Images de page
PDF
ePub

fois; car il faut avoir la tête bien grosse quand on a éprouvé une perte en un lieu pour ne pas y pourvoir lorsqu'on se retrouve exposé au même hasard; c'est le cas de se faire sage par sa perte : « Mais je me suis bien trouvé, ajoute-t-il, de ne l'avoir pas été, et aime mieux m'être fait avisé aux dépens d'autrui qu'aux miens. »

Pour un personnage tout d'action et si homme de main, il est à remarquer comme il aime les préceptes, les sentences, et à moraliser sur la guerre ; il le fait en un style vif, énergique, imaginatif, gai parfois et qui sourit : oh! qu'on sent bien en lui, malgré tant de colères qui le séparent du sage, un compatriote, un voisin et un aîné de Montaigne! il commence par quelques recommandations qu'il juge fondamentales et qu'il adresse à ceux qu'il veut former. Dès le premier instant qu'il eut à commander à d'autres, dès qu'il eut à porter enseigne, dit-il, il voulut savoir ce qui est du devoir de celui qui commande, et se faire sage par l'exemple des fautes d'autrui : « Premièrement j'appris à me chasser du jeu, du vin et de l'avarice, connaissant bien que tous capitaines qui seraient de cette complexion n'étaient pas pour parvenir à être grands hommes. » Il développe ces trois chefs, et particulièrement, et avec une verve singulière, les inconvénients de l'avarice en un capitaine « Car si vous vous laissez dominer à l'avarice. vous n'aurez jamais auprès de vous soldat qui vaille, car tous les bons hommes vous fuiront, disant que vous aimez plus un écu qu'un vaillant homme... » Il ne veut pas qu'un homme de guerre, pareil à un citadin ménager, songe toujours à l'avenir et à ce qu'il deviendra en cas de malheur; le guerrier est enfant de l'État et du prince, et il pose en maxime « qu'à un homme de bien et vaillant, jamais rien ne manque. » Après ces trois vices qui sont à éviter à tout prix, car ils sont ennemis de l'honneur, il en touche plus rapidement un qua

[ocr errors]

trième dans lequel, sans raffiner sur les sentiments, il conseille du moins toute modération et sobriété : « C'est l'amour des femmes: ne vous y engagez pas, cela est du tout contraire à un bon coeur. Laissez l'amour aux crochets lorsque Mars sera en campagne : vous n'aurez après que trop le temps. Je me puis vanter que jamais affection ni folie ne me détourna d'entreprendre et exécuter ce qui m'était commandé à ces hommes il leur faut une quenouille, et non une épée. »

Tout gentilhomme qu'il est, Montluc sent l'importance croissante de l'infanterie, et, dès qu'il le peut, il se jette parmi les gens de pied. C'est de sa part une opinion réfléchie. Il refuse même, à l'occasion, un guidon qui lui est offert dans une compagnie à cheval : << Il lui semblait qu'il parviendrait plus tôt par le moyen de l'infanterie. » Il est bien en cela de son siècle et non du quinzième; ce n'est plus un chevalier d'autrefois, c'est un moderne. Il est vrai qu'il maudit l'invention de la poudre et de l'arquebuserie, pour en avoir été souvent atteint et victime, comme tant de vaillants hommes; mais en la maudissant et en la qualifiant «< d'artifice du diable pour nous faire entretuer, » il en sait toute l'importance; il s'en sert à propos, et il excelle entre autres choses à poster et à diriger l'artillerie dans les siéges. Pourtant, comme il est un guerrier de l'époque intermédiaire, il le faut voir tel qu'il se peint à nous lui-même, une hallebarde à la main dans la mêlée; c'était son arme ordinaire de combat. Ou comme il le dit encore d'un air de fête : « J'ai toujours aimé à jouer de ce bâton. »

[ocr errors]

La première bonne occasion où il se trouve commander n'étant qu'enseigne, et où il commence à marquer sa réputation auprès de ses camarades et de ses chefs, est sur la frontière d'Espagne, du côté de Saint-Jean-deLuz (1523). Il se hasarde de propos délibéré, à la tête

d'une centaine de gens de pied, pour protéger la retraite de la cavalerie qui s'était imprudemment engagée, et à force d'audace, de ténacité, de ruse, de tours et de retours, il parvient non-seulement à sauver les autres, mais à se sauver lui-même le dernier. M. de Lautrec le fait appeler et le complimente hautement en gascon. Montluc, qui nous a conservé ses paroles, sentit là ce premier et poignant aiguillon de la louange qui, parti de haut, fait faire ensuite l'impossible aux gens de cœur. Il en tire, selon son habitude, l'occasion d'une petite moralité à l'usage des capitaines ses compagnons qui lui feront l'honneur de lire sa vie : l'important, c'est de chercher dès ses débuts à montrer ce qu'on vaut et ce qu'on peut faire; ainsi les grands et chefs vous connaissent, les soldats vous désirent et veulent être avec vous, et par ce moyen on a toute chance d'être employé : << Car c'est le plus grand dépit qu'un homme de bon cœur puisse avoir, lorsque les autres prennent les charges d'exécuter les entreprises, et cependant il mange la poule du bonhomme auprès du feu. » M. de Lautrec, à la première occasion, donne à Montluc une compagnie; celui-ci n'avait guère que vingt ans. Il ne la garda pas toujours; il reparaît comme simple volontaire et parmi les enfants perdus, à la journée de Pavie, mais il avait pris son rang de capitaine.

Prisonnier à Pavie, il fut relâché par ceux des victorieux entre les mains de qui il était tombé : « Car ils voyaient bien, dit-il, qu'ils n'auraient pas grand'finance de moi. » Ayant eu ordre de vider le camp des Impériaux avec tous les autres prisonniers jugés insolvables, il regagne ses foyers et sa Gascogne. Bientôt, la guerre recommençant après la délivrance de François Ier, il reprit les armes, et, sur l'invitation de M. de Lautrec, il leva en Guyenne une compagnie de gens de pied avec une plus forte proportion d'arquebusiers qu'il n'y en en

trait d'ordinaire. Le voilà de nouveau en Italie, en route pour Naples; mais, dès les premiers pas, au siége d'un château, une arquebusade l'atteint à la jambe droite et le retarde. Il était à peine remis de cette blessure et de nouveau sur pied, lorsqu'il eut ordre de son colonel, le comte Pedro de Navarre, d'aller assaillir une petite ville située sur une hauteur, Capistrano, non loin d'Ascoli. Deux trous furent pratiqués à la muraille, et Montluc aussitôt se jeta dans l'un tête baissée : « Dieu me donna (alors), dit-il, ce que je lui avais toujours demandé, qui était de me trouver à un assaut pour y entrer le premier ou mourir. » Ce dernier vou faillit se vérifier; ses soldats, assaillis d'une grêle de pierres, ne purent le suivre, et n'eurent d'autre moyen de le secourir que de le tirer dehors par les jambes, quand, blessé et renversé à terre, il eut à faire sa retraite à reculons; mais ils ne le tirèrent pas si bien que, roulant de haut en bas jusqu'au fond du fossé, son bras ne se rompît en deux endroits : « 0 mes compagnons! s'écria-t-il dans le premier moment qu'on le releva et ne sachant pas encore l'obstacle qui les avait retenus; ô mes compagnons ! je ne vous avais pas toujours si bien traités et tant aimés pour m'abandonner en un si grand besoin. » En même temps qu'il a de ces reproches d'un accent presque affectueux envers les siens, Montluc était moins tendre pour les ennemis. Cette fois pourtant il le fut: il avait fait un voeu à Notre-Dame-de-Lorette, et quand, peu après, la ville de Capistrano fut prise et mise à sac, il envoya prier son lieutenant La Bastide de lui garder autant de femmes et de filles qu'il se pourrait pour les préserver des outrages, « espérant que Dieu, pour ce bienfait, l'aiderait. » On lui en amena donc quinze ou vingt, les seules qu'on put sauver. Le reste de la ville et des habitants subit les conséquences d'une prise d'assaut irritée, telle qu'on la pratiquait en ce temps-là.

Cependant la fracture et la blessure de Montluc étaient graves; on allait lui couper le bras, lorsqu'un jeune chirurgien prisonnier lui donna courage et l'exhorta à résister aux autres chirurgiens plus âgés et plus en crédit. Montluc, Dieu l'aidant, et par un changement soudain de volonté, au moment où l'on s'approchait déjà pour l'opération, déclara qu'on ne la lui ferait pas. Il resta longtemps malade, alité, écorché au vif tout le long du dos à force d'être immobile; puis, quand il fut debout, il eut à passer deux ou trois ans encore avant de pouvoir entièrement guérir; mais il sauva son bras et aussi sa carrière d'homme de guerre. Il fait en cette occasion un retour sur lui-même et sur cette prétention, qui est la sienne, d'avoir toujours été un des plus heureux et des plus fortunés hommes entre tous ceux qui aient porté les armes, ce qui est bien aussi une manière de vanité: « Et si (et pourtant), dit-il, n'ai-je pas été exempt de grandes blessures et de grandes maladies; car j'en ai autant eu qu'homme du monde saurait avoir sans mourir, m'ayant Dieu toujours voulu donner une bride pour me faire connaître que le bien et le mal dépend de lui, quand il lui plaît ; mais encore, ce nonobstant, ce méchant naturel, âpre, fâcheux et colère, qui sent un peu et par trop le terroir de Gascogne, m'a toujours fait faire quelque trait des miens, dont je ne suis pos à me repentir. »

L'aveu, on le voit, et jusqu'à un certain point le repentir des cruautés de Montluc, se peuvent lire dans ces paroles. On en recueillerait plus d'une de lui dans le même sens. Il avoue ses opiniâtretés, ses colères, qui sentent le cheval de sang et de race : « Il ne me fallait guère piquer pour me faire partir de la main. >> Quelquefois aussi, chez lui, c'était méthode et tactique; on le verra user de sa réputation terrible pour obtenir de prompts et merveilleux résultats: ainsi, à Casal, ville

« PrécédentContinuer »