiste, on a aussi l'idée des pertes que fait le royaume,et des résistances qu'on trouve en plus d'une âme : « Jeudi, 24 janvier 1686, à Versailles. On eut nouvelles que du Bordage avait été arrêté auprès de Trelon, entre Sambre et Meuse: il voulait sortir du royaume avec sa famille. Sa femme a été blessée d'un coup de fusil; çe sont les paysans qui l'ont arrêté et qui faisaient la garde pour empêcher les gens de la religion qui veulent sortir du royaume... » — « Vendredi 25. - On mène du Bordage dans la citadelle de Lille, sa femme dans celle de Cambray, et mademoiselle de La Moussaye, sa bellesœur, dans celle de Tournay. On fait revenir les enfants à Paris, et ils seront élevés dans notre religion. >> « Samedi 26. - Le roi monta en calèche au sortir de la' messe, et alla avec les dames voir voler ses oiseaux. » Ce vol des oiseaux, disons-le en passant, était une

(1) En parlant d'odieux, je rends la première impression que nous fait cette confiscation dont profite un frère; mais en réalité c'était une moindre injustice de laisser ou de rendre à la famille et aux prochains héritiers les biens dont on dépouillait les membres qui étaient en fuite.

grande affaire et un des plaisirs ordinaires du roi. Il y avait un Chef du vol du Cabinet, qui suivait le roi dans tous ses voyages et même à l'armée, et dont la charge ne dépendait point de celle du grand Fauconnier. Ces locutions reviennent continuellement chez Dangeau : << Le roi alla voler l'après-dînée. Le roi revint l'aprèsdînée de Marly, et vola en chemin. »

Cependant (pour en rester aux choses sérieuses) des hommes considérables d'entre les réformés obtiennent de sortir du royaume. M. de Ruvigny a permission de se retirer en Angleterre avec sa femme et ses deux fils : « Le roi lui laisse son bien et lui conserve même ses pensions. » Le maréchal de Schomberg eut également permission de se retirer en Portugal « avec madame sa femme et M. le comte Charles son fils; il conservera, dit Dangeau, son bien et les pensions que sa Majesté lui donne. » Duquesne, lieutenant général de la mer, eut permission de se retirer en Suisse avec sa famille ; mais, avant d'en pouvoir profiter, il mourut subitement à Paris. Schomberg pourtant ne mourut pas si vite ni sans s'être vengé à sa manière ainsi que la cause à laquelle il restait fidèle. Il ne demeura point en Portugal, et s'inquiéta peu de garder ses pensions en France. Après s'être attaché d'abord à l'Électeur de Brandebourg dont il commanda l'armée, il lia partie avec le prince d'Orange, l'accompagna dans son expédition d'Angleterre, l'y soutint de son épée, et ne périt que dans la victoire, après avoir tout fait pour lui assurer la couronne. « Ne trouvez-vous pas bien extraordinaire, disait Louis XIV au duc de Villeroy, que M. de Schomberg, qui est né Allemand, se soit fait naturaliser Hollandais, Anglais, Français et Portugais? » Louis XIV remarquait là une chose assez piquante: il eût été digne de son esprit judicieux (s'il eût été plus étendu) de se dire que Schomberg était avant tout un réformé, le soldat européen de

sa cause religieuse et politique, et que c'était lui seulement, Louis XIV, qui vers la fin, et quand le vieux soldat s'était cru Français, l'avait trop fait ressouvenir de cette patrie antérieure.

Les conversions, données comme si faciles chez Dangeau en 1685, ont leur contre-coup quelques années après, lorsqu'à la reprise de la guerre et quand toute l'Europe liguée est en armes contre Louis XIV, les protestants français y jouent leur rôle et sur les frontières et au dedans du royaume : « Lundi, 28 février 1689, à Versailles. Hier, M. de Barbezieux vint dire au roi, comme il sortait du sermon, qu'il s'était fait quelques assemblées de mauvais convertis séditieux en Languedoc. Folleville, qui est en ce pays-là avec son régiment, a marché à eux et avait mis des milices derrière les endroits où ils se retiraient d'ordinaire. Il les attaqua en tête avec quelques dragons, joints à six compagnies de son régiment, les fit fuir, et ils donnèrent dans l'embuscade, où il y en eut trois cents de tués. Il y en avait déjà eu qui s'étaient assemblés auprès de Castres et auprès de Privas, et qu'on avait dissipés. Ces mouvements ont obligé le roi à demander au Languedoc quatre mille hommes de milice dont on fera des régiments. » Et mercredi, 5 octobre 1689, à Versailles : « Il y a quelques jours que M. le marquis de Vins est parti pour aller commander à Bourg-en-Bresse ; on lui donne quelques troupes, avec lesquelles il contiendra les mauvais convertis et empêchera qu'on n'entre dans le pays. » Ces mauvais convertis, ce sont précisément ceux des conversions en masse et si expéditives, dont les nouvelles survenant en 1685, à chaque lever à Versailles, donnaient tant de joie et de contentement au roi. On ferait tout un chapitre impartial, équitable, convaincant de vérité, et sans injure pour personne: De la Révocation de l'Edit de Nantes et de ses suites, étudiées dans le Journal de Dangeau,

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